Maroc : Hassan II, « pote » et despote

Il y a vingt ans s’éteignait le roi Hassan II. Il léguait à son fils, l’actuel roi Mohamed VI, un Maroc apaisé et une classe politique domestiquée. Son règne de 38 ans (1961-1999) a traversé la moitié du siècle dernier, mais son bilan reste très controversé : véritable « pote » pour ses amis, notamment français, il a été un despote pour ses « sujets ». Itinéraire d’un roi mégalo.

La rumeur a pris naissance à Rabat en début d’après-midi du vendredi 23 juillet 1999, dans les villas cossues de Souissi et de Bir-Kacem où réside l’élite politique et militaire du royaume, puis elle s’est mise peu à peu à enfler : Hassan II, qui avait régné d’une main de fer pendant 38 ans sur 30 millions de « sujets », était mort ! Vers 16 h, la télévision officielle arrête ses programmes pour faire place à la lecture non-stop du Coran, fait étrange en plein été, quand les villes côtières sont déjà prises d’assaut par la population, et que touristes et résidents marocains à l’étranger profitent à plein régime de leur mois de vacances « au bled ».

Quelques heures plus tard, ce qui était une rumeur persistante devient une information officielle. Comme par magie, le visage d’un célèbre propagandiste et présentateur indéboulonnable du « 20 heures » marocain, Mustapha El-Alaoui, apparaît soudainement sur le petit écran. Yeux baissés, visage blême, il déclare d’une voix brisée par l’émotion : « Notre maître est dé-cé-dé… », puis fond en larmes.

Hassan II avait rendu l’âme en effet vers 14 h ce jour-là, dans la clinique royale, au 7e étage de l’hôpital Avicenne de Rabat, neuf jours seulement après avoir été l’invité de marque de son ami Jacques Chirac aux cérémonies du 14 juillet, sur les Champs-Élysées. Sur son lit de mort, il était entouré de ses deux fils et de son puissant ministre de l’intérieur, Driss Basri. Pour ce despote et « ami » de la France, né dans l’entre-deux-guerres, c’était le tomber de rideau : la fin de son règne coïncidait étrangement avec celle du siècle. Un siècle marocain.

Retour à une monarchie sans partage

 

Il avait 32 ans en 1961 lorsqu’il accédait au trône. En ce temps-là aussi, les rumeurs les plus folles avaient circulé : lors d’une banale opération chirurgicale, il aurait demandé au médecin anesthésiste suisse de « forcer la dose » pour favoriser le décès de son père, Mohamed V, alors âgé de 51 ans seulement. L’objectif ? Tordre le cou aux leaders nationalistes de l’Istiqlal et de l’Union nationale des forces populaires (UNFP), une scission menée par Mehdi Ben Barka au sein de l’Istiqlal en 1959 qui étaient à deux doigts d’engloutir les pouvoirs de la monarchie pour en faire un simple figurant. Il faut dire qu’à l’époque, le parti nationaliste de l’Istiqlal et l’UNFP se comportaient en partis uniques et l’arrogance de leurs dirigeants (d’Allal El-Fassi à « Fqih Basri » en passant par Mehdi Ben Barka) n’avait d’égal que la volonté de dominer toute la vie politique. Lors des conseils des ministres, ils n’hésitaient pas à humilier ouvertement le sultan devant son fils, alors prince héritier, rapportent les témoins de l’époque.

Pour mettre un terme à l’hégémonie de ces nationalistes assoiffés de pouvoir, et aguerris aux joutes politiciennes, le jeune roi décida de s’appuyer sur l’élite politique, administrative et surtout militaire berbérophone, francophile et résolument anti-istiqlalienne, formée par les Français à partir des années 1930 au collège berbère d’Azrou, un petit village niché au cœur du Moyen Atlas. La figure la plus emblématique de cette élite est un certain… Mohamed Oufkir. Le roi et lui formaient un duo implacable : ils avaient déjà constitué ce qui deviendra les Forces armées royales (FAR) en 1958, et maté, la même année, une rébellion au Rif (nord) se réclamant d’Abdelkrim, une légende encore vivante puisqu’il était, à l’époque, exilé au Caire où il sera enterré après sa mort en 1963.

Les années de plomb

 

La mort de Mohamed V est la fin d’une époque et le début d’une autre, qu’on appellera plus tard les « année de plomb » : une répression sans merci des opposants nationalistes. Certains sont condamnés à de lourdes peines, d’autres poussés à l’exil, à l’instar du plus célèbre d’entre eux, Mehdi Ben Barka, ancien professeur de mathématiques d’Hassan II ; d’autres enfin, disparus.

Pour Hassan II, l’absolutisme devait être habillé juridiquement. Il promulgue en 1962 une Constitution sur mesure, rédigée par le constitutionnaliste français Maurice Duverger. Elle est fortement inspirée de celle de la Ve République, sauf que le roi s’arroge à la fois les pouvoirs du président et du premier ministre français. Il s’autoproclame « commandeur des croyants », un statut religieux qui le rend sacré et intouchable, et se découvre une descendance directe du prophète Mohammed.

 

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Omar Brouksy

Source : Orientxxi.info

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