Yahoud

Dire qu’il existe un antijudaïsme islamique est une affirmation du même genre que celle de parler d’un antijudaïsme chrétien. Sur le plan théologique, le fait que le christianisme se soit séparé du judaïsme a entraîné, dans l’histoire, oppositions, polémiques et anathèmes des deux côtés. Il en est de même des rapports entre le judaïsme et l’islam dans les siècles qui ont suivi l’époque coranique. Identifier les points de rupture n’empêche pas de s’appuyer sur les points communs et les continuités ; c’est d’ailleurs le but des dialogues et trilogues interreligieux contemporains.

 

 

Quelle identité dans le Coran ?

 

L’islam est né sur un terrain culturel et religieux largement travaillé par le judaïsme et le christianisme, et sans que l’on sache vraiment quels étaient les contours théologiques précis des groupes avec lesquels le Prophète de l’islam était en contact. Le Coran parle des « gens du Livre » (ahl al-Kitāb), et parmi eux d’al-yahūd, le terme même par lequel les juifs se désignent en hébreu, ainsi que des nazaréens (al-nasārā), un groupe que les musulmans considèrent comme chrétiens. Il n’y a aucune chance qu’il s’agisse des juifs et des chrétiens en général : Ibn Hatim Al-Razi (811-860) donne par exemple à l’appui de son commentaire des termes al-yahūd et al-nasāra cités dans le Coran, II, 113, des hadiths impliquant une dispute entre des chrétiens de Najran et des juifs qui sont donc bien contemporains du prophète Mohammed1.

Le Coran se réfère souvent aussi explicitement aux « fils d’Israël » ((banū Isrā’īl)) pour parler du peuple qui a reçu la révélation et suivi les enseignements de Moïse, dont la continuité théologique est revendiquée :

Ô, fils d’Israël ! […] Rappelez-vous que Je vous ai préférés à tous les contemporains [ᶜālamīn] ! (Coran, II, 47).

Jésus, fils de Marie, dit : “Ô fils d’Israël, je suis le Prophète de Dieu envoyé vers vous pour confirmer la Thora qui m’a précédé, et vous annoncer la venue après moi d’un Prophète du nom d’Ahmed2 (Coran, LXI, 6).

Si le Coran puise largement dans les prescriptions de la halakha, la « loi » juive, le grand reproche fait à une partie au moins des fils d’Israël est globalement de s’être détournés du message divin. Dans le détail, la question n’est pas celle du veau d’or :

Ils préférèrent alors le veau, en dépit des preuves décisives qui leur étaient parvenues. Nous leur avons pardonné cela et avons donné à Moïse une autorité incontestable (Coran, IV, 153).

C’est plutôt d’avoir accusé des prophètes de mensonge ou d’en avoir tué d’autres, ce qui reprend d’ailleurs l’Évangile :

Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui t’ont été envoyés (Matthieu, XXIII, 37, et Luc, XIII, 34).

ainsi que d’avoir « comploté contre Jésus » (Coran, III, 54).

 

D’où l’attitude qui apparaît double au premier abord : d’un côté,

Ne polémiquez avec les gens du Livre que de la manière la plus courtoise, à moins qu’il ne s’agisse de ceux d’entre eux qui sont injustes (Coran, XXIX, 46).

Et, de l’autre :

Ô vous qui croyez ! Ne prenez pas les juifs et les nazaréens pour alliés. Ils sont alliés les uns des autres. Quiconque parmi vous les prend pour amis sera des leurs » (V, 51).

Il n’y a cependant pas de contradiction si l’on comprend que nous sommes dans le premier cas sur le terrain théologique et, dans le second, sur celui des rapports avec des groupes sociaux régis par le droit tribal en vigueur à l’époque dans la péninsule Arabique. Rien donc d’une judéophobie sociale de principe qui vouerait les juifs ou les chrétiens à l’interdit. L’islamologue israélien Meir Bar-Esher l’affirme à juste titre : « Tuer les juifs n’est pas écrit dans le Coran »3.

Dans le cadre de la dhimma

 

Aucun irénisme cependant. Des conflits entre musulmans et juifs ont éclaté à Médine même, ne découlant nullement d’une opposition théologique, et donc de la nature même de l’islam, mais de la rupture de la charte de Médine, qui faisait en 622 des trois tribus juives de la cité des membres à part entière de l’oumma. Ils ne se sont toutefois pas étendus aux autres communautés juives du Hedjaz.

 

Dans les débuts de la civilisation islamique, juifs comme chrétiens étaient administrés dans le cadre de la dhimma, littéralement « protection », proposée par les chrétiens au calife Omar, lequel l’a ensuite étendu aux juifs, et qui s’inspire des rapports établis par Mohammed avec les chrétiens de Najran en 631. Cette dhimma puise donc aux sources des rapports de droits et de devoirs tribaux issus de la société préislamique, qui impliquent protection véritable des biens et des personnes moyennant des obligations, à savoir le paiement d’un impôt particulier, normalement proportionné aux ressources des assujettis, appelé une compensation (jiziya) du fait qu’elle dispense de la zakāt, l’aumône légale payée par les seuls musulmans.

 

Lire la suite

Roland Laffitte

Source : Orientxx.info

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page