Revenez après le ramadan, inchallah !

C’est le mois où le temps devient inutile, voire vilain et dangereux, comme un adversaire, un ennemi à abattre. Alors on le tue littéralement, on veut s’en débarrasser, l’effacer, l’éliminer.

 

Le ramadan est un mois de spiritualité, on arrête de manger et de faire des bêtises, on prie beaucoup, on pense aux pauvres, on renoue avec les notions perdues d’entraide et de solidarité, on sort de notre égoïsme, on oublie les choses insignifiantes de la vie matérielle, on retrouve la famille, les proches…

Dans un monde de bisounours, où la vie ressemblerait à une carte postale, le ramadan donnerait «ça»: une parenthèse enchantée, une période magique, où le riche et le pauvre seraient enfin réconciliés, à l’intérieur d’une société égalitaire et juste comme le socialisme et le communisme réunis n’ont jamais réussi à en produire.

Mais nous ne sommes pas dans un monde de bisounours!

Le ramadan est une parenthèse qui nous ramène à une autre réalité, qui n’a rien de magique. C’est le mois du non-travail: il y a ceux qui arrivent en retard et repartent très tôt, qui s’absentent pour prier ou parce qu’ils sont malades, qui refusent de travailler parce qu’ils sont irrités et n’ont pas la tête, etc.

C’est le mois de l’infantilisation : ceux qui se cachent pour se nourrir, qui ont subitement peur de leurs enfants, de leurs parents, de leurs amis, de leurs voisins, de leurs collègues.

C’est le mois de l’inquisition et de l’intolérance: ceux qui reniflent les chambres, les escaliers, les bureaux, les voitures, à la recherche du moindre signe de «non-jeûne». Ceux qui traquent les non jeuneurs, les montrent du doigt, les maudissent et sont prêts à les lyncher en public.

C’est le mois de la colère et des nerfs à vif (on s’insulte et on se bagarre pour rien), des bousculades (aux portes des mosquées, des commerces, des transports en commun), du non respect du code de la route et des règles élémentaires de bonne conduite (on klaxonne sans arrêt, on brûle les feux rouges, les stop, on ne respecte aucune priorité).

Parce qu’on est «stressés», pressés, paniqués, distraits, «travaillés» par la faim, la soif, le temps qu’il reste (avant l’appel du ftour).

C’est le mois des mines grises et décoiffées, des horaires improbables, des rendez-vous impossibles à obtenir ou à honorer (le fameux «revenez après le ramadan, inchallah»), des téléphones qui ne répondent jamais.

C’est, surtout, le mois où le temps devient inutile, voire vilain et dangereux. C’est prodigieux, incroyable. Le temps devient un adversaire, un ennemi à abattre. Alors on le tue littéralement, on veut s’en débarrasser, l’effacer, l’éliminer. En dormant, en jouant aux cartes, en s’assoupissant devant des rediffusions de séries ou d’émissions stupides (mais qui ont la suprême qualité d’être interminables), en palabrant sans fin à propos de tout et de rien.

Ce n’est pas un hasard si beaucoup de Marocains, qui peuvent se le permettre, choisissent de fuir le pays en temps de ramadan. Ils cherchent la liberté et la quiétude. Pour déjeuner sans avoir l’impression de tuer quelqu’un. Ou jeuner tout en profitant de la vie et du temps qui passe.

Bon ramadan, quand même! Et bon courage surtout à ceux qui vont devoir se battre pour vivre pleinement leur spiritualité…ou essayer de travailler et de maintenir un semblant d’activité «normale».

 

Karim Boukhari

Source : Le 360.ma (Maroc) – Le 04 mai 2019

 

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