France – Etudiants étrangers : une augmentation des droits d’inscription à géométrie variable

Les universités adoptent des politiques d’exonération variées à l’encontre des étudiants extra-européens, assujettis à des « frais différenciés » à compter de la rentrée 2019.

Le gouvernement n’a pas reculé, malgré la forte opposition des syndicats étudiants et enseignants. Et aussi celle de la conférence des présidents d’université (CPU), qui demandait la suspension de la mesure.

Les « frais différenciés » pour les étudiants étrangers extracommunautaires (hors Union européenne, UE) ont bien été gravés dans un arrêté, paru au Journal officiel le 21 avril, pour une application dès la rentrée 2019. Leurs droits d’inscription passent à 2 770 euros par an en licence et 3 770 euros en master, contre 170 euros et 243 euros jusqu’alors.

La mesure, qui ne s’applique pas à ceux qui étaient inscrits à l’université avant cette rentrée couperet, concernera en revanche tous les nouveaux arrivants, à partir de cette date, année après année. Les doctorants ne sont, eux, pas concernés par la mesure, a annoncé la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, en février.

Sur le terrain néanmoins, c’est une grille tarifaire très diverse qui est en train de se dessiner dans les facs, au gré des votes des conseils d’administration. Car, si le ministère de l’enseignement supérieur a maintenu l’augmentation générale contestée, il a dans le même temps précisé, dans un décret, les modalités d’exonération permises aux établissements. Chaque université peut en effet dispenser de droits d’inscription 10 % de ses étudiants. Un dispositif utilisable comme chacun l’entend, et donc, si les établissements le décident, en faveur des étudiants extracommunautaires.

« Universités à plusieurs vitesses »

 

Les universités doivent maintenant faire dans l’urgence leur choix de régime d’exonération. Car le temps presse pour donner cette information aux candidats, alors que certaines des procédures d’inscription s’achèvent le 10 mai.

Mise en pratique bienvenue de « l’autonomie » des universités ? « Hypocrisie » d’un gouvernement qui renvoie la « patate chaude » aux différents établissements ? Les analyses divergent. « On se dirige vers des universités à plusieurs vitesses », dénonce pour sa part Hervé Christofol, à la tête du Snesup-FSU, l’un des syndicats de personnels de l’enseignement supérieur qui s’élève contre ce « dilemme » face auquel le gouvernement place les établissements de l’enseignement supérieur, avec cette nouvelle ressource potentielle, à l’heure des contraintes budgétaires.

« Au sein même du territoire national, cette mesure est de nature à accélérer la différenciation en cours des campus », s’inquiètent aussi dans une motion les élus de l’université de Caen qui ont voté, le 5 avril, l’exonération de tous leurs étudiants extracommunautaires à la prochaine rentrée. Une différenciation qui interviendra, d’après eux, « entre [les universités] qui souhaiteront utiliser cette mesure pour augmenter leurs ressources propres et leur attractivité sélective vis-à-vis des étudiants les plus brillants et celles qui ne le souhaiteront ou ne le pourront pas ». « C’est dangereux pour l’équilibre des territoires », ajoute Mathias Bernard, à la tête de l’université Clermont-Auvergne qui a fait le même choix de l’exonération globale.

Nanterre, Aix-Marseille, Paris-Sud, Strasbourg… Une douzaine d’universités ont déjà tranché, en ce début de mois de mai, en faveur d’une politique générale d’exonérations dites « partielles » pour tous les non-Européens, permettant de fixer leurs droits d’inscription au même niveau que ceux pratiqués jusqu’ici. Soit les mêmes montants que ceux appliqués aux Français et aux Européens. Près d’une vingtaine d’établissements (sur quelque 70 universités) avaient annoncé dès cet hiver leur intention de ne pas appliquer la hausse en recourant à cette possibilité réglementaire.

 

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« Générer des revenus »

 

D’autres universités se dirigent, elles, vers une politique au cas par cas. A Rennes-I, le conseil d’administration a voté, le 25 avril, l’application de ces droits, cependant accompagnée de la création d’une commission d’exonération qui examinera les dossiers des étudiants extracommunautaires.

Différents critères seront pris en compte, tels la situation sociale de l’étudiant (en observant l’indice de développement humain du pays, le produit intérieur brut nominal nominal…), le pays d’origine (avec la volonté de favoriser les étudiants de pays francophones), ou encore le champ disciplinaire, pour soutenir les étudiants rejoignant des formations menant à des métiers où la demande du marché est forte. Sans compter la qualité académique de chaque candidature, qui sera examinée en amont par des commissions pédagogiques. L’université de Bordeaux envisage le même type de critères.

« Nous pourrions exonérer tout le monde », reconnaît Pierre van de Weghe, vice-président chargé des relations internationales à l’université Rennes-I. « Mais l’enjeu est de mettre en place des mesures d’accompagnement et de soutien pour les étudiants internationaux, ce qui nécessite de générer des revenus, défend-il. Notre premier engagement est de faire réussir ces étudiants. »

Chez ses confrères lillois, le raisonnement a été différent. « Nous désapprouvons cette mesure mais nous avons essayé de la mettre en œuvre le plus honnêtement possible », explique le vice-président, François-Olivier Seys.

L’université a adopté une formule à deux niveaux : les futurs arrivants en master échapperont à l’augmentation, ceux de licence y seront assujettis, avec la possibilité de demander une exonération sur critères sociaux.

 

« Une solution à court terme »

 

« A terme, nous ne pourrons pas exonérer tous les non-Européens : nous pourrions le faire un an, mais pas deux, donc je préfère dire la vérité aux étudiants dès le départ », poursuit-il, tout en rappelant que l’université exonère déjà, dans ce quota de 10 %, quelque 800 étudiants français et européens sur critères sociaux. Le volume d’étudiants concernés par les nouveaux droits augmentera en effet mécaniquement dans les prochaines années, avec de nouveaux arrivants.

« L’exonération générale est une solution, mais à court terme, s’inquiète aussi Orlane François, présidente du syndicat étudiant la Fage, opposé à la mesure. On n’est pas sûr que ça tiendra pour ces étudiants durant tout leur cycle d’étude [trois ans en licence, deux ans en master]. »

« La vraie question va se poser l’an prochain », pointe Mohamed Amara, à la tête de la commission des relations internationales et européennes de la CPU et président de l’université de Pau et des pays de l’Adour, qui a opté pour l’exonération générale.

En 2020 – et encore plus en 2021 – le taux de 10 % deviendra insuffisant pour exonérer tous les étudiants extracommunautaires dans de nombreux établissements. Entre les lignes, les textes réglementaires ne disent pas autre chose : cette possibilité d’exonération donne en 2019 une « marge de manœuvre pleine et entière » aux universités, le temps « [d’]affiner leur politique d’exonération en vue de la rentrée 2020 ».

Camille Stromboni

Source : Le Monde

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