Football : les clubs anglais dominent l’Europe, sur le terrain et financièrement

Les deux finales des coupes européennes seront 100 % anglaises : Liverpool-Tottenham en Ligue des champions et Chelsea-Arsenal en Ligue Europa. Le fruit d’un investissement dans la durée et équilibré.

L’Angleterre ne veut décidément pas quitter l’Europe. Les deux finales des coupes européennes de football seront 100 % anglaises, une première : Chelsea-Arsenal en Ligue Europa, et Liverpool-Tottenham en Ligue des champions. Quoi qu’il se passe, les clubs anglais seront champions d’Europe.

Laborieux, Chelsea a été le dernier d’entre eux à arracher la victoire, jeudi 9 mai. L’équipe londonienne a dû aller aux tirs au but pour l’emporter face à l’Eintracht Francfort, après un match brouillon (1-1 à la fin du temps réglementaire, 1-1 au match aller). Arsenal avait mis fin au suspense une heure plus tôt, vainqueur relativement facile de Valence (4-2, 3-1 au match aller).

Ces matchs n’avaient pas l’intensité des deux « miracles » des jours précédents. Mardi, contre toute attente, une équipe de Liverpool inspirée avait écrasé Barcelone (4-0), offrant des moments d’anthologie dans son stade d’Anfield. Et mercredi, à la 95e minute, Tottenham s’est imposé sur le terrain de l’Ajax Amsterdam (3-2).

Sur le fil, après des retournements de situation exceptionnels, les deux équipes offrent une finale anglo-anglaise de Ligue des champions, ce qui n’était plus arrivé depuis 2008 (Manchester United-Chelsea).

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Si le scénario était imprévisible, la surprise est qu’on soit surpris de cette domination anglaise. En s’en tenant aux chiffres financiers, la Premier League devrait s’imposer bien plus largement sur le théâtre européen.

Selon le cabinet Deloitte, le championnat anglais a dégagé un chiffre d’affaires de 4,8 milliards de livres sterling (5,6 milliards d’euros) la saison dernière. C’est environ 60 % de plus que les championnats allemand ou espagnol et trois fois plus qu’en France.

Le joueur de Chelsea Ruben Loftus-Cheek saute de joie après son premier but contre Francfort, le 9 mai.
Le joueur de Chelsea Ruben Loftus-Cheek saute de joie après son premier but contre Francfort, le 9 mai. HANNAH MCKAY / REUTERS

Domination du portefeuille

Dans le classement des clubs les plus riches, le Real Madrid et le FC Barcelone sont certes en tête, mais treize des trente premiers sont anglais (alors qu’il n’y a que quatre espagnols, trois allemands et deux français dans ce palmarès).

Tottenham a un budget de 430 millions d’euros, quatre fois et demie celui de l’Ajax Amsterdam. Sur cette base, la vraie surprise est que le club du nord de Londres ait eu autant de difficultés à s’imposer.

Quant à l’Eintracht Francfort, il est le Petit Poucet des équipes arrivées à ce stade de la compétition. Une comparaison résume tout : depuis vingt-cinq ans, le club allemand a dépensé 140 millions d’euros en transferts ; Chelsea a lâché presque la même somme (118 millions de livres, 136 millions d’euros) sur le seul achat de deux joueurs, à l’été 2018, le milieu de terrain Jorginho et le gardien Kepa Arrizabalaga.

Avec une telle domination du portefeuille, il est presque étonnant qu’aucun club anglais ne soit parvenu en finale de la Ligue des champions de 2013 à 2017.

Ils disposent pourtant d’un autre atout économique : leur richesse est assez bien répartie entre les équipes. « Alors qu’en Espagne ou en Italie, l’écart financier entre les grands clubs et les petits est très important, la Premier League est un peu plus égalitaire », résume Tim Bridge, de Deloitte.

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Les dirigeants de la Premier League ont imposé leurs règles, répartissant équitablement entre les vingt équipes la moitié des revenus des sponsors et des droits télévisés. Le reste est partagé selon le classement de chaque club et du nombre de retransmission de ses matchs à la télévision.

Cette – relative – égalité permet d’avoir un championnat très compétitif. Même les « petites » équipes ont des ressources financières importantes. Brighton (17e au classement, qui a évité la relégation de justesse) a ainsi le même budget que… Lyon.

« Il n’y a pas vraiment de match mort en Premier League, où une équipe domine de façon trop certaine », déclare M. Bridge. D’après lui, les clubs ont l’habitude de se battre jusqu’au bout, ne laissant rien passer. De quoi expliquer le but de la victoire de Tottenham à la 95e minute.

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« La Premier League est extrêmement intense, confirme Matthew Taylor, historien du sport à l’université De Montfort, à Leicester. Tous les matchs se jouent jusqu’à la dernière minute. » Cette saison, le tiers des buts a été marqué dans les dix dernières minutes, à l’arraché.

Liverpool est particulièrement fort à ce jeu, les Reds ayant inscrit dix-huit buts sur cette dernière période du match. « Ne jamais abandonner fait partie de la culture britannique, ajoute M. Taylor. Je suis d’ailleurs surpris de ne pas avoir encore lu de comparaison entre la seconde guerre mondiale et les retournements de situation de Liverpool et Tottenham. »

L’attaquant Divock Origi inscrit le quatrième but  de Liverpool, synonyme de qualification contre Barcelone en demi-finale retour de Ligue des champions, le 7 mai à Anfield, le stade des Reds.
L’attaquant Divock Origi inscrit le quatrième but  de Liverpool, synonyme de qualification contre Barcelone en demi-finale retour de Ligue des champions, le 7 mai à Anfield, le stade des Reds. PETER BYRNE / AP

Cercle vertueux

Cette domination financière anglaise ne doit rien au hasard. Dans les années 1990, le championnat italien était plus riche et les meilleurs joueurs internationaux y signaient tous. Le football anglais doit remercier un homme pour ce changement de situation : Rupert Murdoch.

Le magnat de la presse (propriétaire du Sun, du Times…) lançait à l’époque son réseau de télévision par satellite Sky. Il a fait du football l’une de ses principales offres, dépensant en 1992 l’équivalent de 700 millions d’euros actuels pour acheter les droits de retransmission pour trois ans. La somme a choqué à l’époque, mais elle paraît aujourd’hui dérisoire : Sky a renouvelé ses droits de 2019 à 2022 pour 4 milliards d’euros.

Dans le même temps, l’offre sur le terrain était excellente. « Les clubs de Premier League ont un cahier des charges très précis, explique M. Bridge. Tout a été pensé pour que la retransmission soit spectaculaire. Un excellent niveau de qualité des pelouses est exigé, par exemple. »

Aujourd’hui, la Premier League est donc rentrée dans un cercle vertueux. Grâce à l’argent qui coule à flots, les clubs peuvent attirer les meilleurs joueurs et entraîneurs, ce qui leur permet de remporter plus de compétitions, attire les téléspectateurs et permet d’augmenter les droits de retransmission.

Le football n’est cependant pas un tableau Excel. « Malgré les statistiques, l’argent, les calculs, cela reste un théâtre imprévisible, conclut M. Taylor. Les matchs de ces derniers jours, avec les remontées de Liverpool et de Tottenham, étaient incroyables. »

Pas même un milliardaire ne peut contrôler le hasard d’une frappe d’Ajax qui atterrit sur le poteau, permettant la victoire des Spurs quelques minutes plus tard. Ou le corner malin de Liverpool, joué rapidement alors que Barcelone ne regardait pas. Le spectacle demeure entier. Mais statistiquement, sur la durée, cette domination anglaise devrait durer.

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Eric Albert

(Londres, correspondance)

Source : Le Monde

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