
Des voix s’élèvent pour dénoncer un climat politique délétère autour de la question du voile et de l’islam.
Ils s’y attendaient, disent-ils. Pour les responsables associatifs des quartiers populaires, les représentants de la communauté musulmane et les fidèles, le drame qui a eu lieu lundi 28 octobre à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques) – un homme a tenté d’incendier une mosquée et a tiré sur deux hommes, faisant deux blessés, dont un grave, pour « venger la destruction » de la cathédrale Notre-Dame de Paris – n’est pas une surprise.
« A force de stigmatiser les musulmans (…), on exalte les plus radicaux. » Nadir Kahia (Banlieue Plus)
« A force de stigmatiser les musulmans, de les montrer du doigt, de laisser les prêcheurs de haine se répandre sur les plateaux de télévision, d’alimenter les extrêmes, on exalte les plus radicaux qui finissent par passer à l’acte », se désole Nadir Kahia, 48 ans, président de l’association Banlieue Plus & Nos quartiers, et coorganisateur d’un rassemblement pour dire « stop à l’islamophobie », samedi 26 octobre, à Paris.
Entre le discours du polémiste Eric Zemmour lors de la convention de la droite – qui lui vaut d’être poursuivi pour « injures publiques » et « provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence » –, l’injonction d’un élu Rassemblement national (RN) à une mère accompagnatrice de retirer son voile, et les paroles du ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer – estimant que « le voile n’était pas souhaitable dans la société » –, depuis près de trois semaines, la polémique autour du port du foulard et la place des musulmans pratiquants dans la république ne cesse de s’accentuer.
Le 8 octobre, l’appel du président de la République, Emmanuel Macron, pour une « société de vigilance » après l’attentat de la Préfecture de police avait par ailleurs suscité l’incompréhension.
Lundi matin, à peine rentré de son voyage dans l’océan Indien, Emmanuel Macron a choisi de rencontrer les membres du Conseil français du culte musulman (CFCM), instance chargée de gérer la pratique des fidèles. La représentativité de cette organisation est largement contestée sur le terrain, mais elle reste, à ce jour, l’unique interlocuteur des pouvoirs publics. La réunion avait pour objectif de « voir comment nos concitoyens dont la religion est l’islam peuvent vivre tranquillement leur religion en respectant absolument toutes les lois de la République », selon les mots du chef de l’Etat, dans un entretien accordé à RTL.
Une « hystérie islamophobe agressive »
Le lendemain, « face au débat sur la question du foulard dans l’espace public et à l’hystérie islamophobe agressive, voire criminelle, qui s’est installée dans notre pays », le CFCM a réuni son conseil religieux. A la suite des événements de Bayonne, l’instance a appelé les fidèles à « une extrême vigilance ». Abdallah Zekri, le délégué général du CFCM, a également demandé au chef de l’Etat de faire « des déclarations fortes par rapport aux hommes politiques » qui par leurs propos « irresponsables » ont contribué à créer un « climat très tendu » autour de l’islam. Sur la chaîne LCI, il a exhorté « certains hommes politiques qui ont fait leur commerce sur l’islam et les musulmans à fermer leur gueule ».
Sur Twitter, le militant associatif Marwan Muhammad, ancien porte-parole du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui a fondé la plate-forme L.E.S. Musulmans, est allé dans le même sens : « Demain, il sera temps de tirer les responsabilités de cette attaque terroriste, des discours qui l’ont rendue possible à l’hypocrisie de ceux qui désignent les musulmans pour cible à longueur d’année puis feignent de s’émouvoir aujourd’hui. »
Malgré la réelle inquiétude des musulmans, les quelques rassemblements pour dire « stop à l’islamophobie » qui ont eu lieu récemment n’ont pas attiré les foules. A peine 2 000 personnes, samedi, place de la Nation, à Paris. Une faible participation que Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), attribue à « l’affaiblissement du tissu associatif et aux divisions au sein des musulmans, qui les empêchent de mettre en place une représentation unie et cohérente ». Et ce, « malgré l’existence d’une haine antimusulmans très nette et objective », estime-t-il.
« Deux poids deux mesures »
Stéphane Troussel, le président (PS) du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, évoque pour sa part « l’exaspération » et « le ras-le-bol » des musulmans qui ont aujourd’hui le sentiment d’être systématiquement ramenés et réduits à leur religion et à leurs pratiques alors qu’ils « se soucient en priorité d’emploi, de logement, de l’école de leurs enfants, d’obtenir une place en crèche… ».
« Des mots, puis des menaces, des injures, maintenant un acte de violence… Mais jusqu’où ça va aller », s’inquiète ainsi Habiba, 51 ans, ancienne auxiliaire de vie qui habite Bagneux (Hauts-de-Seine) et porte le voile depuis l’âge de 15 ans. Pas question pour elle de le retirer dans le climat actuel, pour ne pas « faire le jeu des intégristes de droite ».
« Cela fait des années que l’on prévient que si on continue dans la surenchère, ça va mal finir », rappelle Nadir Kahia, qui se voit comme un lanceur d’alerte. Il souligne qu’Emmanuel Macron a parlé d’« attaque » sur Twitter en faisant référence au drame de Bayonne, tandis que le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a évoqué des « faits ». « Les pouvoirs publics ont du mal à dire que c’est un attentat, alors que c’en est un, martèle-t-il. On utilise une sémantique dans un sens et pas dans l’autre. »
« Petite guerre civile »
Un avis partagé par de nombreux internautes. Sur les réseaux sociaux, ils s’étonnent que le parquet antiterroriste n’ait pas été saisi. Cela nourrit chez certains une forme de complotisme et la tentation de dresser un parallèle entre le polémiste Dieudonné, banni des plateaux de télévision après avoir été condamné pour ses propos antisémites, et Eric Zemmour, lui aussi condamné par la justice pour ses propos sur les musulmans, mais invité à s’exprimer quotidiennement devant la caméra. La chaîne CNews a cependant annoncé, mardi, que son émission ne serait plus diffusée en direct mais enregistrée avec un léger différé.
Pour Habiba, de Bagneux, ce « deux poids deux mesures » met encore « un peu plus d’huile sur le feu ». « Très inquiet », Hakim El Karoui, essayiste et président de l’Association musulmane pour l’islam de France (AMIF), dénonce « un grand n’importe quoi depuis quelques semaines » et parle de « montée des périls ». Il explique : « A partir du moment où deux camps, chacun ancré dans son environnement idéologique, se dressent l’un contre l’autre, on arrive à une petite guerre civile. On risque de tomber dans un affrontement opposant les djihadistes aux membres de l’ultradroite. Et au milieu, il y a les musulmans. »
Source : Le Monde
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