A l’origine de la révélation de plusieurs affaires qui ont secoué la Ve République, le journaliste est mort le 25 juillet à Argenteuil. Il avait 81 ans.
C’était un enquêteur qui ne croyait pas dans l’investigation, un républicain de gauche qui nourrissait une tendresse pour la chouannerie, un pourfendeur de faux-semblants qui se teignait les cheveux avec coquetterie. Pierre Péan est mort le 25 juillet à l’hôpital d’Argenteuil (Val-d’Oise), à l’âge de 81 ans. Auteur d’une quarantaine de livres, il était devenu la figure tutélaire du journalisme d’enquête en France à la faveur de plusieurs scoops retentissants – et parfois controversés. Péan était devenu une marque à lui tout seul, le seul journaliste indépendant français capable de décider de ses sujets d’enquête, de les autofinancer et d’y consacrer une à deux années à temps plein.
Né le 5 mars 1938 à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), Pierre Péan est un enfant de la deuxième guerre mondiale. Plusieurs de ses livres racontent la France de la collaboration ou de la Résistance, de Jean Moulin, auquel il consacra trois livres, au docteur Martin, cagoulard, résistant puis membre de l’OAS. François Mitterrand, auquel il vouait une grande admiration, résumait le mieux pour lui les ambiguïtés et contradictions de cette époque trouble, comme il le révéla dans Une jeunesse française (Fayard, 1994) : au service du maréchal Pétain, qui le décora de la francisque, le futur président socialiste anima aussi pendant la guerre un réseau de Résistance. Dans Ma petite France (Albin Michel, 2017), Péan retrace le quotidien de Sablé-sur-Sarthe de la débâcle à la libération. « Notre génération était marquée par la théorique du glaive et du bouclier, explique Guy Vadepied, ami d’adolescence de Péan et ancien élu socialiste. Les choses n’étaient pas aussi tranchées qu’aujourd’hui. »
L’Afrique, un fil rouge
Fils d’un coiffeur et descendant d’une famille de charbonniers, Pierre Péan a été le premier de sa famille à faire des études supérieures en droit et en économie. Plus tard, ses best-sellers lui ont permis d’acheter le château des Basses-Chapellières, à Maumusson (Loire-Atlantique), auquel il a consacré un ouvrage historique et d’où il pensait que sa famille maternelle était originaire.
En 1962, Pierre Péan part travailler au Gabon comme coopérant dans la fonction publique. C’est son premier contact avec le continent qui sera un fil rouge tout au long de sa carrière. C’est d’ailleurs à l’Afrique qu’il doit son premier scoop, publié en 1979 dans Le Canard enchaîné, sur les diamants offerts par le dictateur centrafricain Bokassa à Giscard d’Estaing. L’affaire, même s’il s’est avéré plus tard que la valeur des diamants était largement surévaluée, deviendra le symbole de la fin de règne « monarchique » de VGE et contribuera à sa défaite en 1981. Son premier grand succès de librairie, Affaires africaines (Fayard, 1983), qui traite du Gabon, marque le début de sa fructueuse collaboration avec l’éditeur Claude Durand.
La défense d’une certaine idée « gaullo-mitterrandienne » de la France domine la production éditoriale de Pierre Péan
Le pétrole, la Françafrique et les secrets d’Etat, notamment l’attentat contre le DC-10 d’UTA, alimentent de nombreux ouvrages qui établissent sa réputation d’enquêteur. « Chaque enquête était le prolongement de la précédente, explique la journaliste Vanessa Ratignier, qui a coécrit plusieurs livres et documentaires avec Pierre Péan ces dix dernières années. Il travaillait à l’ancienne, avec lenteur et minutie, comme un artisan qui reprend sans cesse son ouvrage. » Péan, qui cultivait un look d’enquêteur sans peur et sans reproche – grosse moto, grosse moustache –, était un faux solitaire, qui aimait travailler en équipe, notamment avec Christophe Nick, avec lequel il a écrit TF1, un pouvoir (Fayard, 1997) et réalisé nombre de documentaires.
Le livre sur François Mitterrand, son plus grand succès de librairie, a été un tournant. Alors qu’il le concevait comme une réconciliation entre les deux faces de l’ex-président, proche de la mort et avec son accord tacite, l’ouvrage fut reçu comme la trahison de trop par les déçus du mitterrandisme. Un malentendu qu’il regrettait, lui qui voulait « s’attacher à comprendre les trajectoires des personnalités sans les juger, sans les salir, tout en assumant la révélation des faits ». Il chercha à réhabiliter Mitterrand dans Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances (Plon, 2002).
A partir de ce moment-là, la défense d’une certaine idée « gaullo-mitterrandienne » de la France domine la production éditoriale de Pierre Péan. La fidélité à ses amitiés et à ses convictions, marquées au sceau du chevénementisme, prend parfois le pas sur la rigueur de ses enquêtes et leur absence d’a priori. Son livre consacré à Chirac, L’Inconnu de l’Elysée (Fayard, 2007), s’apparente à une longue défense et illustration de celui qu’il voit comme le dernier gaulliste depuis son refus de l’invasion de l’Irak en 2003. A l’inverse, le « mondialiste » Bernard Kouchner, accusé de néo-conservatisme pro-OTAN, récolte son courroux dans Le Monde selon K. (Fayard, 2009), qui tient plus du pamphlet que de l’enquête.
Polémiques
Ces années sont entachées par les polémiques. D’abord avec la direction du Monde après la publication de La Face cachée du Monde (Mille et une nuits, 2003). Au quotidien du soir dirigé par le triumvirat Colombani-Plenel-Minc, Péan reproche « le dénigrement et la détestation de la France », des hommes politiques en général et de François Mitterrand en particulier, au profit d’un pouvoir médiatique moralisateur et hors de contrôle. Par ailleurs, Péan l’enquêteur reproche à Plenel l’investigateur de dévoyer le genre en transformant les journalistes en courroie de transmission des juges d’instruction, voire en procureurs.
Les dirigeants du journal menacent les auteurs et l’éditeur de porter plainte en diffamation et de réclamer 2 millions d’euros de dommages-intérêts : au final, un accord de médiation interdit tout retirage du livre en échange du retrait des plaintes. Mais au sein du journal, la charge, violente, déclenche une crise qui aboutira aux départs successifs de Plenel (2005), puis Colombani (2007) et enfin Alain Minc (2008).
C’est sur le Rwanda que Péan est allé le plus loin dans sa défense du legs mitterrandien et de l’honneur de la France. Il a consacré deux ouvrages au génocide de 1994. Noires Fureurs, blancs menteurs (Mille et une nuits, 2005) accuse, tout comme le juge Bruguière, le FPR de Paul Kagamé d’être responsable du génocide de ses congénères tutsi en ayant commis l’attentat du 6 avril 1994. Le plus grave est sa négation du caractère tutsi du génocide – pour Péan, plus de Hutu ont été tués – et ses généralisations ethnicistes sur la « culture du mensonge » des Tutsi. Il fut relaxé d’une plainte pour « provocation à la haine raciale » de SOS-Racisme. En 2018, il avait cosigné avec son fils Jean Grégor un livre sur l’extermination des juifs de Lituanie : Comme ils vivaient (Seuil).
Christophe Ayad
Source : Le Monde
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