Maradona, la politique en crampons

L’Argentin Diego Maradona, figure mondiale du football, fait l’objet d’un nouveau film documentaire réalisé par le cinéaste britannique Asif Kapadia. Il sera projeté ce 19 mai au Festival de Cannes en sa présence. L’ancien joueur, qui s’est souvent illustré par ses frasques en dehors du terrain, est également un homme très ancré à gauche. Et qui ne s’en est jamais caché, au risque de… déplaire. Retour sur trente ans d’engagements.

Lex-prodige du ballon rond Diego Armando Maradona, actuel entraîneur de l’équipe mexicaine des Dorados de Sinaloa, a récemment écopé d’une amende par la fédération de football du Mexique. Il faisait l’objet d’une procédure disciplinaire pour manquement à la «neutralité politique et religieuse» qu’impose le code éthique de l’instance sportive. Son «forfait»? Le 31 mars dernier, lors de la conférence de presse organisée après un match remporté par les Dorados, l’Argentin a tenu à «dédier ce triomphe à Nicolás Maduro [le président du Venezuela] et à tous les Vénézuéliens qui souffrent», et en a profité pour étriller les États-Unis de M. Donald Trump, responsables à ses yeux de la crise que traverse Caracas : «Les shérifs de la planète que sont ces Yankees croient qu’ils peuvent nous piétiner parce qu’ils ont la bombe la plus puissante du monde. Mais non, pas nous. Leur tyran de président ne peut pas nous acheter» (1).

Lire aussi Mickaël Correia, « En Algérie, les stades contre le pouvoir », Le Monde diplomatique, mai 2019.  

 

Le «gamin en or» (pibe de oro) — le surnom de Maradona en raison de son génie précoce né sur les terrains vagues du bidonville où il a grandi — n’en est pas à son premier coup d’éclat en faveur de M. Maduro. En tout début d’année, il a publié sur les réseaux sociaux un message de soutien à l’attention du chef de l’État vénézuélien, en butte à la contestation conduite par M. Juan Guaido, autoproclamé «président par intérim» avec la bénédiction de Washington : «Malgré les traîtres et l’impérialisme qui veulent gouverner le Venezuela, le peuple a réélu Nicolás Maduro à la présidence. Hugo Chávez nous a montré la voie et cette voie c’est Nicolás Maduro (…). Ils n’ont pas réussi avec Fidel [Castro], ils n’ont pas réussi avec Hugo, encore moins avec vous. Le Venezuela vaincra!» Au cours de la campagne présidentielle vénézuélienne de mai 2018, l’ancien numéro 10 argentin est allé jusqu’à «mouiller le maillot» : il s’est rendu en personne au dernier meeting de M. Maduro, à Caracas, et s’est présenté à la tribune comme son «soldat». En août 2017, alors que le Venezuela connaissait de graves violences, il lui avait déjà témoigné son appui, se disant même «chaviste jusqu’à la mort».

Diego Maradona n’a jamais cherché à dissimuler ses sympathies pour le chavisme comme pour le socialisme latino-américain. On a pu ainsi le voir à plusieurs reprises aux côtés de feu Hugo Chávez, le fondateur de la «révolution bolivarienne» vénézuélienne. Notamment lors du «sommet des peuples» organisé à Mar del Plata (Argentine) en novembre 2005. Ce rassemblement altermondialiste se déroulait en marge du IVe Sommet des Amériques qui réunissait, entre autres, les deux «ennemis» George W. Bush et Hugo Chávez. Arrivé sur place après une nuit passée à bord du «train de l’Alba » (2) en compagnie de M. Evo Morales (futur président de la Bolivie) et de nombreux militants opposés au projet de zone de libre-échange régionale promu par Washington, Maradona s’est distingué, avant d’embarquer à Buenos Aires, par une sortie musclée contre le président américain : «Je suis fier, en tant qu’Argentin, de pouvoir monter dans ce train pour exprimer mon rejet à l’égard de cette poubelle humaine que représente Bush. Je veux que tous les Argentins comprennent que nous luttons pour la dignité (3)». Le leader vénézuélien l’invitera sur l’estrade pendant le discours qu’il prononce le 4 novembre 2005 au stade de Mar del Plata. «Vive Maradona, vive le peuple!», scande Chávez à l’unisson avec la foule. À sa mort en 2013, Maradona appellera à «poursuivre l’héritage» d’«El Comandante» et à «continuer la lutte». Car il «a changé la manière de penser des Latino-Américains qui [s’étaient] soumis leur vie entière aux États-Unis». (4)

Avant Nicolas Maduro, Hugo Chávez et Evo Morales, il y eut Fidel Castro. En 1987, alors au sommet de sa gloire avec le club de Naples et l’Albiceleste (champion d’Italie avec l’équipe napolitaine et vainqueur de la Coupe du monde avec sa sélection nationale, l’année précédente), le maître à jouer argentin voyage à Cuba, où il fait la connaissance du dirigeant socialiste. Il noue une relation de confiance avec Castro, qu’il dit admirer depuis toujours — «On a passé cinq heures à discuter du “Che” [Ernesto Guevara], de l’Argentine, de Cuba… (…) C’est le seul homme politique, si on peut dire, qu’on ne pourra jamais traiter de voleur, même si l’Amérique ne s’en prive pas. (…) C’est un révolutionnaire. Les politiciens accèdent au pouvoir avec le fric, lui c’est avec le fusil», explique-t-il au cinéaste Emir Kusturica. Cette amitié «révolutionnaire» se traduira par de nombreux séjours dans l’île, notamment pour soigner son addiction à la cocaïne. Présent à La Havane pour les funérailles du «líder máximo», en 2016, l’idole des terrains déplorera la perte d’un «second père».

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Film «Diego Maradona» (2019) © M2R Films

 

L’ancien champion du monde n’hésite pas non plus à s’exprimer sur le conflit israélo-palestinien. Au président de l’Autorité palestinienne, M. Mahmoud Abbas, qu’il rencontre à l’occasion de la finale du Mondial de football en Russie, à l’été 2018, Maradona déclare : «Dans mon cœur, je suis palestinien». En 2012, évoquant la lutte des Palestiniens contre l’occupation israélienne, il confie : «Je les respecte et je les comprends». Et lorsqu’un déluge de feu s’abat sur Gaza au cours de la guerre lancée par Tel-Aviv contre le territoire côtier, en juillet-août 2014 (plus de 2 200 morts, dont 75% de civils), il donne de la voix pour dénoncer les massacres : «Ce qu’Israël fait aux Palestiniens est honteux» (5) .

 

Toutes ces prises de position détonent dans l’univers du ballon rond, où la plupart des sportifs réfléchissent au moins à deux fois avant d’afficher leurs préférences politiques, à l’exception récente de plusieurs footballeurs brésiliens. Lors de la dernière élection présidentielle au Brésil, de célèbres joueurs — Neymar, Ronaldinho, Rivaldo, Cafu, etc. — ont ainsi apporté publiquement leur appui au candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro (6), élu à la tête du pays le 28 octobre 2018. Le cœur de Maradona, penche, lui, pour l’ex-président socialiste Luiz Inàcio Lula da Silva. Emprisonné pour corruption à l’issue d’un procès controversé et banni du scrutin présidentiel de 2018, dont il était donné grand favori, «Lula» a reçu son ferme soutien : «Ils ont volé la présidence à Lula!» (7).

Ce dimanche 19 mai 2019, Diego Maradona sera au festival de cinéma de Cannes, pour la projection d’un film documentaire consacré à ses années napolitaines (8). Nul doute que sa présence attirera les foules, en raison de la fascination qu’il continue d’exercer. Il est très probable également que certains seront des plus attentifs à ses déclarations et veilleront à ce que l’idole des stades ne commette pas de «dérapages idéologiques» : à l’heure où les médias et une bonne partie de la classe politique brandissent la menace du «populisme de gauche», cela ferait forcément mauvais genre sous les ors du Palais des Festivals…

 

Oliver Pironet

Source : Le Monde Diplomatique (Le 18 mai 2019)

 

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