Du poulailler au tribunal : comment le coq Maurice se retrouve jugé pour avoir chanté trop fort et trop tôt

Le gallinacé objet du litige vit à Saint-Pierre d’Oléron (Charente-Maritime), où ses cocoricos dès l’aube agacent un couple de voisins, propriétaires d’une résidence secondaire. L’affaire dure depuis 2017 et suscite de nombreuses réactions.

 

« Si mon coq pouvait parler ? Il dirait ‘Foutez-moi la paix et laissez-moi chanter !’ Point barre. » Corinne Fesseau, la propriétaire de Maurice, le confirme : le gallinacé aime pousser la chansonnette chaque matin vers 6h30. Trop fort et trop tôt pour deux de ses voisins. A tel point que leurs accusations lui ont valu un procès qui s’est tenu jeudi 4 juillet. Mais son cocorico n’a pas résonné dans la salle d’audience. Le coq n’a pas mis une patte dans le tribunal d’instance de Rochefort (Charente-Maritime). Corinne Fesseau l’a représenté. Il était également soutenu par des congénères : comme ils l’avaient annoncé, plusieurs propriétaires de coqs ont fait le déplacement avec leurs volatiles. Attila, Jean-René et Casanova l’ont défendu bec et ongles. Le tribunal d’instance de Rochefort rendra son jugement le 5 septembre. D’ici là, une conciliation peut encore avoir lieu.

Maurice, lui, est resté bien au chaud dans son poulailler, à Saint-Pierre d’Oléron, où il vit depuis 2015 avec toute une basse-cour. « La communauté de communes a dit qu’on pouvait avoir des poules, pour parvenir à zéro déchet dans chaque foyer, raconte à franceinfo Corinne Fesseau, chanteuse locale connue sur l’île d’Oléron. L’idée est venue de là. Je voulais des poules de Marans, car elles font des œufs magnifiques. Un copain m’a offert un poussin de cette race. » Le gallinacé grandit. Et un matin, à l’instar de sa propriétaire, il fait des vocalises. Le mis en cause avait bien trompé son monde.

 

On croyait que c’était une petite poulette ! Corinne Fesseauà franceinfo

 

Jusque-là, elle possédait Choupinette, Tartiflette, Mimolette et donc Mauricette. Mais pour cette dernière, « il a fallu rectifier ». « C’était tout trouvé, mon grand-père s’appelait Maurice ! Il y avait ‘Il faut sauver Willy’, là c’est ‘Il faut sauver Maurice’ ! », s’exclame Corinne Fesseau. Cette femme de marin-pêcheur, implantée depuis trente-cinq ans sur l’île d’Oléron, dit prendre « tout ça avec humour ». « Haute en couleur », l’artiste insulaire « défend son bout de gras », sans être « odieuse », dixit son avocat, Julien Papineau.

« Les Fesseau ont un tissu de relations »

 

Quand Corinne Fesseau s’aperçoit que sa poule est en fait un coq qui chante, elle s’inquiète pour ses voisins. « Mais pas ceux de derrière », reconnaît-elle. Or, son poulailler est installé en bout de parcelle. Dans cette zone pavillonnaire, les maisons sont proches. Une résidence secondaire, construite en 2004, se trouve juste derrière leur clôture. « La chambre des Biron est située à deux mètres du poulailler », assure à franceinfo leur avocat, Vincent Huberdeau.

Sollicités, les Biron ne souhaitent pas s’exprimer. « Ils sont très discrets, un peu effrayés par ce tapage médiatique », justifie leur conseil. Ce couple de retraités âgés de 68 ans habite près de Limoges (Haute-Vienne). « Lui était mécanicien agricole, elle petite fonctionnaire. Elle connaît bien l’île d’Oléron, elle s’y rend en vacances depuis son enfance. Ils ne sont pas des sous-citoyens sous prétexte qu’ils viennent peu souvent. Pourtant, ils se sentent agressés, considérés comme des étrangers depuis le début de cette affaire », argue Vincent Huberdeau. Et d’ailleurs, d’après l’avocat, si l’affaire a pris une telle ampleur, c’est parce que « les Fesseau ont un tissu de relations ».

« Qu’est-ce que vous comptez faire de votre coq ? »

 

Les cocoricos de Maurice troublent la quiétude des Biron. Ils débarquent chez les Fesseau en avril 2017, alors qu’on fête Pâques et ses traditionnels œufs. « Qu’est-ce que vous comptez faire de votre coq ? » demandent-ils, « sans dire bonjour », selon Corinne Fesseau. « Je leur ai répondu de mettre des boules Quiès pour éviter d’être gênés. » « Il y a eu deux contacts, relève l’avocat des Biron. La première fois, madame Fesseau était très à l’écoute. Mais quinze jours ou trois semaines après, son mari leur a raccroché au nez. » Alors les Biron envoient des courriers en recommandé. Ils demandent aux Fesseau la cessation des nuisances sonores.

Corinne Fesseau avec Maurice, devant son poulailler, le 5 juin 2019 à Saint-Pierre-d\'Oléron (Charente-Maritime).
Corinne Fesseau avec Maurice, devant son poulailler, le 5 juin 2019 à Saint-Pierre-d’Oléron (Charente-Maritime). (XAVIER LEOTY / AFP)

 

Rien n’y fait. Maurice lisse son plumage roux et noir aux reflets moirés, secoue sa crête rouge et chante à tue-tête. Corinne Fesseau dispose des boîtes d’œufs sur les murs du poulailler et tente de cacher le lever du jour. Elle double les parois. « L’ensemble de la cabane est opacifiée avec du carton épais », assure Julien Papineau. Maurice rentre dans sa cabane vers 18h30 et n’en ressort qu’à 8h30. « Il chante à l’intérieur », remarque la propriétaire du coq. « Le calfeutrer n’a pas été concluant », note l’avocat des Biron, Vincent Huberdeau. Ses clients sont toujours gênés par les envolées vocales du gallinacé.

« On protège les bruits de la campagne »

 

Et pourtant. Depuis début 2018, Maurice ne chante plus dans la journée. Il reste sans voix devant ces voisins qui veulent lui clouer le bec. Mais il continue à pousser des cocoricos chaque matin, comme le constate un huissier. Missionné par les Biron, ce dernier observe que le coq chante bien par intermittence entre 6h30 et 7 heures. « Ces jours-là, on est sûrs que le coq a chanté. Les autres jours, rien ne permet de l’affirmer », objecte Julien Papineau. Le créneau horaire matinal pose problème. « Mes clients ont du mal à se rendormir et appréhendent de se coucher. C’est un trouble anormal du voisinage. Une nuisance sonore, comme on pourrait l’avoir avec une tondeuse, un chien, du bricolage », riposte Vincent Huberdeau.

Ce n’est pas une agression contre le coq : mes clients n’ont rien contre la volaille en général. Ils ne veulent pas la mort de l’animal, ni la mort du monde rural. Vincent Huberdeau, avocatà franceinfo

Car au fil du temps, Maurice est devenu, bien malgré lui, le symbole d’une ruralité menacée. L’incarnation d’un combat mené pour sauvegarder l’authenticité des petites communes érigées près des réserves naturelles. Le pot de terre contre le pot de fer. « On protège les bruits de la campagne », insiste Corinne Fesseau auprès de franceinfo. « Que doit-on interdire ? Le chant des tourterelles, le cri des mouettes ? Nous sommes sur une île, les oiseaux tous les matins qui gazouillent Les cloches qui sonnent ? » écrit-elle dans une pétition lancée le 12 juillet 2017, « pour sauver Maurice ». Deux ans plus tard, le texte recueille plus de 117 300 signatures.

« Le symbole d’un éternel conflit français »

 

Corinne Fesseau a le soutien du maire de Saint-Pierre d’Oléron. Christophe Sueur a pris un arrêté pour préserver « les modes de vie liés à la campagne notamment pour ce qui concerne la présence des animaux de la ferme », en s’appuyant sur le caractère à « dominante rurale » de l’île. « Aujourd’hui c’est un coq, demain ce sera quoi ? Les mouettes, le bruit du vent, notre accent ? » s’interroge l’édile. Il n’est pas le seul à s’en préoccuper : Bruno Dionis du Séjour, maire de Gajac (Gironde), 400 habitants, a annoncé, le 4 juin, vouloir faire classer les bruits de la campagne au « patrimoine national ».

Batailleur, orgueilleux et conquérant, le coq est depuis toujours l’emblème de la France. Maurice était celui d’une marche, organisée à Saint-Pierre-d’Oléron en août 2017. Il a sa propre page Facebook et revêt un « gilet jaune » en soutien au mouvement à l’automne 2018.

Violaine Jaussent

Source : France Info

 

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