C’est comme cela que les hommes meurent

Les morts sont ce que nous serons un jour. Et nous sommes ce qu’il reste d’eux.

Il est parti dans la nuit de samedi à dimanche. Mon frère m’a écrit pour m’apprendre son décès. Sur le moment, je crois bien que je n’ai pas réalisé. Il était le père d’un de mes meilleurs amis et l’homme le plus doux, le plus gentil, le plus humain que j’aie jamais rencontré. Il était âgé, si âgé qu’on le pensait éternel comme si la mort avait oublié qu’il existait encore.

Je ne l’avais pas revu depuis un certain temps, j’avais des nouvelles par son fils mais son souvenir demeurait intact dans ma mémoire. Je l’avais connu enfant et depuis, à chaque étape de ma vie, d’une manière ou d’une autre, il avait été présent. Je crois bien que je l’aimais comme un fils, comme un frère, comme un père, comme un ami, comme un compagnon de vie.

Il incarnait tout ce qu’il peut y avoir de plus haut dans la destinée humaine: la tendresse, l’amour de l’autre, le souci de prendre soin de ses proches, une générosité de cœur et d’âme qui forçait le respect. Jamais je ne le vis en colère, jamais je ne le surpris occupé au point de ne pas nous accorder quelques minutes de son temps, jamais je ne l’entendis hausser la voix. Il souriait tout le temps et dans ce sourire ruisselait le chaud soleil de la Méditerranée, de son Algérie natale, qui soigne les tristesses les plus féroces.

Aujourd’hui il n’est plus et je serais bien en peine de dire où il se trouve. La seule chose que je sais c’est que vivant, je ne le reverrai jamais. Quelle phrase étrange à écrire: je ne le reverrai plus. C’est seulement hier que j’ai réalisé qu’il était mort, vraiment mort; j’ai passé la journée dans un épouvantable chagrin. Bien que je ne l’eusse revu depuis des années maintenant, il me manquait déjà.

Et comme sa vie était mêlée à la mienne, l’avait toujours été, le serait toujours, sa mort me rappelait celle de ma mère. Comme si les morts avaient ce pouvoir de se tenir par la main de nos souvenirs communs, enchaînés à la racine même de nos vies. Qu’ils communiaient ensemble pour nous demander de ne pas les oublier tout en nous ordonnant de continuer à vivre malgré le scandale de leurs absences.

Nous ne sommes pas vraiment au monde. Toute une partie de nous baigne parmi la mémoire de nos disparus, les nôtres et tous les autres, dans le crépuscule de leurs souvenirs dont les réminiscences nous hantent comme autant de regrets, de soupirs d’éternité qui viennent scander le cours chaotique de nos existences. Ils sont ce que nous serons un jour. Nous sommes ce qu’il reste d’eux et ensemble, nous naviguons en ces contrées incertaines, illuminés par la douce chaleur du soleil qui de temps à autre jette sur cette terre le regard pudique de l’endeuillé.

Sans eux, nous ne sommes plus rien. Ils nous ont abandonnés, ils sont partis ailleurs, ils sont notre destinée et notre avenir quand à notre tour, la mort nous ravira à cette terre tant aimée. Nous ne savons pas vivre sans eux mais nous vivons quand même. Sans illusions mais avec la farouche volonté de ne pas s’en laisser conter. Nous sommes forts, si forts. Nous résistons à tout. Rien ne peut nous abattre et si parfois nous plions, c’est pour mieux se relever.

Nous sommes indestructibles.

Indestructibles.

Laurent Sagalovitsch

 

Blog You Will Never Hate Alone

Source : Slate (France)

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