A Pau, pour parler du Sahel, des « doyens ouest-africains agacés par le “petit frère” Macron »

Notre chroniqueur Francis Kpatindé analyse les réactions des chefs d’Etats sahéliens après l’invitation, jugée comminatoire, lancée par le président français.

Chronique. Emmanuel Macron aura donc finalement réuni, lundi 13 janvier, à Pau, dans le sud-ouest de la France, ses pairs membres du G5 Sahel pour un sommet stratégique consacré à la recrudescence des attaques djihadistes au Mali, au Burkina et au Niger. Une première invitation, perçue comme comminatoire par l’opinion et une partie des dirigeants africains concernés, avait été ajournée suite à une attaque de grande ampleur contre un camp de l’armée nigérienne le 10 décembre 2019 à Inates, dans l’ouest du pays.

Quelques jours plus tôt, le 4 décembre, la mine serrée, Emmanuel Macron avait annoncé sur un ton martial, à l’issue d’un sommet de l’OTAN, avoir convié les présidents du Mali, du Burkina Faso, du Niger, de la Mauritanie et du Tchad, à un sommet le 16 décembre à Pau pour qu’ils clarifient leur position sur la présence militaire française au Sahel, de plus en plus contestée par leurs opinions publiques. Il avait par ailleurs souligné attendre d’eux qu’ils assument publiquement le fait que les soldats français sont au Sahel à la demande des pays concernés, et non pas pour des « visées néocoloniales ».

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Le ton utilisé, la teneur même de l’invitation avaient agacé dans certains palais de la région, et au-delà. Si le Nigérien Mahamadou Issoufou avait bien tenté de relativiser le coup de menton du président français, excluant toute tension avec Paris, le Tchadien Idriss Déby Itno avait argué, lui, d’un agenda diplomatique chargé pour se faire excuser. De son côté, le Burkinabé Roch Marc Christian Kaboré, par ailleurs président en exercice du G5 Sahel, avait pris le temps de la réflexion avant de déplorer « la forme et le ton » utilisés par Emmanuel Macron, exprimant ainsi à haute voix, et avec une sobriété toute sahélienne, l’opinion de l’ensemble de ses camarades.

Il en va ainsi depuis près de trois ans ! Il ne règne pas entre Emmanuel Macron et la grande majorité de ses homologues de la sphère francophone africaine, un enthousiasme délirant. Au-delà des bourdes diplomatiques, nombreuses ces dernières années, des échanges « francs et directs » à l’abri des regards extérieurs, des divergences d’approche sur l’épineux dossier sahélien et, selon la formule d’un dirigeant ouest-africain, de la « propension atrabilaire de Macron à nous mettre la pression », un constat s’impose : la passion n’est pas au rendez-vous entre plusieurs capitales africaines et l’Elysée. Et cela tient moins de l’impétuosité supposée du chef d’Etat français qu’à un défaut d’arborescence et à son (relatif) jeune âge.

« Apte à pétrir la pâte »

Pour beaucoup de ses pairs africains, Emmanuel Macron est en effet un ovni politique, sans doute le premier président de la Ve République dont ils n’avaient pas prévu ni souhaité l’élection. Sans remonter jusqu’à Charles de Gaulle ou Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande étaient, à leurs yeux, « traçables ». Ils avaient un passé et une trajectoire politiques, avaient dirigé un parti, gagné, perdu des élections. Ils étaient connus en Afrique. Macron ? Inconnu avant son élection dans le Who’s who franco-africain, en dépit des deux années passées à l’Elysée comme secrétaire général adjoint, puis de deux autres années dans le gouvernement de Manuel Valls 2 en tant que ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique. Dans le marigot politique continental, on se méfie de tout ce qui est inopiné. Surtout lorsque l’inconnu en question, 39 ans au moment de son élection, semble renvoyer nombre de ses pairs africains à leur propre obsolescence.

Dans le syndicat des chefs d’Etat africains, où l’on se donne à tout propos du « doyen », du « koro », du « fogan » ou du « fofo », autant de mots pour conforter et pérenniser le culte du grand frère, le droit d’aînesse est sacré. Et l’avènement d’un « dogo », le petit frère, fût-il le président de l’ancienne puissance coloniale, est généralement célébré, à condition que ce dernier reste à la place qui lui est assignée. « C’est quand un vieux lave bien les mains d’un jeune que ce dernier est apte à pétrir la pâte », clame un proverbe ouest-africain. Barack Obama, fraîchement élu pour un premier mandat à la Maison Blanche, a ainsi été stupéfait lorsqu’un président africain, déjà octogénaire, lui a tenu, piano, les propos suivants en marge d’une réunion internationale : « Je suis ton grand frère et j’ai du métier. Tu peux compter sur mes conseils et éclairages. »

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Le droit d’aînesse est à ce point ancré dans les mœurs que plusieurs Etats requièrent toujours un âge minimal avancé pour briguer la magistrature suprême. S’il avait été mauritanien ou tchadien, Emmanuel Macron n’aurait pas pu se porter candidat à la présidence de la République en 2017, l’âge minimal pour figurer sur la ligne de départ dans ces deux pays étant respectivement de 40 et 45 ans.

Dans le même ordre d’idées, l’âge médian des cinq dirigeants du G5 Sahel frôle les 68 ans. Macron pourrait donc être le fils des présidents Roch Marc Christian Kaboré, Ibrahim Boubacar Kéita, Idriss Déby, Mahamadou Issoufou et Mohamed Ould Ghazaouani. Et, si l’on élargissait le cercle de famille, il serait le petit-fils de Paul Biya, Alpha Condé, Alassane Ouattara, Nana Akufo-Addo ou Denis Sassou-Nguesso. Eu égard à leur âge respectable et aux yeux de leurs opinions publiques respectives, il leur est difficile d’accepter de se faire tancer ou convoquer publiquement par plus « petit ». Et peu importe que ce dernier soit à la tête de la sixième puissance mondiale !

Francis Kpatindé, ancien rédacteur en chef du Monde Afrique, est journaliste et enseignant à Sciences Po Paris, où il dirige un cours sur « le contrôle des élections en Afrique au sud du Sahara ».

Source : Le Monde

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