Mauritanie : les raisons d’un changement apaisé

Il y a environ deux mois, les Mauritaniens portaient au pouvoir, l’ancien général Mohamed Ould Cheikh Ghazouani à l’issue d’une élection présidentielle où l’opposition s’est beaucoup déployée face à un homme issu de l’institution militaire.

Contrairement à la tradition, mais aussi aux prévisions, la dernière élection présidentielle en Mauritanie n’a pas débouché sur l’habituelle confrontation qui a toujours caractérisé la vie politique du pays au cours des dernières décennies.

Une confrontation qui a parfois été entachée de sang, connu des procès, des emprisonnements et même des tentatives de coup d’Etat.

On est en droit de s’interroger quant au secret de ce cas rare de climat calme et apaisé qui a marqué les premières semaines du nouveau président mauritanien qui a entamé ses premiers pas au pouvoir dans une ambiance épargnée par la tension.

Il faudrait d’abord souligner les conditions qui ont préparé le terrain à l’accession au pouvoir d’Ould Cheikh Ghazouani.

L’homme fait partie d’un groupe d’officiers que les études et la formation militaire ont réunis à l’académie militaire de Meknès, au Maroc, avant d’être propulsés au-devant de la scène en août 2005, lors du coup d’état contre l’ancien président Maouiya Ould Sid’Ahmed Taya alors au pouvoir depuis plus de vingt ans.

Il s’agit notamment de Mohamed Ould Abdel Aziz et Mohamed Ould Cheikh Ghazouani. Mais c’est leur aîné, le colonel Ely Ould Mohamed Vall, aujourd’hui disparu, qui fut alors porté au pouvoir. C’était l’un des officiers mauritaniens les plus en vue à l’époque, familier avec les dossiers politiques sensibles, grâce à sa longue expérience au poste de directeur général de la sûreté nationale durant plus de 20 ans.

Les deux cadets attendront trois ans plus tard avant de revenir au-devant de la scène après avoir fomenté un nouveau coup d’Etat contre le président civil élu à l’issu d’un processus électoral inédit dans l’histoire du pays, mais aussi dans le monde arabe : Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, premier chef d’Etat d’un pays membre de la Ligue arabe à être élu de manière démocratique et transparente.

Cette fois-ci, c’est Mohamed Ould Abdel Aziz lui-même qui sera en première ligne, comme il l’avait lui-même répété plusieurs fois et dirigera le pays dix ans durant.

Une période majoritairement marquée par une confrontation ininterrompue avec ses adversaires. Une période considérée comme l’une des plus tendues dans l’histoire du pays.

Sans s’étaler sur les raisons qui ont amené Ould Abdel Aziz à quitter le pouvoir en juin dernier et à renoncer à modifier la constitution afin de briguer un troisième mandat malgré les multiples appels et initiatives de ses soutiens, les circonstances ont propulsé cette fois Mohamed Ould Cheikh Ghazouani au-devant de la scène. Non pas comme auteur ou complice d’un coup d’état, mais comme « sauveur », la classe politique, dont certains pans de l’opposition, ayant perçu en lui l’homme du consensus.

Pour Ould Abdel Aziz, qui venait de quitter le pouvoir, affecté qu’il était, il ne pouvait trouver mieux que son compagnon d’armes pour lui succéder et probablement éviter l’ouverture de dossiers politiques, économiques et d’exactions et violations présumées des droits de l’homme légués par son prédécesseur.

A l’exception du candidat Sidi Mohamed Ould Boubacar qui a pu réunir autour de lui différents segments de diverses sensibilités politiques, les autres candidats de l’opposition, dans leur majorité, ont surtout bénéficié du rejet du pouvoir par des franges de la société, ce qui a été de nature à morceler la classe politique, déjà fortement divisée.

Le climat calme qui a suivi cette présidentielle s’explique par le style policé, la maturité affichée et l’expérience professionnelle du nouvel homme fort mauritanien dont le parcours et la personnalité ont fortement été marqué par deux « héritages »: l’armée et la vie de l’armée.

Mohamed Ould Cheikh Ghazouani a occupé différents postes au sein de l’institution militaire dont certains complexes et très sensibles.

La plus marquante parmi ces responsabilités est certainement son passage durant de longues années à la tête l’Etat-Major général de l’armée dans une étape difficile au cours de laquelle la Mauritanie a été exposée aux dangers du terrorisme qui s’est propagé dans toute la région du Sahel.

Il s’est attelé à reconstituer l’armée mauritanienne par la mise en place d’une stratégie de modernisation en mettant l’accent sur les équipements et le renseignement.

Il a réussi à chasser les groupes armés loin des frontières du pays, une réussite saluée par toute la classe politique du pays, majorité et opposition, mais aussi par la communauté internationale.

L’autre facette de l’homme est imprimée par son éducation religieuse traditionnelle reçue au sein de sa famille, connue dans la région de Boumdeïd (Centre) pour avoir propagé, des siècles durant, les valeurs de la patience face à toutes les difficultés, le dédain du matérialisme, la modestie, l’amour du travail, le respect de l’autre, le sens de l’écoute et de la compréhension.

C’est probablement ce style que lui reconnaissent ses proches, qui lui a permis de communiquer avec l’ensemble de la classe politique, même les plus hostiles et les plus virulents quant aux résultats de la dernière élection présidentielle de fin juin dernier remettant même en cause son élection.

Tout au long des dernières semaines, le président Mohamed Ould Cheikh Ghazouani a rencontré l’ensemble des dirigeants de l’opposition, paraissant avoir reçu le feu vert pour un changement apaisé et la reconstruction du pays grandement entamé, selon l’opposition, par son compagnon d’armes.

On est en droit de se poser la question de savoir qu’est-ce que Ghazouani a-t-il déployé pour obtenir de telles concessions et amorcer un nouveau départ dans un pays qui compte, dit-on, plus d’un million de politiciens plutôt qu’un million de poètes comme on avait l’habitude de dire dans le monde arabe.

Le secret, comme le révèle ceux qui l’ont connu de près, est certainement sa méthode et sa célèbre phrase « le temps de la confrontation est terminé, place à la concertation avec tous à propos des questions qui intéressent le pays. »

Un style absolument opposé à la méthode de son compagnon qui a refusé d’associer qui que ce soit à la prise des décisions, choisissant la confrontation avec tous, y compris ses très proches, considérant que le pouvoir est une affaire personnelle.

Un comportement, dont il a payé le prix fort, en cultivant la division et la confrontation entre les différentes composantes de l’opposition.

D’aucuns diront que Ghazouani a bénéficié du climat d’espoir qu’il a donné mais qu’il trouvera en face de lui un ensemble de problèmes inquiétants.

Parmi ceux-ci la déchéance de l’administration, et l’accaparement par une poignée d’hommes d’affaires proches de son prédécesseur des vannes de l’économie.

Abdallah Bah

Source : Agence de Presse Africaine

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