Exposition itinérante : Utopies africaines contemporaines

«Si nous voulons bâtir une Afrique unie, nous devons le faire solidement et la fonder sur nos convergences culturelles», soutenait le président sénégalais lors de la fondation de l’Organisation de l’unité Africaine en 1963. Ces convergences culturelles sous-tendent aujourd’hui l’exposition panafricaine itinérante «Prête-moi ton rêve», passée par Casablanca cet été. Prochaine étape à Dakar, le 6 décembre.

C’est une première. Une exposition panafricaine itinérante organisée en Afrique par des Africains et pour des Africains. Tout un symbole: celle-ci se tient trente ans après Magiciens de la terre qui avait réuni, en 1989 à Paris – c’était alors inédit –, des artistes de tous les continents, dont des Africains. Las, les successeurs de ces derniers, les Chéri Samba (Congo), El Anatsui (Ghana), William Kentridge (Afrique du Sud), Barthélémy Toguo (Cameroun) et Abdoulaye Konaté (Mali), de plus en plus présents et valorisés sur la scène internationale, sont, en revanche, très peu exposés, et donc très mal connus sur leurs terres, dans leurs propres pays.

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Pour remédier à cette injustice, à cet oubli, et montrer que les Européens et les Américains n’ont pas le monopole des grandes expositions, comme Africa Explores (New York, 1991), Short Century (Munich, Berlin, New York, 2001 et 2002) et Africa Remix (Paris, Düsseldorf, Stockholm, 2004-2006), les organisateurs du road show Prête-moi ton rêve ont réuni 28 artistes africains à Casablanca (Maroc), du 20 juin au 31 juillet, dans un premier temps.

Vue de l’exposition à Casablanca. © Fouad Maazouz

De Dakar au Cap

 

Six autres étapes suivront: la seconde se tiendra à partir du 6 décembre au Musée des civilisations noires à Dakar (Sénégal) puis, dans un ordre encore incertain, à Abidjan (Côte d’Ivoire), Lagos, Addis-Abeba et Le Cap, avant de revenir au Maroc, à Marrakech, durant l’été 2020. «Il est important que les publics puissent voir, en Afrique, des œuvres de ces artistes de grande qualité, que la jeune génération puisse interagir avec eux. La transmission est primordiale», insiste Yacouba Konaté, co-commissaire de l’exposition, directeur de la Rotonde des arts à Abidjan et professeur de philosophie.

La reine Rwej (mère symbolique de l’Empire lunda) ,  Vitshois Mwilambwe Bondo,  2019. © Fouad Maazouz

 

Née au Mali, où elle a été imaginée par Yacouba Konaté et Abdoulaye Konaté, l’idée de monter cette exposition panafricaine a fleuri et s’est concrétisée grâce à une organisation et des subsides marocains. La Fondation pour le développement de la culture contemporaine africaine (FDCCA), nouvelle structure créée en 2019, a été mise sur pied pour porter le projet. Placée sous le haut patronage du prince Moulay Ismaïl, le cousin du roi du Maroc, celle-ci est dirigée par Fihr Kettani, un entrepreneur culturel, et soutenue par des industriels, dont Mohamed Bouzoubaa, le patron d’une importante entreprise du bâtiment. Les organisateurs ont déboursé 400 000 euros pour la première étape marocaine, les suivantes disposeront, chacune, par la suite, d’un budget de 200 000 euros.

Utopies d’aujourd’hui

 

Inaugurée les 18 et 19 juin à Casablanca, Prête-moi ton rêve était abritée dans une magnifique villa avec piscine, la Villa d’Anfa, située dans un quartier chic de la ville. Un choix plutôt malencontreux tant le lieu excentré et élitiste se montrait peu propice à la diffusion de cet art auprès d’un large public.

«Le secret d’un petit poisson devenu grand», Chéri Samba. © Fouad Maazouz

 

Sur le fond, l’exposition, élégamment mise en scène, réunissait des œuvres d’artistes venant en majorité d’Afrique francophone et du Maghreb, pour un tiers d’entre eux. La plupart de celles-ci ont été réalisées en résidence, à Casablanca, au cours de l’année 2018 sur le thème du rêve, pour donner vie «à nos utopies les plus colorées mais aussi aux cauchemars qui nous empêchent de dormir», note Yacouba Konaté.

Géants de cuillères

 

Ainsi des deux acryliques et encres sur toile bleues de Barthélémy Toguo (Homo planta 2) célébrant l’interdépendance entre l’homme et le règne végétal. Ainsi aussi d’une grande sculpture du Congolais Freddy Tsimba, constituée de centaines des cuillères fabriquées en Chine, dessinant un couple de géants, dont une femme enceinte.

Les Amants du fort de Romainville , de  Freddy Tsimba,  2018.  Une œuvre réalisée à l’aide de petites cuillères. MAAZOUZ-64

 

Un Adam et une Eve africains, porteurs de vie. A noter également des toiles expressionnistes et torturées du Sénégalais Soly Cissé et un chatoyant tissage tressé d’Abdoulaye Konaté. A chaque étape, en plus de l’exposition principale, une place est faite à deux événements satellites: une exposition dédiée à une grande figure du continent africain (le Marocain Farid Belkahia à Casablanca) et une carte blanche à trois ou quatre jeunes plasticiens locaux (Hicham Berrada, Mohamed El Baz, Yassine Balbzioui et M’Barek Bouhchichi qui ont été exposés, cet été, dans la médina de Casablanca).

«Cette première étape a rempli les objectifs que la fondation s’était fixés: présenter des valeurs sûres de l’art contemporain africain aux Africains, favoriser les échanges entre artistes africains, montrer la vitalité de la scène artistique africaine en Afrique et donner une visibilité aux artistes locaux. L’événement a également provoqué une véritable adhésion et un engouement inédit dans le milieu artistique africain», soulignent les organisateurs.

Homo planta II ,  Barthélémy Toguo,  2018. © Fouad Maazouz

Chemin choisi

 

On regrettera cependant, dans cette sélection un peu trop consensuelle, que peu d’œuvres s’attaquent à des thématiques politiques. L’Afrique, qui réunira dans trente-cinq ans le quart de la population du globe, pourrait, consciente des errements des pays développés – Occident en tête –, reprendre en main son destin et choisir d’emprunter d’autres voies, et contribuer ainsi à «porter l’humanité à un autre palier»…

C’est le rêve que poursuit l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr. «L’Afrique n’a personne à rattraper. Elle ne doit plus courir sur les sentiers qu’on lui indique, mais marcher prestement sur le chemin qu’elle se sera choisi», écrit-il dans un essai stimulant, Afrotopia. Le coauteur du rapport sur la restitution du patrimoine africain se fait, ici, le chantre d’une utopie active, d’une Afrique soucieuse «d’infléchir le cours des choses» et de contribuer à «une montée en humanité» en «bâtissant une civilisation plus responsable, plus soucieuse de l’environnement, des générations à venir et du bien commun». Rien n’interdit de rêver. «Les utopies d’aujourd’hui sont les réalités de demain», écrivait Victor Hugo.

Rouge touareg n°1 ,  Abdoulaye Konaté,  2018. © Fouad Maazouz

Eric Tariant


«Prête-moi ton rêve». Exposition panafricaine itinérante. Casablanca, Abidjan, Dakar, Lagos, Addis-Abeba, Le Cap, Marrakech. Prochaine étape à Dakar, au Musée des civilisations noires, le 6 décembre.

«Afrotopia», Felwin Sarr (Philippe Rey, 2016).

Source : Le Temps (Suisse)

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