Nos belles valeurs et les mots du gentil Monsieur Blanquer mettent les musulmans sous clé

Le ministre de l’Éducation nationale ne veut pas qu’on le confonde avec l’extrême droite quand il sonne la charge courtoise contre les mamans voilées.

Attaqués en 1941 par le Japon impérial, les États-Unis d’Amérique enfermèrent leurs citoyens d’origine nippone dans des camps de concentration. Cette histoire trottine dans ma tête quand la France, mon pays, frappé de terrorisme et bousculé d’identité, contemple étrangement ses enfants musulmans.

Je ne crois pas au pire, ni ne fantasme l’époque. Nul n’a ouvert de camp pour les femmes voilées, pour les hommes barbus, et nul n’en ouvrira. Nos barbelés sont de verbe et de peur, de méchants bavardages, d’humiliations, de lois mesquines parfois et d’interdits sociaux, de banalités molles, de ministres pompeux, d’imbéciles débats. C’est vivable, supportable, malgré tout désespérant.

Quelques millions de nos concitoyens subissent le même bruit depuis trente ans, sur leur inadéquation à la France; tous ne sont pas visés à l’identique. L’ostentation, l’intégrisme, le salafisme, le communautarisme sont nos ennemis désignés: seuls les croyants de trop visibles pratiques sont musulmans avant d’être citoyens.

Glabre, cheveux au vent, cigarette au bec, on peut, musulman, musulmane, se boucher les oreilles, se penser épargné; la vilenie ne visera que votre mère, votre soeur, votre cousin. Au moins le président Roosevelt, dans les familles, ne faisait pas le tri.

Rien ne se compare et pourtant, les principes sont les mêmes. C’est au nom du bien, de belles valeurs, que l’on est tourmenté, musulmane ici dont le foulard hérisse, Japonais jadis d’une démocratie attaquée.

L’Amérique qui broyait 110.000 personnes, surveillées d’abord, fliquées, soumises au couvre-feu puis jetées dans des bus et larguées dans des baraques aux confins du désert, était cette puissance généreuse dont dépendait la liberté du monde. Le Japon avait envahi la Chine, la Corée, était l’alliée de l’Allemagne nazie. Son triomphe aurait été la fin.

L’Amérique avait peur et, dans sa juste cause, ne fit pas de détail. Était-on certain de la loyauté des Nisei? Le fait même qu’ils n’aient pas organisé de sabotage prouvaient leur nature dissimulatrice, affirmait le général DeWitt, qui organisa leur exclusion. Ainsi le moindre vigilant de bistrot, en France, décrit la taqîya, cette dissimulation congénitale qui fait de chaque musulman un péril, Daesh dissimulé.

Les Nippo-Américains furent déportés jusqu’à la victoire, au nom du bien qu’il fallait protéger, dans un principe de précaution. La plupart n’en moururent pas. Pat Morita, le doux acteur des Karaté Kid, passa trois ans préadolescent au camp de Gila River, en Arizona. On avait donné aux libérés quelques dollars et un ticket de bus, comme aux bagnards en fin de peine. Ils avaient dû être coupables. Les excuses vinrent plus tard.

«Nous sommes les gentils et, gentils, nous brimons sans souci.»

Imagine-t-on qu’en France, un jour, les musulmans sortiront de leur prison de verbe, que l’on cessera de les considérer en traîtres, en cinquième colonne, en anti-France, en grenades dégoupillées, en destructeurs de nos douceurs, de nos libertés, de nos modes de vie?

Aurons-nous vaincu l’ennemi terrroriste ou dépassé nos peurs, pour oser ouvrir nos camps de mots? Que donnera-t-on alors aux musulmans de France, que diront les livres d’histoire de ce moment que nous vivons, que domine la bêtise, la violence, la méchanceté des bons?

Car nous sommes les bons, les gentils de l’histoire, en doutons-nous, libres et libertins, de belles femmes égales, et pourtant attaqués. Nous sommes les gentils comme l’Amérique était juste et, gentils, nous brimons sans souci.

C’est arrivé à nouveau, ce mois d’octobre, dans l’un de ces psychodrames dont nous avons le secret. Une femme musulmane ayant été humiliée devant son fils en larmes, en raison du voile qui recouvrait sa tête, nous avons réussi, en trois jours, à inverser l’histoire. Nous avons, un ministre, deux ministres, les télés, les crétins, les braves gens, repris le grand procès du voile, qu’il faudrait abolir, bannir que sais-je; nous avons repris la grande dispute sur l’islam, et loin d’avoir pitié de la femme, on la désigne, elle et ses pareils, comme notre vraie menace.

Le déroulé est fascinant. Vendredi 11 octobre, au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, un élu du Rassemblement national nommé Julien Odoul repère une dame vêtue de noir et portant un foulard musulman, qui accompagne son fils et d’autres écoliers de Belfort lors d’un voyage scolaire sur notre République.

Odoul la désigne à la honte publique: voilée, elle ne peut pas être admise «dans une enceinte démocratique», où son habit fait injure «à nos principes laïques» et à «toutes les femmes qui luttent pour s’extirper de la dictature islamiste» –sur Twitter, Odoul ajoutera que cette femme était en «provocation communautariste» après la mort de quatre policiers tués par un converti islamiste à la Préfecture de police de Paris.

Deux jours plus tard, sur BFM TV, le ministre de l’Éducation Jean-Michel Blanquer explique bonnement, que sur le fond, Odoul a eu raison. Le ministre n’est pas sot: il n’approuve pas formellement le mariniste. Il trouve même, dit-il, son geste «condamnable», puisque le règlement intérieur de l’assemblée régionale n’interdit pas le voile. Mais on cherche vainement chez le ministre des élèves et des parents d’élèves une vraie gentillesse, une vraie colère, pour un écolier et sa maman. «C’est idiot d’en arriver là», énonce-t-il simplement, et puis en vient à ce qui le passionne.

Cette mère d’élève blessée, le ministre la maltraite à son tour. Si on en est arrivé là, comprend le ministre, c’est bien parce qu’elle a porté ce voile, lequel voile, ajoute le ministre, «n’est pas conforme à nos valeurs» et, insiste le ministre, «n’est pas souhaitable dans notre société».

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Claude Askolovitch

 

 

Source : Slate (France)

 

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