Contre-terrorisme : les limites du G5 Sahel

Au sommet du G7 à Biarritz, Emmanuel Macron a appelé à « un réengagement de nos partenaires africains », notamment ceux du golfe de Guinée, « qui étaient spectateurs, mais qui commencent à voir les conséquences de ce conflit ».

Analyse. Il ne faut pas se fier au large sourire de Roch Marc Christian Kaboré sur la photo de clôture du sommet du G7, le 26 août, à Biarritz. Le chef de l’Etat du Burkina Faso, invité en tant que président du G5 Sahel, groupe de coopération militaire et de développement qui rassemble la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Burkina Faso et le Tchad, n’est pas reparti avec des solutions miracles pour contenir, selon les mots d’Emmanuel Macron, « l’expansion du phénomène terroriste au Sahel ». Roch Marc Christian Kaboré rapporte du G7 un nouveau plan de stabilité. Ce plan, en cours d’élaboration, traduit tout autant l’inquiétude générale que la difficulté à remédier à des maux profondément ancrés, qui font tous les jours davantage de victimes.

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La situation régionale est alarmante. Le centre du Mali est embrasé par des mouvements liés à Al-Qaida ou à l’organisation Etat islamique (EI), auxquels s’ajoutent les groupes d’autodéfense constitués sur des bases communautaires. Le Burkina Faso est métastasé. Le Niger est touché. Le bassin du lac Tchad aussi. Et la menace glisse dangereusement vers les pays d’Afrique de l’Ouest, jusqu’ici globalement épargnés, bordant le golfe de Guinée (Togo, Bénin, Côte d’Ivoire, Ghana).

« Partenariat pour la sécurité et la stabilité pour le Sahel »

 

La création d’un « partenariat pour la sécurité et la stabilité pour le Sahel », annoncée au G7 de Biarritz, est censée répondre à ce glissement géographique de la violence. Le contenu de ce « P3S » doit être précisé lors d’une conférence que l’Allemagne et la France prévoient d’organiser « à l’automne ». En attendant, le communiqué publié le 26 août n’en fournit que les grandes lignes : « Il réunira les pays de la région et leurs partenaires internationaux (…), il aura pour objectif d’identifier les besoins en termes de sécurité et d’accroître l’efficacité des efforts déployés en matière de défense et de sécurité intérieures, notamment en améliorant la coordination internationale, en soutenant la réforme du secteur de la sécurité et en renforçant les forces de sécurité (…) Ses travaux [se fonderont] sur l’idée que des actions de développement à long terme et des mesures de sécurité efficaces font partie de la solution à l’instabilité dans la région. »

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Le G5 Sahel et la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), qui comprend notamment le Sénégal et les pays du golfe de Guinée, sont amenés à coopérer davantage, mais pas jusqu’à former une coalition militaire régionale. L’idée de cet « élargissement » n’est pas nouvelle. Elle apparaît dans plusieurs rapports et recommandations du Conseil de sécurité de l’ONU. Les pays africains concernés multiplient les réunions sécuritaires, dont un sommet exceptionnel qui réunira le G5 Sahel et la Cedeao le 14 septembre à Ouagadougou, la capitale burkinabée.

Cela tombe bien pour Paris, qui semble juger que ces Etats tardaient à réagir. Dans son discours devant les ambassadeurs de France, mardi 27 août, Emmanuel Macron l’a laissé entendre, en appelant à « un réengagement de nos partenaires africains », notamment ceux du golfe de Guinée, « qui étaient spectateurs, mais qui commencent à voir les conséquences de ce conflit ».

Cela souligne une évidence : le G5 Sahel ne peut à lui seul contenir la menace. Il n’a d’ailleurs jamais été question d’une telle ambition pour une force de 5 000 hommes, formatée pour intervenir uniquement dans les zones frontalières. Mais le temps presse et la force conjointe sahélienne est loin d’avoir montré sa capacité opérationnelle. Aura-t-elle le temps d’arriver à maturité ? Ne risque-t-elle pas de devenir obsolète avant d’avoir pu réellement exister ? Face à elle, les groupes djihadistes ont, en effet, fait preuve d’une aptitude certaine à se renouveler, en termes humains et tactiques, malgré la pression conjuguée des dizaines de milliers de soldats de la force française « Barkhane », des armées locales ou de l’ONU.

L’explosion de la violence au Burkina Faso ces derniers mois illustre tout à la fois l’agilité des djihadistes que les limites opérationnelles de la force conjointe au Sahel. Les groupes armés qui agissent de part et d’autre de la zone des trois frontières (Mali-Burkina Faso-Niger) se projettent dorénavant plus au sud, vers le Bénin et le Togo, hors de la zone d’action du G5.

L’asphyxie financière

 

Un autre danger menace la structure régionale : l’asphyxie financière. Pour l’éviter, la France ne cesse, y compris au sommet de Biarritz, de battre le rappel auprès des pays qui n’ont pas encore versé l’argent promis au G5 Sahel en février 2018 à Bruxelles. Une source de financement par l’ONU paraît aussi incertaine. Il faudrait pour cela parvenir à placer le G5 Sahel sous le chapitre VII du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis s’y opposent. Dans la conférence de presse commune tenue à Biarritz avec Emmanuel Macron et la chancelière allemande, Angela Merkel, Roch Marc Kaboré a reformulé cette demande – sans obtenir de réponse, ni de l’un ni de l’autre.

Finalement, le nouveau « partenariat pour la sécurité et la stabilité pour le Sahel » ne va-t-il pas porter un coup fatal au G5 Sahel ? Un expert français de cette organisation, contraint par sa fonction à l’anonymat, ne l’exclut pas. Il discerne notamment dans ce projet d’associer la Cedeao une manifestation de la méfiance de l’Union européenne à l’égard de la capacité du G5 Sahel à s’approprier les projets et leurs financements, ainsi qu’à renforcer sa cohésion interne. Avec la Cedeao comme nouveau partenaire, Bruxelles pourrait ainsi court-circuiter le G5 Sahel en privilégiant l’organisation sous-régionale, mieux établie. « Le G5 risque de se faire phagocyter par la Cedeao », explique-t-il, tout en avertissant que « la superposition des structures n’est pas un gage d’efficacité ».

 

Christophe Châtelot

Source : Le Monde

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