Examens nationaux : La culture de la triche

La scène se passe au début des années quatre-vingt. Une classe quelconque du Secondaire s’apprête à subir un examen. Les élèves attendent en silence l’arrivée du professeur. Ce dernier arrive et écrit le sujet au tableau. Il demande ensuite aux élèves s’ils ont des questions, y répond et sort de la salle, tandis que les élèves commencent à traiter le sujet en silence. Aucun d’entre eux n’ouvre le moindre cahier ni jette un coup d’œil sur la copie de son voisin. A cette époque, tricher signifiait honte et déshonneur. Un élève accusé de telle vilenie passait de longues heures à pleurer, risée de toute la classe…

La seconde scène se passe ces dernières années, dans une salle d’examen peuplée de candidats de la série mathématiques, réputés élite des élèves. Deux surveillants veillent au grain. Malgré leur présence, les chuchotements, entre élèves d’une même table, sont incessants. On perçoit, de temps à autre, les grésillements des messages WhatsApp par qui de tierces personnes envoient les réponses de l’examen. Certains d’entre ceux-ci compulsent des micros-documents, parfois dotés de programmes entiers, cachés dans leurs habits. Le meilleur tricheur est d’autant plus perçu en héros que des parents d’élèves et, même, des responsables pédagogiques encouragent banalement cette attitude.

Colis piégé

A Nouakchott, les examens sont devenus de véritables arènes. Le branlebas de combat commence dès l’arrivée au centre. Chaque candidat ou candidate s’y présente avec son arsenal de triche : téléphone portable, clé wifi, micro-livres en toutes les disciplines, appelés, en jargon estudiantin, « mouvakhakhat » (colis piégé). Les professeurs surveillants se divisent en deux catégories. Les dotés de conscience professionnelle, qui ne badinent point avec la triche. Toujours indexés et mal côtés, on le comprend, par les tricheurs et leurs parents. A contrario de la seconde catégorie, très  admirée : celle des surveillants « tolérants », voire carrément irresponsables. Certains demandent même aux candidats de s’entraider, tout en surveillant les déplacements de responsables du centre, histoire d’alerter les tricheurs à temps et leur éviter ainsi d’être surpris en flagrant délit.

Devant ce fléau, les responsables du ministère de l’Education ont pris une série de mesures : interdiction de tout téléphone portable dans les centres d’examen ; réseau Internet suspendu durant les épreuves ; tout candidat ou candidate porteur d’un téléphone portable ou de tout autre outil de communication est passible de renvoi et d’interdiction d’examen, pendant deux ans.

La culture de la triche nous était inconnue. Elle fut importée, via l’Université de Nouakchott, au début des années quatre-vingt-dix, par des groupes d’étudiants étrangers, surtout maghrébins. Ce sont eux qui « enseignèrent », à leurs collègues mauritaniens, les techniques basiques de la triche moderne. Ce sont eux les inventeurs des micro-documents où l’on peut tenir un livre entier entre le pouce et l’index. Ils ont aussi importé l’idée d’écrire des leçons dans les parties intérieures des habits.

Le BEPC est celui qui a perdu le plus de crédibilité. Il se déroule banalement dans les moins transparentes conditions, rapportent les observateurs. Sa gestion est confiée au chef même de l’établissement des candidats. C’est pourquoi son taux de réussite est toujours élevé, par rapport au baccalauréat, beaucoup mieux surveillé, depuis la fameuse fuite de 2000.

Ces dernières années, on constate que beaucoup de candidats émigrent vers des centres hors de Nouakchott, surtout au Trarza, espérant y bénéficier d’une surveillance moins rigoureuse. Ces centres ont connu des taux de réussite très élevés que certains attribuent à une complicité « naturelle » des surveillants, tous ressortissants du bled, se permettant parfois, nous a-t-on affirmé, d’écrire carrément les solutions des épreuves au tableau.

La forfaiture de Bénichab

Les centres de Mederdra, R’kiz, Bareïna, Boubacar, Bab El Veth et Magham Ibrahim ont ainsi connu des flux anormaux de candidats en provenance de la capitale, dérangeant notablement les habitants de ces villages. Cette année, le ministère de l’Education a décidé de bloquer ces transferts. Plusieurs candidats qui avaient pu déposer leurs dossiers localement ont cependant été transférés vers le centre du lycée de Rosso. Malgré tout, Bénichab a échappé à ces mesures. Malgré la décision de la ministre d’interdire les transferts, près de 400 élèves y passeront le bac cette année alors que la terminale de son lycée en recevait à peine 20. La fameuse eau de cette localité, connue par sa qualité exceptionnelle, serait-elle devenue source d’inspiration ? Ou les candidats à la triche sont-ils persuadés que les surveillants seront moins regardants en cette ville sortie du néant ? Une situation intolérable contre laquelle le ministère devrait sévir en ne corrigeant pas les épreuves de ses élèves nomades et en sévissant contre les responsables coupables d’une telle forfaiture.

Dernière mesure en date, la désignation des responsables de centre. En général, on envoyait seul un président de bac, secondé, sur place, par le directeur du lycée et un membre de son équipe. Autrement dit, un président seul contre tous. Cette année, les présidents des centres de Bab El Veth, Boubacar, Bareïna et Magham Ibrahim, au Trarza, sont secondés par des vice-présidents en provenance du ministère. Le centre de Bénichab, en Inchiri, et celui de Néma 1, au Hodh, ont aussi reçu de tels renforts, au vu des problèmes constatés, lors du bac de l’an dernier.

Rappelons que les examens se tiennent en avance, cette année, en raison de l’élection présidentielle : concours d’entrée au collège, les 27 et 28 Mai ; brevet, 29, 30 et 31 Mai ; baccalauréat, du 10 au 13 Juin.

Mosy

Source : Le Calame

 

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