Parentologie : « Quand est-ce qu’on arrive ! »

L’éducation est une science (moyennement) exacte. Sur la route des vacances, Nicolas Santolaria évoque ces moments de joie en famille qu’offre le trajet en voiture.

Si gérer ses enfants durant l’année n’est pas forcément chose aisée, il est une perspective largement plus angoissante sur l’échelle aux barreaux savonneux de l’épuisement parental : les vacances. Du jour au lendemain, vous vous retrouvez alors nez à nez avec votre progéniture, sans le cordon sanitaire que constituaient l’école, les activités diverses et les virées chez les copains. Même votre travail, qui se dressait jusque-là comme un rempart infranchissable (« Moins de bruit, les enfants, papa doit boucler un dossier important »), s’écroule en période estivale sous les coups de boutoir de votre entrée dans les congés payés. Vous voilà nu (métaphoriquement, bien sûr, car en vrai vous êtes en pantacourt multipoche) face à cette horde hurlante qui crame autant d’énergie à la journée qu’un paquebot Costa Croisières. Même si vous avez sué sang et eau pour en arriver là, la période qui s’annonce ne sera pas de tout repos.

Remplir les valises

 

Le premier gros écueil sur votre route de vacancier ne tarde pas à apparaître lorsque vient le moment fatidique (juste avant le départ, c’est mieux) de remplir les valises. Comme vous avez désormais la même mentalité qu’une prévoyance santé, vous enfournez dans les bagages de quoi répondre potentiellement à toute situation : des Méduse pour ne pas se couper les pieds sur les rochers ; des bottes pour s’il pleut et qu’il fait froid ; des tee-shirts hyper légers pour s’il fait chaud ; des marinières pour si vous décidez de faire une journée pêche aux moules ; des pulls pour s’il tombe deux mètres de grêlons (regardez ce qui s’est passé à Guadalajara) ; des palmes pour propulser le Bodyboard et échapper aux requins ; des maillots amples pour la plage et des slips de bain moulants pour la piscine ; une trousse de secours avec l’Aspivenin qui ne vous a jamais servi à rien « mais on ne sait jamais » ; des casquettes et des bobs (au cas où vous perdriez les casquettes) ; des chaussettes pour ne pas que les enfants transpirent ­directement dans leurs chaussures, et des claquettes pour s’ils transpirent trop dans leurs chaussettes ; des coupe-vent parce qu’il y a souvent une petite brise fraîche le soir ; du spray solaire indice 50 ; des granules ­d’arnica ; de la crème antibobos ; de la citronnelle ; des compotes en gourde… La liste est interminable, et le chargement du véhicule ressemble au départ de la Croisière jaune.

Dans l’habitacle, une fois que vous avez chanté « Le lion est mort ce soir » et réalisé votre quiz éducatif sur « la capitale de la France », vous avez pour ainsi dire cramé toutes vos cartouches.

La seule personne qui voyage avec plus de bagages que vous, c’est peut-être Kim Kardashian. Généralement, c’est ce moment à fort coefficient de stress, celui où vous tentez de faire entrer les derniers mètres cubes dans votre coffre à coups de talon, que choisit le doudou pour disparaître. « Mais je l’avais posé là ! » pleurniche votre fils face à l’évidence de l’absence. Si vous ne retrouvez pas vite ce bout de tissu ­baveux, c’en est fini de votre projet de vacances. Dans l’habitacle, une fois que vous avez chanté Le lion est mort ce soir et réalisé votre quiz éducatif sur « la capitale de la France » (« Paris, oui, c’est ça ! »), vous avez pour ainsi dire cramé toutes vos cartouches. Votre diesel a tout juste eu le temps de cracher ses premières particules fines dans l’atmosphère que, de la banquette arrière, commencent à monter les premières plaintes : « C’est quand qu’on arrive ? »

Arbitre de catch

 

Généralement, face à ce début de rébellion rituelle, je me réfugie en mon fort Boyard intérieur, mutique, arborant le sourire crispé du VRP qui a fait un mauvais mois. Là, histoire de vous remonter le moral, Autoroute FM annonce que Bison futé s’est planté. Non, la journée n’est pas orange, mais rouge écarlate. Vous tentez alors de slalomer habillement entre les véhicules, mais cette gymnastique exigeante en matière de concentration est rendue presque impossible par vos enfants qui hurlent à l’arrière. Ils ont faim, ils ont soif, ils ont envie de faire pipi, ils s’ennuient, ils se battent… Lancé à 140 km/h, vous devez désormais tourner la tête pour vous transformer en arbitre de catch. D’après une étude de l’association Attitude Prévention datant de 2018, 64 % des enfants ont déjà vu leurs parents avoir une attitude risquée au volant. Grâce à ce mouvement giratoire furtif, vous constatez que la banquette, que vous aviez ­consciencieusement aspirée avant le départ, ressemble maintenant à une déchetterie roulante.

Soudain, face à ce spectacle cataclysmique et au niveau de décibels qui vous empêche d’écouter tranquillement Angèle (Balance ton quoi), la porte de votre fort Boyard intérieur pète d’un coup sec. « Putain mais bordel, fermez vos gueules, les mioches !!! » Oups. Vous vous étiez pourtant juré de ne jamais parler comme ça, mais c’est plus fort que vous. Les enfants ont cette capacité inouïe à vous user les nerfs au quotidien sans – et c’est là le miracle – que vous réussissiez à leur en vouloir durablement. Ce pouvoir de susciter à la fois l’hystérie et l’amnésie explique le fameux surnom que leur donnent certains grands-parents : les « chicoufs » (« chic, ils arrivent ; ouf, ils repartent »).

Les coups de gueule au péage de Saint-Arnoult

 

Paradoxe suprême, tous ces horribles moments qui, comparativement, feront facilement passer votre année de labeur pour un hobby sympathique contribueront en réalité à fabriquer des super souvenirs. « Ah, tu te rappelles quand tu nous hurlais dessus sur l’A 10 ? », vous diront peut-être un jour vos enfants avec nostalgie. J’espère en tout cas que les miens se souviendront de mes coups de gueule totalement improductifs, généralement balancés avant l’arrivée au péage de Saint-Arnoult. Ce que ne savent pas ces ­petits Gremlins, c’est que peut-être, un jour, comme ce couple de parents avec qui je discutais récemment, vous opterez pour les grands moyens : un club de vacances all inclusive avec système de garderie illimité. Mais, à coup sûr, après avoir siroté tranquillou vos mojitos au bord de la piscine en regardant du coin de l’œil les enfants s’éclater au Club Pirate, vous regretterez vite vos journées d’avant, celles où vous aviez le luxe extrême de ne plus vous appartenir.

Nicolas Santolaria

 

Source : L’Epoque (Le Monde)

 

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