Moustapha Kamal Gueye, saisir la chance des emplois verts

Coordinateur du programme sur les emplois verts à l’Organisation internationale du travail (OIT), le Sénégalais Moustapha Kamal Gueye appelle à des investissements massifs dans les énergies renouvelables, l’isolation des bâtiments ou les véhicules électriques.

Dans son veston cravate, Moustapha Kamal Gueye a l’allure d’un jeune premier mais il parle comme un sage. Le coordinateur du Programme sur les emplois verts à l’Organisation internationale du travail (OIT) prend le temps pour expliquer minutieusement que les périls qui guettent la planète peuvent aussi se transformer en opportunités.

Ce Sénégalais de 49 ans, cosmopolite et polyglotte, a passé les vingt dernières années à documenter ces potentialités et à tenter d’en persuader les décideurs. En chiffres, cela pourrait donner ceci: 24 millions d’emplois créés dans le monde d’ici à 2030 dans les énergies renouvelables, l’isolation des bâtiments ou les véhicules électriques. Des gains d’emplois qui contribueraient à la réalisation du huitième objectif du développement durable: promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable mais aussi le plein-emploi et un travail décent pour toutes et tous.

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Mais le temps presse. «L’humanité n’a plus que douze ans pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et pour contenir le réchauffement à un degré et demi, le seuil qui permettrait de limiter les dégâts», met en garde cet expert bardé de diplômes, en rappelant les conclusions du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Dans le même laps de temps, l’OIT prévenait début juillet que les vagues de chaleur, de plus en plus intenses et fréquentes, pourraient détruire 80 millions d’emplois dans le monde, principalement dans l’agriculture et la construction, surtout dans les pays du Sud.

Le retour du Green New Deal

 

Avec de nombreux autres collègues, Moustapha Kamal Gueye préconise depuis des années des investissements massifs dans l’économie verte. En 2009, pour marquer les esprits, les experts réunis par le Programme des Nations unies pour l’environnement appellent le G20, les pays les plus industrialisés, à un Green New Deal. Une référence au programme de relance économique du président américain Franklin Delano Roosevelt, qui a permis aux Etats-Unis de sortir de la crise de 1929. L’expression est longtemps restée confidentielle. Elle réapparaît aujourd’hui avec force dans le débat politique outre-Atlantique, notamment portée par la jeune élue démocrate Alexandria Ocasio-Cortez. Il aura fallu dix ans…

Moustapha Kamal Gueye préfère voir le verre à moitié plein: «La question climatique est désormais prioritaire.» Lui-même n’a pas acquis la fibre verte du jour au lendemain. Issu de la classe moyenne de Dakar, une mère enseignante et un père dans l’administration, Moustapha Kamal Gueye suit des études de droit dans la capitale sénégalaise. Il poursuit avec une thèse sur l’intégration économique de la région et s’intéresse, à titre de comparaison, au développement économique fulgurant de l’Asie du Sud-Est. Le tournant dans le parcours du Sénégalais intervient quand l’Université de Nagoya lui accorde une bourse pour poursuivre ses études. Il envisageait de finir son doctorat à Genève mais décide de faire le grand saut japonais.

La leçon des «gilets jaunes»

 

«Le Japon s’ouvrait et j’étais loin d’être le seul étudiant étranger», nuance-t-il modestement. Le pays accueille alors les négociations internationales sur le Protocole de Kyoto, visant à réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Le débat est vif et le monde académique s’en empare. Moustapha Kamal Gueye rejoint l’Institut pour des stratégies environnementales globales (Institute for Global Environmental Strategies – IGES), créé dans le sillage de Kyoto, et se penche sur les investissements dans les énergies renouvelables en Asie. La collaboration avec le professeur Akio Morishima, qui a défendu devant la justice les victimes de l’empoisonnement au mercure de Minamata, inspirera fortement le doctorant sénégalais. Il passera douze ans dans l’archipel nippon avant de venir à Genève, d’abord au sein du Centre international pour le commerce et le développement durable, une ONG qui a récemment mis la clef sous la porte, et depuis 2012, à l’OIT.

Cette grosse machine onusienne est parfois frustrante, reconnaît l’optimiste. «Au début, je ne comprenais pas comment un conseil d’administration [l’organe exécutif de l’OIT, ndlr] pouvait durer trois semaines. Il faut non seulement s’entendre avec les gouvernements, mais aussi avec les organisations patronales et les syndicats.» Avec le recul, il juge que cette structure tripartite, unique dans les organisations internationales, est une force. «Une fois qu’il y a un consensus, les décisions engagent les principaux acteurs de la société, elles sont plus solides. La lutte contre le changement climatique ne peut se faire sans concertation sociale. C’est la leçon de la crise des «gilets jaunes» en France. Le gouvernement a dû renoncer à augmenter les taxes sur le carburant», conclut le Sénégalais.

Les choix de l’Afrique

 

Depuis son bureau du dixième étage, semblable à tant d’autres dans l’immense bâtiment de l’OIT, n’a-t-il pas l’impression de perdre le contact avec les réalités du terrain? Moustapha Kamal Gueye s’en défend. Une bonne part de son travail consiste à assister les pays qui veulent s’engager sur le chemin de la transition énergétique mais craignent les pertes d’emploi. «Elles sont inévitables», admet-il. L’OIT anime notamment un réseau de coachs pour les entrepreneurs verts sur le continent africain. «Lors d’un forum sur l’emploi à Dakar, j’ai rencontré un ingénieur informaticien dont la grand-mère est asthmatique. En l’absence de relevé accessible de la pollution de l’air, il a développé une application pour les téléphones portables alimentée par des capteurs fixés sur une voiture sillonnant la capitale.»

Le coordinateur de l’OIT reprendra son bâton de pèlerin au Sénégal la semaine prochaine, pour participer à des débats sur l’avenir énergétique du pays. Des gisements de pétrole et de gaz sont en cours d’exploration au large des côtes sénégalaises. En Afrique, la Mauritanie, l’Ouganda ou le Ghana s’apprêtent eux aussi à entrer dans le club des pays exportateurs d’hydrocarbures. Pas question de les inciter à renoncer à ces gisements de devises et d’emplois. Moustapha Kamal Gueye se mue en avocat du continent: «L’Afrique a très peu contribué au réchauffement climatique. Mais attention, mon pays ne doit pas se laisser confiner dans l’énergie fossile et doit déjà planifier la transition.» Il va encore falloir faire preuve de persuasion.

 

Simon Petite


 

L’agenda 2030 du développement des Nations unies comprend 17 Objectifs de développement durable (ODD), que «Le Temps» incarne cette semaine à travers cinq personnalités.

Episodes précédents:

Source : Le Temps (Suisse)

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