Aboubacar Soumaré, maire de Sebkha : « L’IGE et la Cour des comptes ont tous deux dénoncé le contrat avec la Fédération du Commerce … »

Maire de Sebkha depuis un an, Aboubacar « Aka » Soumaré, débute son mandat avec une volonté prioritaire et manifeste de modifier (entre autres) les règles de la perception des taxes communales dans sa commune. Une décision de bonne gouvernance, et de transparence des finances, soutenue par l’Inspection Générale des Finances et la Cour des Comptes, dans deux rapports distincts. Entretien fleuve, mais édifiant et pédagogique, sur les rouages des finances des communes, des intérêts particularistes, des rapports de forces (parfois obscures) qui les régissent, avec le cas pratique de Sebkha.

Dès le début de mandat, la passation de pouvoir laissait augurer des difficultés particulières…

Je suis arrivé à la mairie le 18 octobre 2018. Le jour de l’investiture, le wali, le préfet et le maire sortant, ont voulu que l’on signe immédiatement les papiers de passation, juste à la fin de la cérémonie. Je leur réponds que j’ai naturellement besoin de lire les documents, et de savoir ce que je signe. En rentrant à la maison, en lisant les documents, je constate que cette passation est basique : un inventaire sans aucun papier justificatif, sans références, sans propriétés foncières, rien de vérifiable, le néant absolu ! Surtout, cette passation ne parlait pas des contrats liés à la perception des taxes communales. Et ne recevant rien durant les jours suivants, j’ai écrit une lettre officielle réclamant une liste de documents justificatifs. Nous avons essayé de tirer le maximum d’informations possibles, avant de laisser partir l’équipe sortante.

Deux semaines plus tard, tant bien que mal, nous avons fait une passation, au demeurant incomplète, mais avec au moins certains cadavres sortis du placard : de vieilles factures qui dataient même du mandat de Raby Haïdara !

Finalement la passation a été signée. Et le point très important : le dossier du marché central (marché « 5ème » – ndlr). Le maire sortant a déclaré et écrit, à cette occasion que le contrat de 5 ans, qui existait entre la mairie et la fédération du commerce, de 2013 à début octobre 2018, était terminé. J’étais tout content en me disant que ce contrat léonin serait renégocié avec la fédération, ou n’importe qui d’autre, qui serait le plus bénéfique pour la commune.

Quel est l’historique de ce marché ?

Ce marché 5ème est le fruit d’un contrat entre Ould Abbass père, Allah Ya Rehmou, et l’état en 1983. C’était une concession sur un terrain de l’état, qu’il a exploité jusqu’en 2003, date à laquelle il a été reversé dans le patrimoine étatique, qui l’a donné à la commune.  Et depuis 2003, chaque maire de Sebkha a signé un contrat d’exploitation de ce marché : de 2003 à 2008, c’était un contrat de 10 millions d’anciens ouguiyas par an, remis par la fédération du commerce à la mairie, en échange d’une exploitation totale du marché ; ils étaient l’état dans le marché ! ils géraient les permis de construction, la taxe communale etc… Alors que c’est interdit par la loi. Ce n’est pas possible de sous-traiter la taxe : seule la mairie, aidée de ses agents assermentés, a le droit de percevoir la taxe communale ! De 2008 à 2013, Raby Haïdara a négocié jusqu’à 25 millions d’anciens ouguiyas. Et de 2013 à 2018, sous Thiam, mais signé par Haïdara juste avant de partir, pour 50 millions. Et Thiam a tenté le coup que Raby lui avait fait : il m’a dit lors de la passation qu’il n’y avait pas de contrat ; deux jours après, il vient me voir dans mon bureau seul, et m’avoue qu’il avait signé un contrat au mois de juillet, qu’il me demande d’honorer. Je refuse évidemment ; et clairement, personne n’étant au courant, même pas le conseil municipal ! c’était une signature de contrat effectuée en solitaire, dans des conditions que lui seul et la fédération de commerce connaissaient. Et éventuellement même antidaté, parce que la fédération m’avait appelé le jour de ma victoire pour se plaindre de ne pas arriver à une entente sur ce contrat, avec le maire sortant (!). A cette occasion, cette même fédération me propose un « cadeau de bienvenue » de 10 millions d’anciens ouguiyas. J’ai refusé de les prendre personnellement, mais je leur ai suggéré de revenir après mon investiture, et que nous serons ravis de les reverser dans les comptes de la commune, étant à l’écoute de toutes les forces vives qui veulent participer au développement de Sebkha.

Et cette fois, la signature a été faite pour 10 ans, à raison de 60 millions par an. Evidemment je suis frustré et énervé. J’ai cherché s’il y avait une délibération de conseil municipal qui actait la signature de ce contrat. Rien. Il y avait même une vieille délibération de décembre 2017, où Thiam voulait renégocier le contrat avant terme, mais le ministre de tutelle avait posé son véto, en rétorquant « qu’il y avait des risques ».

La tutelle n’a pas à donner d’ordres à la mairie, qui est une entité autonome et souveraine dans sa commune, élue au suffrage universel direct ! c’est le principe de la décentralisation. L’état à Sebkha, c’est la mairie. Dans les faits en Mauritanie, nous sommes toujours dans un rapport un peu bâtard où les gens ne connaissent pas vraiment les règles

La tutelle peut-elle autant s’immiscer dans la gouvernance d’une commune ?

En principe non. La tutelle n’a pas à donner d’ordres à la mairie, qui est une entité autonome et souveraine dans sa commune, élue au suffrage universel direct ! c’est le principe de la décentralisation. L’état à Sebkha, c’est la mairie. Dans les faits en Mauritanie, nous sommes toujours dans un rapport un peu i sens en l’état actuel : On doit avoir le ministère de l’intérieur, qui s’occupe des problèmes de sécurité, des frontières, du renseignement, et qui joue son rôle d’être stressé (sourire), et le ministère de la décentralisation, appelé à être plus serein, plus joyeux, s’occupant lui du développement local, de la culture, de l’éducation, l’art, l’ouverture, le rapprochement communautaire, de la joie quoi ! (Rire).

Là avec ces deux mondes collés, nous sommes dans la configuration actuelle où le ministère de l’intérieur prend le dessus, avec des préfets qui refusent des autorisations à des jeunes qui veulent juste danser ou faire du théâtre. Et en tant que maire je suis extrêmement frustré par cet état de fait administratif.

Le préfet m’a interpellé sur les contrats, et même sur celui d’Idoumou, le candidat malheureux, ancien conseiller municipal, et qui était le candidat de l’UPR, qui a voulu pousser à un troisième tour lors des dernières municipales. Il avait des contrats au nom de sa femme, au nom de son fils, au nom de sa fille, les contrats de collectes de taxes (c’est lui qui gérait le marché « Diouck » – ndlr) ; il gérait également les taxes sur les ânes, l’encombrement. Il y avait un manque à gagner pour la commune de 50 à 60 millions d’anciens ouguiyas pour la commune ! Lui reversait 1 ou 2 millions par trimestre…

J’ai fait comprendre au préfet l’illégalité de son immixtion. Sa réponse : « Il y a des risques de troubles à l’ordre public ! ». Alors dès qu’il y a une décision qui ne plaît pas, on sort cet épouvantail (sourire).

Au-delà de la commune, des audits sont effectués tout de même ?

Justement. Suite à une mission de contrôle de la Commune de Sebkha en 2015, l’Inspection Générale d’Etat, plus haute institution administrative de contrôle de l’État chargée de s’assurer pour le compte du gouvernement de la bonne gouvernance et de la bonne gestion des ressources publiques, dénonce « une minoration flagrante du loyer du marché principal » et recommande la résiliation du contrat avec la Fédération du Commerce et la gestion en régie de la location des boutiques. Ce rapport n’a donné lieu à la mise en place d’aucune commission ni d’aucune action corrective.

Suite à un contrôle de la gestion de la Commune en 2018 sur les exercices 2015, 2016 et 2017 la Cour des Comptes, institution constitutionnelle de juridiction financière chargée de contrôler la régularité des comptes publiques de l’État, dénonce ce même contrat avec la Fédération du Commerce en démontrant un manque à gagner estimé à 39.656.800 MRU et souligne que « les contrats souffrent juridiquement de plusieurs vices tant de forme que de fond qui pourraient conclure à leur nullité » et évoque notamment « un caractère complaisant et préjudiciable pour la Commune ». Ce rapport n’a donné lieu à la mise en place d’aucune commission ni d’aucune action corrective.

Vous imaginez : nous sommes avec une mairie qui ne génère que 13 millions d’ouguiyas de taxes par an, alors que les réels revenus générés sont de plusieurs centaines de millions ! C’est un scandale tout bonnement.

La Commune de Sebkha a un budget réalisé d’environ quatorze millions d’ouguiyas (14.000.000 MRU). Ses dépenses de fonctionnement s’élèvent à 12 millions. Il reste donc deux millions qui sont évidemment bien insuffisants pour mener des actions de développement local dans une commune de 127.000 habitants où les écoles primaires sont en ruine et où la maternité qui est le centre de naissance le plus important du pays avec 7.000 accouchements par an est dans un état critique d’insalubrité. Pour rappel la Mauritanie a un taux de mortalité maternelle et infantile comparable à ceux des pays en guerre comme la République Démocratique du Congo.

Jusque-là comment réagit le conseil municipal à tout cela ?

Deux semaines après la signature de la passation, le 16 novembre 2018, j’organise un conseil municipal extraordinaire, pour pouvoir statuer sur ces points ; nous votons à 19 pour, et 1 contre (qui faisait partie de l’ancienne équipe – ndlr), avec 1 conseiller absent. Ce qui est bien avec cette équipe : aucun de nous n’a conscience du danger (rire), donc le stress de ce conseiller qui a voté contre, ne nous a pas atteint.

A partir de là, ce qu’il faut savoir, c’est que pour les communes de Nouakchott, notre tutelle, c’est le ministre de l’intérieur, en personne. Ce n’est pas son secrétaire général, ce n’est pas le ministère, et encore moins le wali. Il peut donc, dans des cas très particuliers, donner une dérogation au wali. Mais pour cette histoire de marché, les enjeux de développement sont tellement importants, on parle de montants tellement énormes, que ce n’est pas possible, et seul le ministre peut nous répondre. Le wali peut se substituer à la tutelle du ministre de l’intérieur dans les communes rurales. Les textes de loi le disent clairement.

Quand on prend ce genre de décision qui touche les finances communales, il y a 45 jours de délais pour la réponse de la tutelle. Ce système un peu bâtard ici que j’évoquais plus tôt : il faut que la tutelle approuve la décision, alors que le contrôle de la tutelle devrait se situer a posteriori. C’est-à-dire que le conseil municipal, en toute souveraineté, en toute indépendance, élu par le peuple de Sebkha, pour diriger Sebkha, prend une décision de fait, et si la tutelle pense que des manquements ont été commis à un niveau ou un autre dans la gouvernance du conseil communal, elle peut porter plainte devant le tribunal administratif, qui lui va juger ! Ou si un homme d’affaires, pense qu’on a pris une décision injuste, lui également peut porter l’affaire devant le tribunal administratif, dont la décision est applicable. Mais ce n’est pas cette situation qui prévaut ici.

Aboubacar "Aka" Soumaré, maire de la commune de Sebkha, durant l'entretien accordé à Mozaikrim. Crédit : Mozaikrim/MLK

Aboubacar « Aka » Soumaré, maire de la commune de Sebkha, durant l’entretien accordé à Mozaikrim. Crédit : Mozaikrim/MLK

Parce que ce marché 5ème, il est entrain de mourir. Il est tellement surchargé, un calvaire d’y aller, on ferme à 19h pour raisons de sécurité, alors qu’ailleurs dans Nouakchott, il y a une vraie concurrence des marchés. Si la commune n’améliore pas les conditions pour les commerçants, mais également les clients de ce marché, dans 5-6 ans il va mourir.

De quelles irrégularités souffrent le document revendiqué par la fédération des commerçants, pour justifier leur exploitation du marché du 5ème ?

Ce document souffre de plusieurs irrégularités :

  • Il ne figure pas dans la passation avec le maire sortant en présence du Hakem, du Secrétaire Général et des adjoints. Ni le Secrétaire Général ni le Hakem n’étaient au courant de l’existence de ce projet de contrat qui a délibérément été signé dans la plus grande confidentialité voulant engager la Commune sur une durée injustifiée de dix ans alors que jusqu’à présent la périodicité des contrats était de 5 ans.
  • Il a été signé en violation flagrante de la lettre n° 166 du Ministre de l’Intérieur en date du 09/03/2017 qui a émis des réserves fondées et argumentées quant à la légalité de la délibération n°001 de la session extraordinaire n°1 du Conseil Municipal du 24/02/2017 la rendant par conséquent non exécutoire. Par ailleurs il n’y a jamais eu de délibération du Conseil Municipal donnant autorisation au Maire sortant à signer le contrat de location du marché avec la Fédération du Commerce. Le contrat fait référence à une délibération autorisant le Maire à renégocier mais pas à signer. Et de toute façon comme expliqué précédemment cette délibération n’a pas été validée par la tutelle. Le Maire sortant n’était donc pas habilité dans ce contexte précis à renégocier ce contrat et encore moins à le signer.
  • Il est en opposition flagrante avec les recommandations de l’IGE et de la Cour des Comptes qui demandaient une résiliation pure et simple du contrat et une gestion en régie directe du marché.
  • Par l’article 3 il délègue à la Fédération du Commerce tous les pouvoirs de la Mairie en matière de collecte d’impôts et de taxes. L’assiette fiscale selon les textes qui instituent les communes ne peut être collectée que par le Receveur Municipale avec le Régisseur Principal. Ce dernier est nommé par le maire et validé par le Receveur Municipal. Toute régie de recette doit être validée par le Ministère des Finances et le maire.
  •  Au vu des sommes engagées sur les 10 ans (60.000 MRU pour la Commune et une estimation de 400.000 MRU pour la Fédération du Commerce) il y a une violation claire des lois sur la passation des marchés de délégation des services publics/
  • Il n’est pas notarié.
  • Il n’est pas enregistré aux domaines

Comment la tutelle réagit à vos revendications par rapport à ce document ?

Ce document est une tentative manifeste de faire perdurer une situation qui porte atteinte aux intérêts des populations de la Commune le Conseil Municipal le 16/11/2018 a voté et a jugé ce document nul, non avenu et sans effet (19 voix pour, 1 voix contre et 1 absent)

La tutelle de la Mairie de Sebkha, en la personne du Ministre de l’Intérieur ne nous a pas répondu dans les délais impartis rendant exécutoire la délibération du conseil municipal. En effet, dans ce cas précis d’une commune de Nouakchott selon la législation en vigueur, il ne peut y avoir de délégation de la tutelle du Ministre de l’Intérieur aux démembrements de l’administration territoriale d’autant plus s’il est tenu compte des montants en jeux. En revanche nous avons reçu le 14/12/2019 la lettre n°671 du Wali demandant une suspension de l’annulation des contrats en attendant une étude d’impacts juridiques et financiers.

Nous avons été surpris par cette démarche du Wali qui selon nous est une entorse à la loi instituant les communes. La mairie, pour marquer sa bonne volonté, a néanmoins fourni le 23/01/2019 au Ministre de l’Intérieur l’étude d’impacts juridiques et financiers évoquée par le Wali et celle-ci conclut à un risque négligeable pour les populations de Sebkha qui à notre humble avis person.

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Source : Mozaïkrim (Le 30 octobre 2019)

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