Un vaccin contre le coronavirus, ce serait bien. Contre la connerie, ce serait encore mieux

Le génie humain peut venir à bout de tous les virus, excepté celui de l’invincible connerie.

Dieu seul sait quand on parviendra à trouver un vaccin capable de terrasser le coronavirus. Pour l’heure, l’argent afflue, les chercheurs travaillent d’arrache-pied, partout le branle-bas de combat est déclaré. Nul doute que tôt ou tard, le virus sera vaincu. C’est une simple question de temps et d’ajustement. Le génie humain peut venir à bout de tous les virus, absolument tous, excepté celui de l’invincible connerie, de l’éternelle bêtise, contre laquelle nous sommes hélas condamnés à l’impuissance.

Si seulement il existait un antidote à la connerie ambiante! Si seulement on pouvait trouver une parade face à ce démon qui prolifère à la surface de la terre comme une malédiction divine. Si seulement à doses massives, on pouvait injecter à chacun quelques gouttes d’un puissant remède qui empêcherait la bêtise de coloniser les esprits. Comme le monde s’en porterait mieux. Comme la vie serait douce. Comme j’aimerais mon prochain.

Ce n’est pas demain la veille.

Il suffit de parcourir les rubriques consacrées aux fake news pour s’en convaincre. Décodeurs, CheckNews, Factuel, Fake Off… pas un journal ou une agence de presse qui n’ait une instance dédiée à l’examen des nouvelles et à leur degré de véracité. «Est-il vrai que si la Terre est plate, arrivé à San Francisco, je risque de tomber dans le néant du temps?» «Va-t-on vraiment rembourser les prothèses dentaires sur les cadavres enterrés avant 1975 comme l’a suggéré la ministre de la Santé lors d’une conférence sur les soins gériatriques en milieu hospitalier?» «Quel crédit apporter à l’information selon laquelle les œufs pondus par des poules neurasthéniques augmenteraient les chances d’avoir un cancer du testicule gauche?» «La rumeur selon laquelle Madame Hidalgo voudrait planter à la place de la tour Eiffel un champ d’éoliennes est-elle fondée?» «Doit-on craindre d’attraper le coronavirus si on mange des sushis à la vapeur matin et soir?»

Je ne connais pas de lecture plus déprimante que ces pages-là. S’y expriment avec une sincérité confondante tout un chapelet de fantasmes, de rumeurs, de théories qui donnent envie de se défenestrer tant elles explosent les canons de la connerie ordinaire. La grande internationale de l’universelle connerie. On questionne, on s’inquiète, on s’interroge sur la nature de faits dûment établis que des journalistes scrupuleux doivent pourtant prendre le temps de décortiquer afin de démontrer soit leur parfaite exactitude, soit leur totale invraisemblance. «Est-il vrai que le gouvernement songe à délocaliser le siège de la sécurité sociale sur la planète Mars?» «Peut-on accorder quelque crédit à la rumeur selon laquelle Bill Gates aurait déclaré qu’il voulait éradiquer la race humaine et la remplacer par des sauterelles unijambistes?» «Selon un journal belge, l’Éclair de Knokke-le-Zoute, Edwy Plenel et Emmanuel Macron auraient eu la même baby-sitter dans leur enfance, c’est vrai?» «Ségolène Royal a-t-elle vraiment dit que grâce au réchauffement climatique, on assisterait à la disparition prochaine des barbecues?»

D’ailleurs il suffit de se promener sur n’importe quel réseau social pour comprendre la profondeur du mal. On y retrouve généralement une confrérie de couillons dont la pétulance à délivrer ânerie sur ânerie laisse sans voix. Comme une sorte d’infinie déréliction qui se montrerait au grand jour dans la totale impudeur d’une prise de parole dont on abuse sans même réaliser la vertigineuse vacuité des propos énoncés. Quand ce n’est pas l’expression d’une imbécilité bien crasseuse où triomphent les haines de toutes sortes, les fantasmes les plus éculés, la vaste fantasmagorie des opinions les plus rances.

L’apparition du net a eu cet effet désastreux que ses inventeurs ne pouvaient imaginer: la révélation à elle-même de la profondeur abyssale de la connerie humaine. Il est probable que de tout temps l’homme fut con, de naissance ou d’héritage. Que la connerie était un mal généralisé dont le venin se répandait à travers toutes les couches de la société tout au long des siècles qui nous ont précédés; il suffit de relire Flaubert. Seulement contrairement à aujourd’hui, cette bêtise-là n’avait pas pignon sur rue. Elle restait confinée à la sphère familiale, au café du commerce, parfois à l’Assemblée nationale mais ne débordait jamais de son cadre désigné. C’est ainsi qu’on pouvait vivre sa vie sans même soupçonner son existence.

Cette époque est hélas bien finie. Désormais, en flux continu, nous devons l’affronter et contempler son odieux visage. À la télévision, sur les réseaux sociaux donc, en bas des articles sous forme de commentaires insipides, à la Maison-Blanche. Partout, absolument partout. En ce début de vingt-et-unième siècle, la connerie ne se cache plus: elle s’exhibe, elle prospère, elle prolifère, elle cancane, elle triomphe, elle s’émancipe au point de devenir invisible. Et échapper à son joug revient à vivre en autarcie, les volets fermés, l’ordinateur rangé, les portables éteints.

C’est pourquoi je lance un appel aux scientifiques du monde entier: laissez tomber le coronavirus, il mourra de sa belle mort. Mieux vaut se concentrer sur ce virus autrement dangereux, capable à lui seul d’anéantir toute forme d’espérance chez l’être humain, j’ai nommé l’insondable connerie.

Il y a urgence.

Et si d’aventure vous cherchez un cobaye atteint de ce mal incurable, je suis partant…!

Laurent Sagalovitsch

Source : Slate (France)

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