
De plus en plus de comédien·nes choisissent de se dévoiler sur Instagram, YouTube ou Twitter, rompant une longue tradition de mystère qui aura permis de créer les plus grandes légendes hollywoodiennes.
Il était le héros parfait: authentique, éploré de justice, parfois entêté et bourru mais aussi capable de tendresse. Il était le solitaire qu’on appelle à l’aide pour sauver la veuve et l’orphelin avant de le renvoyer à sa vie d’exil. Il pouvait être une fine gâchette, un cow-boy ou un officier de la cavalerie. Il s’appelait parfois Ethan Edwards ou John T. Chance, Kirby York ou Ringo Kid, mais tout le monde le connaissait sous un seul et même nom: John Wayne.
Ce nom est un personnage, une création de Marion Robert Morrison, une (ré)invention de lui-même. John Wayne est à Marion ce que Charlot est à Chaplin. Le jeune garçon hésitant, né dans une bourgade de l’Iowa mais élevé à Glendale en Californie par une mère écrasante et tyrannique, l’a formé à mesure de ses apparitions dans des westerns de série B: son si distinctif phrasé, sa voix lente et basse, sa gracieuse façon de marcher, il les avait travaillées en observant Harry Carey, la star du western muet, mais aussi Yakima Canutt, un cascadeur, ancienne star du rodéo. Comme il le disait lui-même, John Wayne avait été «modelé sur l’homme que j’aurai aimé être».
Peu importe que Marion déteste les chevaux, qu’il ne vienne pas du Grand Ouest américain, comme son rival Gary Cooper, qu’il ne soit pas très doué en sport, qu’il se destinait d’abord à devenir avocat ou, suprémaciste blanc et homophobe notoire, qu’il n’était pas si éploré de justice. Marion, sur un écran de cinéma, était John et John Wayne était un personnage dont le nom était fait pour être affiché en haut de l’affiche, une création qui, comme l’écrivait un vieux magazine au début de sa carrière, «aime se battre plus que tout au monde et, après ça, aime manger, manger de la viande, beaucoup de viande, presque crue».
La bonne personne
C’est ainsi que John Wayne finirait par représenter l’absolue masculinité américaine, «le moule parfait dans lequel les désirs inarticulés d’une nation étaient versés» comme l’écrivait Joan Didion. «J’ai trouvé le personnage que l’homme moyen, son frère ou son gamin veut être, expliquait Morrison alias Wayne. C’est le même genre de type que la femme moyenne veut pour son mari. Toujours marcher la tête haute. Regarder tout le monde droit dans les yeux. Ne jamais trahir un ami.»
Ce nom, John Wayne, était celui qui poussait les gens dans les salles de cinéma. Au gré des films, dans la presse, pendant les avant-premières et autres apparences publiques, il fallait donc répondre au cahier des charges, celui du héros américain, et surtout ne jamais jouer les lâches ou les corrompus comme Willie Stark, le politicien des Fous du Roi, qu’il refusera d’incarner et vaudra à Broderick Crawford un Oscar du meilleur acteur en 1950.
Cette mentalité a guidé Hollywood toute son histoire. C’est sur elle que l’industrie s’est construite. Trouver la bonne personne, la mettre dans les bons films, lui faire jouer les bons rôles, faire d’elle «un personnage», créer une star de cinéma, c’était comme inventer le Coca-Cola ou la sauce du Big-Mac.
«Avec cette transition vers ce nouveau monde, c’est presque comme si vous étiez amis avec les fans.»
Will Smith, en débarquant à Hollywood après un début de carrière dans la musique et à la télé, a éprouvé, à son tour, comme des dizaines d’autres avant lui, la recette: garder le mystère, entretenir l’attente, être dans SON rôle, ne jamais trop en dire, ne jamais trop en faire, se réserver pour le grand écran. «Quand j’ai commencé, […] l’idée était que vous ne pouviez pas être une star de cinéma sans maintenir le mystère, […] que personne n’irait dans une salle de cinéma en vous voyant tous les jours», expliquait-il récemment dans le Daily Show.
Avec le succès qu’on connaît: dans les années 2000, après une nomination aux Oscars pour Ali, il enchaînait Men In Black II, Bad Boys II, I,Robot, Hitch, À la recherche du bonheur, Je suis une légende et Hancock, sept succès mondiaux à la suite. Il était indétrônable.
Puis tout a changé. Facebook, Twitter, YouTube sont arrivés. La carrière de Will Smith n’a plus jamais été la même. Après dix ans de flops, il finissait par le reconnaître. «C’est tellement un monde nouveau, expliquait-il au Huffington Post. Il y avait auparavant une dose de secret et de distance entre vous et le public qui n’avait accès à vous que le 4 juillet [quand vous sortiez votre film]. Ce niveau restreint d’accès créait ce truc bigger-than-life. Mais avec cette transition vers ce nouveau monde, c’est presque comme si vous étiez amis avec les fans. Avec ce genre de relation, vous ne pouvez plus faire de Madonna, Michael Jackson ou Tom Cruise, ces figures gigantesques. Vous ne pouvez plus créer ce genre de choses.»
«C’est presque comme si vous ne pouviez plus de faire de nouvelles stars de cinéma», ajoutait-il, défaitiste. La vidéo avait tué la star de radio et, quarante ans plus tard, les réseaux sociaux avaient, semble-t-il, tué celle de cinéma.
Un être humain, faillible
Quatre mois après cette interview, après y avoir résisté de tout son être, Will Smith changeait donc d’avis. En décembre 2017, il créait une chaîne YouTube, un compte Instagram et même, plus récemment, un compte TikTok et décidait de s’y investir massivement. En promotion de films ou non, il alimente presque une fois par jour Instagram et au moins une fois par semaine YouTube, avec des vidéos où on peut le voir, au naturel, avec son épouse, ses ami·es, ses enfants, ses collègues de travail.
«Je me suis rendu compte que, désormais, la nouvelle mentalité était que personne ne va venir vous voir au cinéma si on ne vous voit pas tous les jours. Les gens veulent avoir l’impression qu’ils sont vos amis», racontait-il à Trevor Noah.
Source : Slate (France)
Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com