France : Pourquoi certains binationaux célèbrent leurs victoires plus que d’autres

Plus visible que celle d’autres communautés comme les Italiens ou les Espagnols, la ferveur des Algériens en France, comparable à celle des Portugais, s’explique de plusieurs façons.

FOOTBALL – Les Champs-Elysées resteront ouverts. Un dispositif policier “important pour contenir toute tentative de troubles à l’ordre public” sera mis en place mais le Ministère de l’Intérieur a dit non aux fan zones. La finale de la Coupe d’Afrique des Nations opposant l’Algérie au Sénégal vendredi 19 juillet soulève bien des questions en France. Et, cela n’a que peu de rapport avec les performances sur le terrain des joueurs mais beaucoup avec les célébrations des supporters.

Après le quart et la demi-finale, en marge des célébrations, des débordements qui ont mené à des dégradations et des interpellations ont fait la Une des médias et provoqué de nombreuses réactions chez les politiques. Hormis ces troubles, les drapeaux aux fenêtres des voitures, les concerts de klaxons et autres manifestations de joie et de fierté ont pu surprendre par leur spontanéité et leur importance. Plus visible que celle d’autres communautés comme les Italiens ou les Espagnols, cette ferveur des Algériens en France s’explique de plusieurs façons.

“La force du sentiment national”

Patrick Simon, directeur de recherches à l’Ined, spécialiste de l’immigration et des discriminations, interrogé par Le HuffPost, met en avant “la force du sentiment national”. “L’histoire de la guerre d’Algérie et l’attachement au pays et à son indépendance le placent dans une position très particulière par rapport à l’Italie ou à l’Espagne, analyse-t-il. Cela renforce le lien entre les Algériens et l’Algérie pour ceux qui sont de nationalité française et/ou algérienne mais aussi pour leurs enfants, y compris ceux qui sont nés en France.”

Au cours de ses recherches, Patrick Simon a entre autres questionné les représentations qui sont faites de tel ou tel groupe et les conséquences directes sur la façon dont les personnes se perçoivent. “Il y a des expériences de mises à l’écart, de discriminations, des discours négatifs vis-à-vis des Algériens. Ces stigmatisations peuvent renforcer le sentiment d’appartenance. Il y a des interprétations systématiquement  à charge: même quand ils font la même chose que d’autres supporters, les réactions ne sont pas de même nature.”

L’exemple des supporters portugais immigrés, binationaux ou descendants qui vivent en France est à ce titre parlant. En 2016, l’équipe menée par Cristiano Ronaldo bat la France en finale de l’Euro. “Je suis fière d’être Portugaise”, clame une supportrice de Perpignan au micro de France 2. Tous les médias filment les scènes de liesse populaire qui durent tard dans la nuit du Nord à la Corse.

“Les Portugais sont en général perçus comme les bons élèves de l’intégration, remarque Patrick Simon, alors que les Algériens sont critiqués sur tout ce qu’ils font. Les premiers évoluent pour une partie d’entre eux dans une communauté aux liens denses, ils sont très mobilisés dans le cadre des matchs de football sans jamais être taxés de communautaristes. C’est plutôt vu comme du folklore.”

De ces célébrations de la finale de l’Euro, on retiendra deux images, d’abord celle d’un enfant portant le maillot portugais et réconfortant un homme au maillot des Bleus en larmes. Celle aussi d’incidents survenus notamment près de la fan-zone de la Tour Eiffel avant et pendant le match et qui ont entraîné une cinquantaine d’interpellations. Des débordements qui n’ont par contre pas entraîné de polémique politique contrairement aux réactions relevées cette semaine.

Derrière la binationalité, beaucoup de suspicions

La fierté d’appartenir à un autre pays que la France, la binationalité, qu’elle soit officielle ou dans le cœur, engendre de la suspicion. “Elle renvoie au mythe de la ‘cinquième colonne’, explique Karim Amellal, écrivain et enseignant à Sciences Po dans une tribune publiée dans Le Monde. L’idée est toujours la même: autour de nous, des individus menaceraient, par leur altérité de papier, l’identité nationale, voire entretiendraient de funestes intelligences avec l’ennemi”. C’est là aussi que se niche le malaise.

Patrick Simon a travaillé sur l’enquête “Trajectoires et origines” sur la diversité des populations en France, menée par l’Ined et publiée en 2016. Dans celle-ci, il est question entre autres choses de binationalité et du sentiment d’appartenance. Les multiples entretiens et questionnaires menés par les chercheurs battent en brèche certaines idées reçues. “Les identités ne sont pas en concurrence mais se complètent”, concluent les chercheurs. “En revanche, si l’on pousse les gens à se déterminer, à choisir, c’est là que des tensions naissent chez eux”, assure aussi Patrick Simon.

L’équipe d’Algérie en est un parfait exemple. 14 des joueurs sont franco-algériens. En Algérie aussi, la binationalité dans le foot ou ailleurs, est un “sujet crispant” selon les mots de Karim Amellal. “Lors de l’élimination des Verts au premier tour de la CAN en 2017, l’équipe nationale algérienne fut la cible d’attaques xénophobes pourfendant les joueurs binationaux, qualifiés de traîtres ou de ‘Français’.”

Or, cette binationalité est capitale pour comprendre aussi bien les célébrations des supporters que ce que représente cette équipe. “Si cette équipe composée de 14 binationaux, dont l’entraîneur Djamel Belmadi, suscite un tel engouement, une telle fierté des deux côtés de la Méditerranée, c’est sans doute aussi parce qu’elle symbolise le rêve d’une Algérie plurielle, réconciliée avec elle-même et ouverte sur sa diaspora, et sur le monde. Un rêve qui retentit chaque vendredi dans la foule qui défile en Algérie. Un rêve contre lequel, de peur d’être englouties, se dressent toutes les forces réactionnaires du pays.”

Comme l’explique Karim Amellal, les célébrations autour de l’équipe de foot algérienne sont aussi à replacer dans un contexte particulier. Depuis le mois de février 2019, chaque vendredi est synonyme dans plusieurs villes d’Algérie de marches pour demander un changement radical du système politique, économique et social. L’épopée de l’équipe des Fennecs jusqu’en finale de la CAN vient “conforter tous ceux qui battent le pavé chaque vendredi pour exiger un changement radical”, explique le quotidien en ligne Tout Sur l’Algérie car cette contestation a d’abord commencé dans les stades de foot.

Source : HuffPost

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