En Suède, le trafic aérien plombé par la «honte de voler»

Face à l’urgence climatique, les Suédois sont de plus en plus nombreux à bouder l’avion et à lui préférer le train, contribuant ainsi au déclin du transport aérien dans le royaume scandinave.

Est-ce l’effet Greta Thunberg, l’icône suédoise de la lutte contre le réchauffement climatique qui traverse actuellement l’Atlantique en bateau, ou bien d’autres facteurs, certains conjoncturels? Selon les spécialistes suédois du transport aérien, il est encore trop tôt pour le dire. Une chose est sûre: en Suède, l’avion a pris du plomb dans l’aile ces derniers mois et face à la «flygskam» – la honte de voler – le secteur doit s’adapter.

Les premiers signes de ce ralentissement ont été observés fin 2018. Il s’est encore accentué depuis janvier, avec une baisse de 3,8% du nombre de passagers sur les sept premiers mois, selon l’Agence suédoise du transport (Transportstyrelsen). Principalement touché, le trafic intérieur, avec 8,7% de passagers en moins. Mais les vols vers l’étranger ne sont pas épargnés, avec une diminution de 2,6% du nombre de voyageurs depuis janvier.

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Tendance de long terme ou essoufflement temporaire? «Il va falloir attendre un an ou deux avant de pouvoir tirer des conclusions», estime Jean-Marie Skoglund, expert du trafic aérien auprès de l’Agence suédoise du transport, qui voit déjà une première explication: «Le secteur aérien est extrêmement sensible aux évolutions conjoncturelles, or la Suède se dirige vers une période de ralentissement économique, ce qui pourrait expliquer en partie le déclin.»

La compagnie ferroviaire Statens Järnvägar a enregistré une augmentation de 8% de son trafic sur le premier trimestre 2019

 

Autres facteurs, plus ponctuels: «La banqueroute de la compagnie régionale Nextjet au printemps 2018, ainsi que la grève des pilotes de Scandinavia Airlines qui a duré une semaine en avril dernier et conduit à l’annulation de dizaines de vols ont affecté les statistiques», observe Jean-Marie Skoglund.

Du côté de l’opérateur Swedavia AB, qui gère les dix principaux aéroports du royaume, on tempère: «Nous avons connu une croissance de 6% en moyenne sur les dix dernières années. Ce n’est donc pas étonnant qu’il y ait un ralentissement», assure Charlotte Ljunggren, directrice marketing de l’entreprise. Elle reconnaît toutefois que le débat sur le changement climatique, particulièrement virulent en Suède depuis l’automne 2018, a «forcément eu un impact».

«Culpabilisation»

 

Même constat chez Braathens Regional Airways (BRA). Fin avril, la compagnie régionale, qui contrôle 30% du marché des vols intérieurs en Suède, a annoncé un vaste plan de restructuration, incluant le remplacement de ses dix avions à réaction par des appareils turbopropulseurs, plus petits et moins polluants. Un tiers des 1000 salariés du groupe ont été licenciés.

Au-delà de l’aspect conjoncturel, Ulrika Matsgard, directrice des ventes, pointe du doigt la «honte de voler»: «La culpabilisation de ceux qui prennent l’avion depuis l’automne 2018 a agi rapidement. Elle est particulièrement manifeste sur les lignes les plus courtes, comme Göteborg-Stockholm, où le trafic ferroviaire a augmenté tandis que nous perdions des clients.»

L’instauration d’une taxe écologique sur le transport aérien au printemps 2018 a également joué un rôle, selon Ulrika Matsgard: «Elle n’a beau être que de 60 couronnes [environ 6,10 francs] sur les vols intérieurs, nos marges sont tellement étroites que nous avons dû répercuter ce coût sur le prix des billets.» Elle critique les prises de position du gouvernement en faveur de la baisse du trafic aérien: «La solution n’est pas d’attaquer l’avion, dont le fonctionnement de nos économies et nos sociétés sont dépendants, mais d’en réduire l’impact sur le climat», commente Ulrika Matsgard.

Face aux réticences de ses clients, BRA met en avant son profil écolo: «Nous compensons les émissions CO2 sur tous nos vols automatiquement, en investissant dans des parcs éoliens en Inde et en Turquie. Nous proposons également à nos clients depuis 2018 des billets en classe environnement, qui leur permettent de remplacer le kérosène par du biocarburant, pour 300 couronnes par vol.»

En attendant, la compagnie ferroviaire Statens Järnvägar se frotte les mains. Elle a enregistré une augmentation de 8% de son trafic sur le premier trimestre de l’année, après avoir déjà progressé de 5% en 2018, tandis que les ventes du passe européen Interrail, qui permet de voyager dans plusieurs pays d’Europe en train et à prix réduit, devraient bondir de 85% cette année.

 

Anne-Françoise Hivert, Malmö (Le Monde)

 

Source : Le Temps (Suisse)

 

 

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