En Côte d’Ivoire, le premier pari de la réconciliation est réussi

A un peu plus d’un an de la présidentielle, le PDCI d’Henri Konan Bédié et le FPI de Laurent Gbagbo, rivaux, ont affiché leur réconciliation lors d’un meeting « historique ».

D’abord, une panne a semé le doute. Ce samedi midi, à quelques minutes du premier meeting de « réconciliation nationale » des deux principaux partis de l’opposition ivoirienne, les micros et les écrans géants du Parc des Sports de Treichville se sont arrêtés. La théorie du complot allant bon train, Jacqueline Gnandou, militante PDCI (Parti Démocratique de Côte d’Ivoire), a tout de suite conclu qu’on avait « volontairement coupé le courant pour ne pas qu’on puisse s’exprimer ». Deux jours plus tôt, le gouvernement avait déjà refusé le grand stade Champoux aux deux partis, arguant de travaux…

 

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Jusqu’au dernier moment, le doute a subsisté face à cette initiative historique de réconciliation. Une vraie première… « C’est un meeting déterminant pour la réconciliation, situe Antoine Bonzou, militant « modéré » du FPI et professeur de philosophie à Agboville, au nord d’Abidjan. Depuis la guerre, un mal s’est immiscé dans le cœur de tous les Ivoiriens, nous vivons ensemble mais il y a comme un hic. Désormais, nous devons passer au stade d’une politique qui unit les Ivoiriens. Alors, si on me le demande, je voterai PDCI, oui pourquoi pas ! » Un discours tenu par de nombreux militants des deux partis. Et ça aussi, c’est très neuf dans la capitale ivoirienne.

Simone Gbagbo invitée de marque

 

Dans les gradins plusieurs figures du PDCI, en pagnes vert et blanc ; et du FPI (Front populaire ivoirien), en bleu et rouge, attendent main dans la main de s’installer à la tribune présidentielle. L’ancien chef d’Etat et président du PDCI Henri Konan Bédié est absent, « il se réserve pour plus tard, en octobre à Yamoussoukro », confie son entourage en soulignant la présence comme invitée de marque de l’ex-première dame Simone Gbagbo tout sourire. Un peu plus de treize mois après son amnistie présidentielle, c’est son premier meeting populaire, après son voyage dans l’ouest du pays. Et si elle ne s’exprime pas, sa présence suffit à réjouir les militants.

Treize mois, c’est aussi le temps avant le scrutin présidentiel. Une échéance forcément dans toutes les têtes. Assoa Adou, secrétaire général du FPI, Maurice Kakou Guikahué, numéro deux du PDCI mais aussi le député Alain Lobognon, ancien prisonnier politique proche de Guillaume Soro évoquent le sujet car comme le rappelle ce dernier, « 2 020, c’est le terminus pour le RHDP » .

« Si on me le demande, je voterai PDCI »

 

Un peu à l’écart des sifflets, des danses et de la folie militante, Jean-Claude Kouassi, vêtements et chapeau noirs, dénote un peu. « C’est une très belle image, sourit-il. Je suis neutre, ni à gauche ni à droite. Franchement, je n’ai jamais vu un monde pareil, c’est fantastique, ce sont deux partis ivoiro-ivoiriens donc il y a lieu de se réconcilier, ce sont des frères qui veulent que leur pays retrouve son lustre d’antan. »

La foule n’était pourtant pas tout à fait aussi dense que prévu. Si au pied de l’imposant Palais des Sports, les tribunes du petit stade affichaient complets, remplies par les élus et responsables des deux partis ; la pelouse, elle n’était pas totalement comble. Loin en tout cas des 20 000 à 50 000 personnes espérées par l’organisation de ce « giga meeting fondateur ».

 

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A l’initiative de cette réconciliation, il y a les deux anciens chefs d’Etat autrefois rivaux, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo, qui se sont rencontrés le 29 juillet à Bruxelles, semant les premier cailloux de ce samedi historique. « HKB » avait fait spécialement le déplacement dans la capitale belge où Gbagbo réside en attendant un éventuel appel de son jugement d’acquittement devant la Cour pénale internationale de La Haye. Un rapprochement inédit pour ces deux caciques de la politique ivoirienne qui ont vécu plusieurs décennies de lutte fratricide. Dès 1982, lorsque Laurent Gbagbo fonde le FPI dans la clandestinité, il est le premier à s’opposer au PDCI, le parti unique de l’époque fondé et dirigé par Félix Houphouët-Boigny, premier président de la Côte d’Ivoire indépendante.

La majorité absolue 

 

Henri Konan Bédié, président de 1993 à 1999 après le décès de « FHB », avait rejoint Alassane Ouattara en 2005 pour s’opposer au président Gbagbo. Une alliance qui a pris fin l’année dernière et qui a rebattu les cartes. « Au départ, Bédié et Gbagbo ne s’entendaient pas c’est vrai, mais vu le comportement de Ouattara et du RHDP, Bédié s’est détaché, rappelle Assana Ouattara, vice-présidente du PDCI. Quand le PDCI s’est retiré on a vu ce qu’il se passait dans le pays, il y avait trop d’hostilités. La bonne gouvernance n’est pas de construire des ponts, il faut que la population soit heureuse de vivre dans son pays. »

Il est encore trop tôt pour parler de programme commun entre le PDCI de centre droit et d’inspiration libérale et le FPI plus à gauche. « C’est difficile de parler d’idéologie quand vous n’avez pas un minimum démocratique, explique Michel Gbagbo, fils de l’ancien président et militant FPI. Dans l’idéal nous essayons de construire une nation où les hommes politiques se parlent normalement. Mais dans les faits, lorsque la situation a été si tendue, c’est ceux qui sont au pouvoir qui ont la capacité de lancer la machine de la réconciliation, or ils ne l’ont pas fait. La plupart des crises politiques sont nées d’une élection mal organisée, mal comprise. »

Terminus 2 020

 

SI le RHDP est le parti majoritaire, beaucoup pensent que cette réconciliation pourrait changer la donne pour 2020. « Sur la base du passé, au premier tour en 2010, Gbagbo était à 38 % et Bédié à 25 %, si on met les deux partis ensemble, faites le calcul : ça donne la majorité absolue », avance, optimiste, Sébastien Djédjé, ex-ministre et vice-président du FPI chargé de la réconciliation.

Le troisième homme fort de l’opposition ivoirienne, Guillaume Soro (ex-RDR) qui a lui aussi rompu avec Ouattara en mars dernier, n’était pas présent, mais son représentant, Alain Lobognon l’assure, « il sera là la prochaine fois ». Reste à savoir si un ou plusieurs candidats incarneront ensuite l’opposition. Car de la réconciliation à l’alliance, il y a un grand pas que les partis sont encore loin d’avoir franchi.

Youenn Gourlay

Abidjan – Correspondance

Source : Le Monde

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