Adebayo Alonge, détecteur de faux médicaments

Ce Nigérian est tombé dans le coma à l’adolescence après avoir ingéré un produit falsifié. Aujourd’hui, il a mis en place un laboratoire de poche connecté pour évaluer les contrefaçons.

 

Une soirée à Ibadan, au cœur des vacances scolaires nigérianes de janvier 2002. Le jeune Adebayo Alonge, 14 ans, a une crise d’asthme. Il prend pour la nuit ce qu’il pense être un comprimé de Ventoline, médicament que lui a acheté son père à la pharmacie du quartier. Il se réveillera trois semaines plus tard à l’hôpital. Pendant ces vingt et un jours de coma, les médecins auront découvert que le médicament prescrit contre l’asthme était une contrefaçon indécelable à l’œil nu.

Une soirée de mars 2019, à Paris, dix-sept ans plus tard. Emu aux larmes, Adebayo Alonge, trentenaire devenu scientifique et entrepreneur, reçoit le Grand Prix du concours international Hello Tomorrow pour l’innovation qu’il est venu défendre : RxScanner, un laboratoire de poche connecté alliant chimie, numérique et intelligence artificielle pour déceler en une demi-minute si un médicament est contrefait.

Pour emporter la victoire, Adebayo avait, quelques heures auparavant, raconté au jury son histoire personnelle avant de conclure : « Notre système de vérification a déjà été utilisé par 10 000 personnes en Afrique et en Asie. Près de 1 million de victimes dans le monde meurent chaque année, trompées par de faux médicaments. Aidez-nous à ce que cette solution soit ­accessible à tous. » L’argument a porté. Sa start-up, RxAll, a remporté les 100 000 euros du Grand Prix et devancé plus de 4 500 équipes concurrentes, des chercheurs entrepreneurs de 119 pays venus chercher, eux aussi, reconnaissance scientifique et réseaux économiques pour doper leurs innovations dans des secteurs aussi divers que l’aérospatiale, l’énergie, l’agriculture ou encore les biotechnologies.

« Nouvelle génération de scientifiques »

 

« Adebayo Alonge est représentatif d’une nouvelle génération de scientifiques qui ne veut plus forcément rester dans un laboratoire, publier ses travaux et avancer à coups de bourses universitaires. Un écosystème qui n’est d’ailleurs pas très pérenne compte tenu de la raréfaction des budgets », explique Akpéli Nordor, pharmacien scientifique formé à l’Institut Curie, à ­Paris, et à la Harvard Medical School à Boston (Massachusetts), membre du jury de présélection du Hello Tomorrow, mais aussi tout jeune start-upeur dans le domaine de l’analyse de données génomiques appliquée à l’oncologie. « L’envie est d’aller plus vite au contact de ­l’utilisateur tout autant pour trouver un modèle économique que pour valider l’impact réel du projet dans la société. »

 

Le projet primé ressemble à une simple petite boîte noire de la taille de la paume d’une main. C’est en fait un spectrophotomètre miniature de moins de 150 grammes. La personne voulant vérifier l’authenticité d’un médicament doit télécharger sur son smartphone une ­application ad hoc, puis déposer le comprimé à scanner sur la lentille du mini-spectrophotomètre. Tout le reste… est numérique. Les résultats de l’analyse optique sont envoyés dans le cloud par smartphone interposé. Un logiciel d’intelligence artificielle compare ces informations à une banque de données avant de rendre son verdict : un message (authenticité : « positive » ou « négative ») est envoyé sur l’écran du smartphone en une demi-minute. « Cette réponse est fiable à 96,7 % », explique Adebayo Alonge. « Le défi est désormais d’augmenter la base de données de références afin de nourrir le logiciel. Environ 300 000 scans de médicaments ont déjà été réalisés, il en faudra 4 millions pour atteindre une précision de 99 %, affirme-t-il. D’où la nécessité de développer mondialement le nombre d’utilisateurs. »

Cette obsession affichée, éradiquer le fléau mondial des faux médicaments, Adebayo Alonge la porte en lui depuis son accident. « J’étais très extraverti. Je suis devenu un garçon en colère, très réfléchi au sujet de ce que je voulais faire, raconte-t-il. J’avais failli mourir. Je savais que je ne pouvais pas attraper les responsables, mais je pouvais au moins tenter de les empêcher de faire la même chose à d’autres. »

Elève précoce

 

Elève précoce, entré à l’université de pharmacie d’Ibadan à 15 ans avec deux années d’avance, il imagine à 17 ans Drugfast, un système pour sécuriser la livraison de médicaments entre usines, pharmacies et domiciles. L’entreprise virtuelle restera dans les cartons. Son deuxième projet, élaboré à 21 ans, est un spectrophotomètre de poche potentiellement utilisable dans les foyers, recherche qui deviendra son travail de fin d’études.

Puis, à 25 ans, lors d’une formation à l’école de commerce de Lagos, il conçoit un projet plus sociétal : vendre aux plus défavorisés, premières victimes de la contrefaçon, des médicaments moins chers et les commercialiser à des prix plus élevés dans des zones plus riches. Cette troisième idée va, littéralement, donner à Adebayo – qui n’avait jamais quitté le continent africain – des ailes.

Nommé pour représenter le Nigeria à Londres au Hult Prize, appelé communément le Nobel des étudiants (du nom du milliardaire suédois Bertil Hult, fondateur de la société d’enseignement EF Education First), Adebayo est alors ­repéré par le Mandela Washington Fellowship for Young African Leaders, un programme de soutien du département d’Etat américain. Il s’envole en 2015 vers le Connecticut pour ce qui devait être six semaines de cours intensifs à l’université Yale. Il ne quittera plus le pays.

Cursus multidisciplinaire

 

Encouragé par des professeurs, il candidate pour un cursus multidisciplinaire et va faire de cette formation une rampe de lancement pour RxAll. « J’ai mis dans cette start-up un peu de tous mes anciens projets », résume-t-il. Il va trouver sur le campus ses deux cofondateurs (Wei Liu, pour la technologie, Amy Kao, pour le commercial) et va aussi recevoir un précieux conseil : « Un investisseur m’a suggéré d’inclure plus de technologie pour rendre le projet potentiellement mondial. »

D’où le recours au smartphone, à la connexion numérique et au logiciel d’intelligence artificielle pour une vérification express des compositions chimiques en tout point de la planète (pour peu qu’il y ait une connexion 3G). D’où aussi l’utilisation de la technologie blockchain, un système de contrôle interne qu’il va mettre en place pour éviter toute triche lors du transfert des résultats. « Lorsque j’étais étudiant en Afrique, Internet était encore balbutiant. Mes premiers projets étaient classiques, pas vraiment disruptifs », reconnaît-il avec recul.

« Très compétitif et sérieux »

 

Depuis le lancement commercial, en octobre 2018, plus de 700 RxScanner ont été mis en circulation, utilisés notamment par six organismes africains d’autorisation de mise sur le marché des médicaments et par une chaîne de pharmacies, en Birmanie. L’entreprise est ­passée sous statut américain « pour faciliter l’arrivée d’investisseurs », explique M. Alonge. Actuellement, ils sont au nombre de deux, Merck, l’entreprise pharmaceutique allemande, et Katapult, le fonds norvégien spécialisé dans les projets à impact social.

Le docteur Leke Oshunniyi, directeur du centre médical Royal Cross – et jadis mentor de l’étudiant Alonge –, n’est pas surpris d’une telle trajectoire. « Adebayo est un des jeunes hommes les plus intenses que j’ai rencontrés », se souvient-il. Par son origine et son parcours, « il a eu la capacité de changer l’architecture d’un problème, ici la lutte contre la contrefaçon, qui est un fléau très présent en Afrique. Les faux médicaments peuvent tromper tout le monde ».

Vu de Lagos, a-t-il un dernier conseil à prodiguer à l’entrepreneur ? « Adebayo est très compétitif et sérieux. Mais ce serait bien qu’il ­apprenne à appuyer sur le frein afin de gérer au mieux ce succès sur le long terme et réussir à avoir une vie équilibrée », commente-t-il avec sagesse et un brin d’inquiétude. L’entrepreneur célibataire, tout à son projet, affiche déjà un double objectif. Réduire le prix du spectrophotomètre (actuellement 1 350 euros) et ­développer des abonnements mensuels de quelques dizaines de dollars pour qu’un plus grand nombre d’institutions africaines aient les moyens de l’utiliser. Dans les pays à revenus faibles et intermédiaires, tous continents confondus, l’Organisation mondiale de la santé estime que la contrefaçon concerne un médicament sur dix.

Laure Belo

Source : Le Monde

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