Mauritanie – Présidentielle : le débat identitaire fait son retour en force

Une soixantaine d’années après l’indépendance, l’unité nationale reste au centre d’un débat charriant les passions en Mauritanie, dans le contexte d’un Etat dont l’avènement précède la réalisation du concept socio-politique de «nation», à l’instar de beaucoup de pays africains.

 

Il y a quelques jours, l’Office National des Statistiques (ONS) a publié la liste des coordinateurs régionaux chargés de la supervision des opérations complémentaires du Recensement administratif à vocation électorale (Ravem-complémentaire) en perspective de l’élection présidentielle du 22 juin 2019. Des nominations pour lesquelles les acteurs issus de certaines communautés nationales, qui se plaignent régulièrement d’exclusion, auraient été encore « zappés ».

Colère des opposants

 

Cette note d’un service officiel provoque la colère de certaines personnalités issues de l’opposition; illustration avec la réaction du Pr Lô Gourmo Abdoul, représentant de la communauté négro-mauritanienne et vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition), qui rejette la démarche de l’institution.

« Cette note du directeur général de l’Office national des statistiques (ONS) est l’exemple même de la politique d’incitation à la haine entre nos communautés par son caractère ouvertement discriminatoire, ethniquement sélectif et insultant pour les communautés négro-africaines désormais officiellement exclues de l’espace public », dénonce-t-il.

Selon lui, « il est clair que le président sortant a opté pour la politique de la terre brûlée, à défaut de troisième mandat: après moi, le déluge. Voilà pourquoi il nous sera léguée la pire des bombes, la bombe identitaire raciale, par la multiplication des actes de provocation de type ouvertement raciste que ce soit à travers la chasse aux sorcières contre les seuls ressortissants sahéliens ou les nominations discriminatoires… ».


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L’écho est identique auprès de Nana Mint Mohamed Laghdaf, issue de la cammunauté dite « arabo-berbère », députée du Rassemblement des forces démocratiques (RFD-opposition), qui estime que « la dénonciation de l’exclusion et des manœuvres de division doit se faire au-delà des appartenances politiques ».

« Danger »

 

Et d’ajouter: « l’exclusion constitue un danger pour l’existence du pays, car une société divisée est une société à jamais asservie dans son ensemble, une société exposée à l’émiettement dans l’hostilité ».

Elle craint que cette situation n’ait, à terme, pour « conséquence inéluctablement l’effondrement de l’Etat ». Toujours selon Nana Mint Mohamed Laghdaf, « il serait important de mon point de vue, que tous les patriotes conscients de ce danger œuvrent afin que la prochaine alternance inaugure un nouvel esprit qui permettrait d’enclencher une dynamique en vue de nous sortir de cet engrenage. Prenons conscience de la nécessité vitale pour nous de jeter des ponts afin de sauver la Mauritanie de la crise identitaire qui la secoue ».

Elle constate qu’il s’agit d’une « crise dont l’existence n’est plus à démontrer, qui représente un véritable danger pour notre paix sociale et pour l’existence du pays ».

Enfin, elle liste tous les maux que dénoncent beaucoup. « Oui, l’exclusion quasi-systématique au niveau de l’administration est pratiquée envers les négro-mauritaniens par un Etat qui devient de plus en plus fou. Oui, toutes les réformes de l’enseignement ont servi à éloigner les jeunes mauritaniens les uns des autres et bâti un mur d’incompréhension, source indiscutable d’hostilité. Oui, sur le plan économique une exclusion visible est pratiquée par l’Etat à l’encontre des communautés autres que beydhanes. Oui, cela n’empêche que l’écrasante majorité des beydhanes est victime d’une invisible exclusion ».


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Après avoir fait ce triste constat, l’élue du RFD indique la voie à suivre pour tuer le monstre. « Il faut sauver notre pays des dangers d’une situation fatale à tous à terme. Un moyen pacifique, qui, à mon humble avis, est plus sûr que toutes les armes du monde ».

Il s’agit de « se retrouver au niveau des élites conscientes de ce problème, réfléchir ensemble, parler, toutes communautés confondues afin d’envisager une stratégie au dessus des chapelles politiques, permettant de dénoncer ensemble l’exclusion, la division et de casser le mur de l’indifférence ».

« Je sais que ce n’est pas simple à cause des «enjeux» purement politiciens, mais il faut absolument se mettre à la tâche, car il s’agit d’une situation qui menace la pérennité de notre pays », conclut-elle.

 

« Appartenir à la communauté nationale »

 

Pour sa part, Mohamed Cheikh Mohamed Ahmed dit Ghazouani, ex-chef d’état major de l’armée, ancien ministre de la défense et candidat de la majorité à l’élection présidentielle 2019, pour laquelle il est le grand favori, « rejette fondamentalement tout ce qui est de nature à semer la division du peuple sur des bases claniques, raciales ou ethniques ».

C’est, dit-il, « une option clairement déclinée dans mon discours de candidature le 1er mars dernier, avec l’engagement ferme d’œuvrer au renforcement de l’Etat de droit et des valeurs de citoyenneté pour que tous ceux qui se sentent lésés ou marginalisés puissent enfin avoir le sentiment d’appartenir pleinement à la communauté nationale ».

Le Dr Kane Hamidou Baba, leader du Mouvement pour la refondation (MPR), candidat à l’élection présidentielle du 22 juin 2019 de la coalition «Vivre Ensemble»,composée de partis politiques, mouvements et personnalités issus de la mouvance nationaliste noire, n’aborde pas la question de l’unité nationale avec le dos de la cuillère. Il appelle « à passer d’un Etat raciste à l’Etat de droit. La Mauritanie est malade de son unité nationale et a besoin de refondation ».


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Moussa Hamed, analyste politique, ancien Directeur Général de l’Agence Mauritanienne (AMI), organe du gouvernement, invite les Mauritaniens « à sortir le débat sur l’unité nationale des chapelles politiques et à rompre avec les postures partisanes. Il est illusoire d’imaginer l’unité nationale hors du cadre d’une vraie démocratie, condition incontournable d’un Etat de droit».

Ce chantier devrait donc être considéré comme prioritaire par le président de la République qui sera élu le 22 juin 2019, ou le 6 juillet 2019 (en cas de deuxième tour).

Cheikh Sidya

Correspondant à Nouakchott

 

Source : Le 360.ma (Maroc)

 

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