Peinda Abdoulaye Diop : « Ghazouani a un discours assez rassurant « 

Spécialiste reconnue de la communication , Peinda Abdoulaye Diop, Dirigeante cabinet mauritanien sahelia,  livre pour lessentiel.sn une analyse pointue sur le candidat Mohamed Ould Gazouani. Sans complaisance, elle pointe ses atouts et ses faiblesses et plus généralement donne son point de vue sur les principaux enjeux du scrutin présidentiel en Mauritanie.

 

Le général Ghazouani vient d’être choisi par le Président Aziz et l’UPR comme candidat à la prochaine présidentielle. Que pensez-vous de ce choix ? 

Bien avant qu’elle ne soit officiellement annoncée, il y avait déjà plusieurs échos concernant la candidature de Mohamed Ould Ghazouani à la Présidence 2019, entraînant ainsi plusieurs spéculations de part et d’autre. L’annonce du choix du Président Aziz qui a porté son choix  sur Ghazouani pour les élections présidentielles 2019, n’a donc pas été une surprise pour moi. Parce d’abord, Ghazouani n’est pas quelqu’un de totalement étranger au gouvernement actuel. Nous avons vu tous les postes clés qu’il a eu à occuper ces dernières années. Il a occupé des postes stratégiques, très importants, des postes qui montrent  qu’il ya une relation de grande confiance entre lui et le chef d’état.

Ensuite, en tant que observatrice de la scène politique mauritanienne et sans prendre parti pour un camp comme pour un autre, je dirai tout simplement que si je devais analyser ce choix, et essayer de comprendre pourquoi ce choix, je pense  que cette position qu’il a eu à occuper comme garant de la sécurité mauritanienne, en tant que chef d’état major et plus tard en tant que ministre de la Défense, montre qu’il a en soi une assez bonne connaissance de la question sécuritaire , qui reste une question prioritaire aujourd’hui en Mauritanie, pays  du Sahel, avec toute l’insécurité que connaissent ces pays depuis un certain nombre d’années déjà. D’ailleurs l’un des atouts majeurs de l’actuel Président, Mohamed Ould Abdel Aziz a été justement, d’avoir su assurer à la population mauritanienne un climat de sécurité sans précédent. Cela il faut le lui reconnaître.

Donc choisir un homme comme Ghazouani, c’est un peu quelque part assurer la pérennité de ces aspects d’ordre sécuritaire, et donc garantir la continuité des chantiers de travail qui ont été réalisés en ce sens et qui restent en cours. Maintenant, si on met tout cela sur une balance, force est de constater que la continuité de ces chantiers a une importance capitale, bien plus importante aujourd’hui que des considérations d’ordre purement politique.

De par son parcours, pensez vous qu’il peut incarner une rupture ? 

Vous savez, je n’ai encore jamais vu deux personnes différentes, gouverner un pays, chacun à son tour, de façon similaire. Il y’a des spécificités propres à tout un chacun. Je ne pense pas sincèrement que la venue de Ghazouani au pouvoir soit une continuité de façon linéaire  et totalement similaire à celle du gouvernement d’Abdel Aziz. Il a certainement un programme bien défini, des ambitions claires, une direction établie qu’il présentera le moment venu à l’ensemble des citoyens .Je ne veux pas avoir une opinion hâtive sur la question sans pour autant avoir une idée beaucoup plus claire, de ses objectifs, de son plan de campagne et de son programme pour la Mauritanie. Et pour moi, ceux qui parlent d’un schéma Poutine-Medvedev tirent des plans sur la comète car la Mauritanie n’est pas la Russie.

Pour revenir précisément au mot rupture, avant de parler de rupture , revenons sur quelques éléments tels que un petit bilan du gouvernement du Président  Abdel Aziz, le climat politique qui règne actuellement en Mauritanie, les positions politiques des uns et des autres, mais surtout sur les attentes des populations , afin de mieux comprendre ce qu’implique une rupture dans ce contexte.

Vous avez  dû certainement le remarquer, en Mauritanie nous avons une particularité c’est que nous sommes  un pays métissé, avec plusieurs communautés qui essaient depuis les indépendances de cohabiter ensemble de la meilleure des façons possibles. Cela n’a pas été facile et l’histoire est là pour nous le rappeler. Il y a eu des événements par le passé qui ont marqué la population mauritanienne au fer rouge. Et je pense qu’aujourd’hui le gouvernement actuel tend à chercher des solutions de conciliations. Ces solutions ne sont pas satisfaisantes pour beaucoup de mauritaniens, même si elles le sont pour d’autres. Le pays est divisé entre ces différentes positions, qui sont toutes à respecter et à chercher à comprendre.

Pour ne parler que du cas de la communauté noire, dont je suis issue, vous avez d’un côté une population mauritanienne qui souffre de discrimination, de pauvreté, de beaucoup de maux, et qui pointe du doigt un système qu’il juge raciste, un système qu’il considère comme étant un système qui, sciemment, cherche à le maintenir dans cette position, parce que derrière il y’a une communauté Beydane qui est favorisée etc. Mythe ou réalité, il y a des gens qui le pensent très sérieusement et même du côté des Beydanes. Cela représente un problème de grande envergure qui a tendance à diriger toute la scène politique mauritanienne sur des éléments de ce genre. C’est à dire qu’on ne parle pas aujourd’hui d’idéologie en terme de politique, on ne parle pas de plan de restructuration, on ne parle pas de plan de développement. En tout cas on n’en parle pas à outrance, parce que les populations sont divisées sur ces questions de pauvreté et de discriminations raciales. C’est ce qui aujourd’hui ressort de façon très marquante des analyses à travers les réseaux sociaux, dans les échanges, discours, débats télévisés et écrits journalistiques.

Pour en revenir au bilan,le Gouvernement  du Président Aziz a eu à réaliser beaucoup de choses, notamment dans le domaine des infrastructures, de la sécurité, des relations internationales,  certaines réformes politiques et aussi du domaine juridique. Il y a eu énormément de choses qui ont été faites comme il y’a également beaucoup de choses qui lui sont reprochées.

Tout récemment, la Mauritanie a été sanctionnée par les Etats Unis d’Amérique dans le cadre des accords de partenariats commerciaux et cette sanction a été tout de même un coup dur pour le pays. Parce que la Mauritanie, aujourd’hui sur la scène internationale a quand même  fait du chemin, en termes d’image et de positionnement.

Nous avons une Mauritanie qui commence à se faire connaître, il y’a eu d’importants sommets qui ont été organisés chez nous, et ce sont des premières. L’Union africaine, n’a jamais été aussi proche de la Mauritanie, on sent qu’il y’a un climat de confiance, une image positive qui se construit. Aujourd’hui nous avons cette Mauritanie qui est plus que jamais ouverte au monde extérieur, qui est interconnectée avec beaucoup de pays sur beaucoup de projets, et qui n’a pas envie d’être représentée de façon aussi négative, comme étant un pays esclavagiste, discriminatoire etc.

Et pour y remédier nous avons tout intérêt à asseoir une politique de communication assez pertinente pour pouvoir remettre les choses en place. Non seulement une politique de communication, mais pas seulement. Il faut aussi que cette communication soit  basée sur des actes forts avec une profonde volonté de changement et de développement. Il ne faut pas créer des suspicions. A l’échelle internationale comme au niveau national les gens sont de plus en plus exigeants.

Je donne un exemple, la marche qui a été faite récemment, qui est une démarche très louable, vraiment, qui arrive au bon moment et je le pense sérieusement. Il s’agit de la marche du 09 janvier qui a été appelée  “la marche contre la haine”. Personnellement je ne suis pas tout à fait d’accord avec la dénomination de cette marche. La dénomination d’une marche d’une telle envergure nécessite une prise de recul avec une vision holistique de la portée du  choix afin de maximiser les résultats. Il faut songer à l’impact de ces choix sur l’intégralité de la population mauritanienne, de la cible visée par cette communication, des objectifs attendus de cet acte de communication et des conséquences tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Pour parler un langage plus commun, il faut savoir qu’il est bien de faire des actions positives, mais  ces actions doivent répondre à l’ensemble de la population et non pas donner l’impression de ne s’adresser qu’à une partie en indexant une autre. J’aurai préféré des termes conciliateurs, comme ‘’marchons ensemble pour la paix ou l’unité’’ afin d’apaiser les uns et les autres, le but étant la réconciliation. En communication politique les mots ont une grande portée. Il y’a beaucoup de clichés aujourd’hui, qui ne sont dûs qu’à des malentendus à la base, et nous ne communiquons pas assez, ou de la meilleure façon sur les choses positives en général. ll existe très certainement des mauritaniens racistes comme il en existera toujours dans les pays où les gens sont de races différentes, mais la grande majorité ou même presque la totalité des mauritaniens ne le sont pas et ils le crient haut et fort. Et c’est cela la Mauritanie d’aujourd’hui. Elle est représentée par la montée en puissance d’une jeunesse, d’une nouvelle génération qui œuvre différemment parce que confrontée à des problèmes différents. Il s’agit d’une Mauritanie qui est révoltée face à toute cette situation et qui veut démontrer que les échecs politiques ne sont pas dus à une mauvaise cohabitation interraciale, ils existent parce qu’il y a eu faiblesse de stratégies politiques, il faut l’assumer.

Vous avez cette nouvelle génération de mauritaniens qui ne nient pas et ne renient pas pour autant les réprimandes et plaintes des populations, mais qui aspirent en même temps  à autre chose et j’en reviens là maintenant au terme rupture,

J’espère justement que si rupture il y aura, qu’elle sera plutôt axée vers cette direction là, afin de sortir de cette histoire de racisme d’état et de Ping-pong politique pour concrètement  indemniser moralement ceux qui se posent en victime et d’autre part travailler très sérieusement à la construction du pays, au développement des chantiers existants, réformant ce qui nécessite réformes , travaillant avec la jeunesse qui a envie de construire, qui a envie de fermer des pages  pour en ouvrir de nouvelles plus consistantes, plus constructives , plus en adéquation avec les besoins actuels de la jeunesse d’aujourd’hui. Je rappelle qu’elle constitue de loin plus de la majorité de la population actuelle.

Les jeunes de toutes les communautés sont confrontés à des problèmes de chômage, à des problèmes de formation, d’orientation pour leur avenir comme partout ailleurs. Voila des problèmes sérieux sur lesquels les mauritaniens devraient tous se pencher. L’éducation, la santé, les conséquences dus aux changements climatiques sur l’agriculture et l’élevage, l’insécurité routière à l’intérieur du pays, les problèmes de circulation, etc. Il ya  beaucoup de domaines à développer, même si de nombreuses réalisations sont actuellement en cours il y’a encore énormément de choses à faire dans un pays en développement. La Mauritanie est un pays riche en ressources, il va falloir que les populations s’intéressent davantage à ces éléments, qu’ils posent plus de questions pertinentes et qu’ils aient davantage droit à des réponses pertinentes. Voilà des choses auxquelles nous devrions nous intéresser. Je tiens tout de même à préciser que je ne cherche pas à minimiser les problèmes de racisme et de discrimination en Mauritanie, car la Mauritanie ne se reconstruira que si une vraie cohésion sociale est développée. Néanmoins je pense que les politiques en général s’en servent soit pour combler des lacunes ou pour faire écran sur des questions plus importantes. Et pendant ce temps le peuple est distrait.

En tant que communicante et observatrice de la scène politique mauritanienne, quelle appréciation faite vous de ses premiers discours ? 

Sincèrement, le discours a été très bien rédigé. Effectivement,  les éléments qui en ressortent comme je l’avais dit tout à l’heure, mettent l’accent encore une fois sur les problématiques qui sont d’actualité et comme tout bon candidat on met en avant notre capacité à résoudre  les problèmes que connaissent nos populations. Dans ce sens la, je peux dire que le discours est assez rassurant. C’est un discours qui a pour effet de rassurer et il l’est en effet. Il redonne de l’espoir à tous ceux la qui ne se retrouvent plus dans la Mauritanie d’aujourd’hui, qui se retrouvent un peu délaissés et mis à l’écart. C’est donc un discours chargé de messages positifs et qui ravive beaucoup d’espoir. Le message est assez diplomatique et on a envie de se dire à l’entendre, voilà l’homme qu’il nous faut. Le discours reste aussi fidèle au personnage. Selon ce qui se dit du personnage, c’est quelqu’un de très humain, c’est quelqu’un qui aime soutenir les pauvres, il est issu d’une famille maraboutique, c’est certainement quelqu’un qui est dans le fond très pieux et qui a du Rahma. Le discours n’est pas du tout en décalage avec le personnage. Et Oui en matière de communication je pense que c’est une réussite comme un des premiers moyens d’entrée en interaction avec les populations.

Maintenant, d’un autre côté des discours comme ça les gens s’y attendent un tout petit peu. On dira que tous les candidats, à leur arrivée promettent de franchir monts et merveilles pour leurs populations pour au final ne répondre qu’à certaines demandes pendants que les autres demeurent pendantes. Si j’ai un avis d’expert à donner pour la suite en termes de communication c’est justement  d’être cohérent dans l’image donnée au personnage, et de maintenir cette cohérence.

Aujourd’hui toute la communication se joue sur les réseaux sociaux et les communications de masse notamment la presse électronique ou audiovisuelle, et il ne suffit pas tout simplement d’apparaître avec un message ou une action de communication,  il  faut savoir clairement définir les objectifs et réfléchir concrètement aux voies et moyens pour répondre à ces objectifs. On voit beaucoup dans les réseaux sociaux et là je sors du cas Ghazouani , mais je parle de la communication en général et particulièrement de la communication politique, on voit sur les réseaux des équipes de communication qui pour mettre en avant la politique et la stratégie d’un candidat y aller dans tous les sens, alors que la communication est une science, c’est une science exacte, une science mathématique . Quand on veut atteindre un objectif il ya un chemin par lequel il faut passer et il faut s’en donner les  moyens.

Dans de nombreux pays occidentaux, et en Afrique, la force de la communication est très bien comprise, de nombreuses campagnes politiques ne doivent leur réussite qu’à la pertinence de leur plan de communication. On se souvient tous du cas de Obama et de son fameux “Yes We Can” qui a fait fureur aux USA. Donc communiquer c’est bien, mais communiquer de façon réussie et réfléchie c’est encore mieux, si on ne veut pas voir ces efforts vains. A noter également, qu’il faut garder à l’esprit que la communication est une science qui résout des dilemmes, des problèmes sociaux, des cas politiques par la mise en œuvre de stratégies de marketing politique et social, d’actions concrètes pour résoudre de façon intelligente des situations qui auraient pu très mal tourner sans ces moyens de communication .En d’autres mots dans le monde actuel, la communication c’est le pouvoir, à condition de savoir bien s’en servir car l’effet inverse peut également en découler.

 

 

Source : lessentiel.sn

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