Coronavirus : sans attendre le « stade 3 » de l’épidémie, la France déjà en état d’alerte

Craignant un mouvement de panique lors de l’activation de cette nouvelle étape, qui paraît inéluctable, l’exécutif tente de minimiser sa portée. Emmanuel Macron a prévu de s’exprimer jeudi soir, à 20 heures.

La vague a commencé de monter, et nul ne sait pour l’instant quelle hauteur elle atteindra. Si le stade 3 de l’épidémie de Covid-19 n’a toujours pas été formellement annoncé, la France est en état d’alerte. « Tous les jours, les autorités annoncent un cran supplémentaire pour responsabiliser sans faire paniquer », résume un directeur d’hôpital.

Après avoir interdit, dimanche 8 mars, tout rassemblement de plus de 1 000 personnes, le ministre de la santé, Olivier Véran, a décrété, mercredi 11 mars, l’interdiction jusqu’à nouvel ordre de toutes les visites aux personnes âgées en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).

Une interprétation extrême des « restrictions de visites » recommandées par le plan pandémie grippale de 2011. L’enjeu : éviter à tout prix un pic épidémique périlleux pour le système de santé français, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qualifie désormais le Covid-19 de « pandémie ».

 

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Si le passage au stade 3 est présenté comme « inexorable », il n’aurait pas encore été décidé, même s’il n’est pas exclu que le chef de l’Etat l’annonce lors d’une prise de parole solennelle, prévue jeudi à 20 heures.

Craignant un mouvement de panique à son activation, l’exécutif tente de minimiser sa portée. « Je pense qu’il ne faut pas considérer qu’il va y avoir à un moment donné dans notre pays une grande bascule où tout va changer. Il faut qu’on reste extrêmement adaptable et à chaque moment, selon la différenciation des territoires », a expliqué le président de la République, mardi 10 mars, lors d’une visite au centre d’appels (15) du SAMU de l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris.

« Notre stratégie est la bonne »

 

Au sein de l’exécutif, on défend la stratégie des petits pas adoptée depuis le début de la crise. « Notre stratégie, c’est de gagner du temps, pour augmenter de 40 % le nombre de places en réanimation et pouvoir absorber le pic de l’épidémie. Nous sommes dans une bataille capacitaire », explique-t-on à l’Elysée.

A la tête de l’Etat, on réfute notamment toute comparaison avec l’Italie, qui prendrait davantage la mesure de la menace que la France. « On ne peut pas calquer notre réponse sur celle de nos voisins italiens : leur système hospitalier n’est pas dans le même état que le nôtre, nous n’avons pas la même pyramide des âges… », explique un conseiller. « Nous devons en permanence naviguer entre deux écueils : le trop et le pas assez. Mais notre stratégie est la bonne, nous avons moins de morts que nos voisins, notre hôpital tient le choc », ajoute un proche d’Emmanuel Macron.

Dans de nombreux hôpitaux, cependant, la tension monte : la vague épidémique est déjà aux portes des services, avec l’augmentation rapide du nombre de cas depuis le week-end. « Que ce soit politiquement difficile de l’annoncer en période électorale, on le comprend. Mais le stade 3, on y est », lâche Djillali Annane, chef du service de réanimation à l’hôpital Raymond-Poincaré de Garches (Hauts-de-Seine). Pour ce médecin, pas de doute : la France doit se préparer à vivre « la même chose que l’Italie, avec huit à dix jours de retard ».

Partout, les équipes de direction multiplient les réunions de crise pour se préparer à un fort afflux de patients dans les services de réanimation. En Ile-de-France, les médecins-réanimateurs ont créé un groupe WhatsApp pour connaître en temps réel les capacités en lits dans la région. « L’idée est de ne pas être pris de court par l’épidémie, on essaie d’avoir deux coups d’avance », insiste Alexandre Demoule, réanimateur à la Pitié-Salpétriêre à Paris, l’un des centres de référence pour le Covid-19. Cet hôpital travaille main dans la main avec Tenon et Saint-Antoine : au total, jusqu’à 80 lits pourront être ouverts en cas de besoin dans ces trois établissements. Ils pourraient vite se remplir : à la Pitié, « nous avions deux cas graves il y a une semaine, et quinze aujourd’hui », poursuit le médecin.

5 000 lits en réanimation

 

Mardi 10 mars, le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, a annoncé que 5 000 lits de réanimation étaient disponibles en France et 7 364 lits dans les unités soins intensifs. Si besoin, des places supplémentaires peuvent être rapidement dégagées en annulant des opérations programmées. « Arrêter l’activité programmée pourrait ne pas être suffisant », met cependant en garde un directeur d’hôpital.

Dans le service de réanimation de Garches, six des dix-huit lits de réanimations sont déjà consacrés au Covid-19, et huit lits supplémentaires peuvent être mobilisés. « Nous sommes prêts mais si la vague dure plus d’une semaine, ce sera difficile, et si elle dure un mois, je ne sais pas comment on fera », avance Djillali Annane. « On a tort de dire que notre système de santé est mieux armé que les Italiens », ajoute-t-il.

Une des difficultés auxquelles les soignants devront faire face est la durée d’hospitalisation. Un patient souffrant d’une pneumonie peut sortir au bout de quelques jours, mais les malades souffrant d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë – un SDRA dans le jargon – doivent être ventilés et hospitalisés pendant une à deux semaines. « Il y a un risque d’embolisation totale du système », prévient Anne Geffroy-Wernet, la présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs.

Davantage que le risque d’un manque de matériels, les responsables hospitaliers s’inquiètent des ressources humaines disponibles sur une durée aussi longue. « Le problème, ce sont les ressources humaines car il s’agit d’unités très chronophages », estime Nicolas Van Grunderbeeck, infectiologue à l’hôpital d’Arras. Le ratio est de deux infirmiers pour cinq malades.

Un relatif consensus règne entre les partis politiques

 

Plusieurs agences régionales de santé ont récemment demandé aux établissements de réfléchir à des organisations avec 20 % de leur personnel absent, en raison d’une contamination ou de mesures de confinement exceptionnelles. « Si les écoles sont fermées, qui va garder les enfants des infirmières ? Ce n’est pas très facile de créer ex nihilo ces structures d’accueil », explique Bertrand Guidet, anesthésiste-réanimateur à Saint-Antoine.

En dépit, de toutes ces inconnues sur l’ampleur de l’épidémie, l’exécutif assure qu’il n’a « jamais » été question de reporter les élections municipales, même si certains s’interrogent sur les risques induits par le rassemblement de millions de Français dans les bureaux de vote dimanche. « Nourri de l’expertise du directeur général de la santé, le président estime que le scrutin peut se dérouler de manière satisfaisante », assure l’Elysée.

« Reporter serait envoyer un signal contradictoire. Pourquoi pourrait-on aller travailler si on ne peut pas aller voter ? Il faut être capable de traiter la crise sans créer une peur qui bloquerait le pays. La vie continue, il faut montrer que la France est plus forte que le virus », abonde l’entourage du premier ministre, Edouard Philippe.

Sur le plan politique, un relatif consensus règne entre les partis. Seul le Rassemblement national a dénoncé un « manque manifeste d’anticipation » et réclamé la fermeture des frontières. Après une première réunion la semaine dernière, Edouard Philippe devait de nouveau réunir, jeudi matin à Matignon, les présidents des Assemblées, les présidents des groupes parlementaires, les chefs de parti et les présidents des associations d’élus, afin de les informer de l’avancée de l’épidémie.

Chloé Hecketsweiler, Françoias Béguin et Cédric Pietralunga

Source : Le Monde

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