«Il n’était pas connu, mais l’histoire de sa mort l’était, elle, indique Ahmed Merghani, un dentiste de la capitale soudanaise. Le cas d’Ahmed al-Kheir était devenu emblématique de la répression.» En février, cet enseignant avait été violé et torturé à mort par des hommes du redouté National Intelligence and Security Service (Niss) pour avoir participé à l’organisation de manifestations antirégime. Ce lundi, ses bourreaux ont été condamnés à la peine capitale par un tribunal d’Omdurman, la ville jumelle de Khartoum. C’est la première fois, depuis la révolution qui a balayé le dictateur Omar el-Béchir, le 11 avril, que les forces de sécurité soudanaises sont jugées pour leurs exactions.
Vingt-sept agents du Niss ont été condamnés à la pendaison, onze à des peines de prison, et deux ont été acquittés. «Nous commençons à sentir que le système judiciaire devient juste, commente Ahmed Merghani, 30 ans, qui a pris part au printemps soudanais. Je suis résolument contre la peine capitale, aucun Etat ne doit ôter la vie d’un individu, mais c’est un moment historique pour le Soudan. Les agences de l’Etat comprennent qu’elles ne sont plus intouchables, que personne n’est au-dessus de la loi.»
«Le sang du martyr n’aura pas été versé en vain», ont scandé des manifestants à l’entrée du tribunal à l’annonce du verdict. Certains avaient fait le déplacement depuis l’Etat de Kessala, à 800 kilomètres de Khartoum, d’où Ahmed al-Kheir était originaire et où il a été assassiné. Comme le veut la tradition juridique soudanaise, le juge a demandé au frère de la victime s’il était prêt à pardonner aux accusés. «Je demande la peine de mort», a-t-il répondu en éclatant en sanglots.
Après la condamnation d’Omar el-Béchir lui-même pour «corruption», le 14 décembre, dans une affaire de versement de fonds saoudiens, et l’ouverture d’une enquête sur les crimes d’Etat commis au Darfour, le 22 décembre, ce procès est une nouvelle étape dans la tentative du Soudan de solder les comptes de son passé dictatorial. Le gouvernement de transition, dirigé par l’économiste respecté Abdallah Hamdok, a également dissous l’ex-formation islamiste hégémonique, le Parti du congrès national (NCP), et annulé la loi sur l’ordre public qui avait conduit des milliers de Soudanaises à être verbalisées, fouettées et parfois même emprisonnées pour «actes indécents et immoraux». Son principal défi est désormais de faire retirer le Soudan de la liste américaine des Etats qui «parrainent le terroriste», afin de lever les sanctions économiques qui paralysent l’économie du pays, à l’agonie. Il y a un an, c’est une hausse des prix du pain qui avait servi d’étincelle au soulèvement populaire.
Célian Macé
Source : Libération (France)
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