Claire Sangba-Kembi, la Centrafricaine qui scrute le comportement des moustiques

Pour combattre le paludisme, cette chercheuse essaie de comprendre comment les nouvelles espèces réagissent aux insecticides.

 

En Afrique, la science au féminin (8). Les insectes ? Claire Sangba-Kembi vit avec. Dans son laboratoire de l’Institut Pasteur de Bangui, en Centrafrique, elle observe chaque jour ses deux insectariums et n’oublie jamais d’en nourrir les hôtes. Dans le premier virevoltent des spécimens de laboratoire, peu résistants aux insecticides. Mais dans le second, ce n’est pas la même histoire : la chercheuse enferme là ceux qu’elle étudie vraiment ; des espèces nouvelles, plus résistantes aux insecticides, ou d’autres qui ont fui ces produits.

Ces larves, elle les trouve sur des « gîtes » identifiés à travers le pays, qu’elle parcourt avec sa petite équipe pour recueillir les précieux embryons et les ramener au labo. « Les gens nous prennent un peu pour des fous », s’amuse Claire Sangba-Kembi, qui prend sa chasse très au sérieux. Car c’est en observant ces anophèles qui ont développé des défenses contre les insecticides qu’elle veut faire avancer la lutte contre la malaria, première cause de mortalité en Centrafrique selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

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« Nous essayons de voir les conséquences de la distribution de moustiquaires imprégnées sur la population de moustiques. Deviennent-ils plus résistants ? Changent-ils de comportement ? Est-ce qu’ils piquent plus à l’intérieur ou à l’extérieur de la maison ? Y a-t-il un changement génétique chez eux ? » Les questions ne sont pas closes mais, peu à peu, ces moustiques vecteurs du parasite qui transmet le paludisme, livrent leurs secrets à la jeune scientifique.

« C’est une bosseuse, toujours motivée »

 

Souriante, un peu timide, Claire Sangba-Kembi, 30 ans, termine sa thèse, qu’elle doit soutenir début 2020. Pourtant, Carine Ngoagouni, la première femme thésarde en entomologie médicale de Centrafrique, n’a pas attendu la délivrance officielle du doctorat pour proposer un contrat à la jeune femme dans son service d’entomologie médicale. Les deux femmes partagent l’amour du travail et une conscience aiguë des enjeux pour le pays. « Claire était la meilleure étudiante. Ses travaux ont été très appréciés et c’est une bosseuse, toujours motivée », confie la patronne des lieux, ravie de voir sa protégée dans la lumière.

Rien ne prédestinait Claire Sangba-Kembi à s’intéresser un jour aux insectes. Passionnée par la science depuis son enfance au sein d’une famille davantage portée vers le droit, elle s’oriente vers la médecine dans la foulée de son baccalauréat scientifique. Bien qu’excellente élève, elle échoue sur la barrière du concours et se réoriente vers les sciences. Un choix d’autant plus courageux que la faculté où elle entre en master 2 reste fermée toute l’année 2013-2014 en raison de la crise politico-militaire.

 

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Créée en 1969, l’Université de Bangui a connu son heure de gloire sous Jean-Bedel Bokassa (1966-1979), mais les conflits qui se sont succédé depuis les années 1980 l’ont peu à peu éloigné de cette époque. En dépit des aléas, Claire Sangba-Kembi persiste et trace son chemin. Ses premières recherches la portent vers l’entomologie agricole, où elle s’intéresse aux insectes qui dévorent les tomates. Le sujet lui plaît bien, mais son directeur de recherche meurt et son successeur, dépêché de l’Institut Pasteur de Bangui, a d’autres centres d’intérêt et demande aux doctorantes de réorienter leurs sujets de master.

Claire Sangba-Kembi effectue alors un stage à l’Institut Pasteur, où le tout nouveau laboratoire d’entomologie médicale vivote, quasiment vide, après le départ pendant le conflit de tous les expatriés qui avaient contribué à sa renaissance, en 2011. On est en 2015 et Carine Ngoagouni a besoin d’aide, un peu seule dans ses laboratoires ; elle pressent d’emblée le potentiel de la jeune femme, qui, de son côté, apprécie l’équipement du lieu. « Notre plateforme scientifique, moderne, est parfaite pour tout faire ici », confirme la chercheuse.

La bonne personne à la bonne place

 

« En entomologie, il n’y a pas assez d’études sur la région de Bangui », estime celle qui veut les développer et n’a pas l’intention de monnayer son doctorat ailleurs, même si elle travaille en lien avec de nombreux laboratoires prestigieux, au Gabon ou en France, et notamment l’Institut de recherche pour le développement (IRD), à Montpellier. Très attachée à son pays, elle déclare imaginer « des collaborations, des formations, des transferts de technologies, mais pas un départ », persuadée d’être la bonne personne à la bonne place, même si, comme elle le répète volontiers, c’est plus l’entomologie médicale qui l’a choisie que le contraire…

Aujourd’hui, elle se sent d’autant plus à sa place qu’elle reste persuadée que « la femme, c’est la base pour la lutte contre le paludisme » : « C’est elle qui s’occupe de tout à la maison. Quand on travaille sur l’entomologie multivectorielle, il faut d’abord appliquer cette lutte à la maison. Il faut fermer les caniveaux, les petits gîtes où les moustiques se reproduisent dans les quartiers, etc. C’est vraiment difficile pour un homme de faire ça, il n’a pas le temps », ajoute-t-elle d’un ton moqueur.

 

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Sur ce point, Carine Ngoagouni va plus loin : elle voudrait que la science se conjugue plus largement au féminin. « Les femmes chercheuses, on les compte sur les doigts d’une main, regrette-t-elle. Alors c’est très important de les encourager. Il faut qu’elles se disent que ce n’est pas impossible. » Mais la route est longue. Et elle le sera pour les nouvelles venues comme elle l’a été pour Claire Sangba-Kembi ou Carine Ngoagouni.

Longue, mais pas stérile… Déjà, les travaux de la jeune chercheuse ont permis d’apporter quelques éclaircissements sur les modifications de comportement des anophèles et les mutations provoquées par les moustiquaires imprégnées d’insecticide. « Je suis sûre que ces résultats auront un impact sur la lutte contre le paludisme et contribueront au rayonnement de la Centrafrique », souffle Carine Ngoagouni. Rayonnement, efficacité… La science est dévoreuse d’énergie, mais elle peut offrir beaucoup en retour.

 

Gaël Grilhot

(Bangui, correspondance)

Sommaire de la série « En Afrique, la science au féminin »
Source : Le Monde

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