Assange : hackeur, lanceur d’alerte, journaliste ou activiste politique?

OPINION. Au nom de la liberté d’informer, peut-on ignorer les desseins des Etats hackeurs? interroge notre chroniqueur Frédéric Koller après l’arrestation de Julian Assange.

Dans un portrait consacré à Julian Assange par le New Yorker, en août 2017, le journaliste Raffi Khatchadourian rapporte ces propos du cofondateur de WikiLeaks en 2010: «Nous ne venons pas sauver le journalisme mais le détruire», dit l’Australien. «Mérite pas de vivre. Trop dégradé. Il faut le réduire en cendres avant qu’une autre structure puisse se former.» Raffi Khatchadourian ajoute que Julian Assange lui a expliqué qu’il n’avait aucun intérêt à faire de WikiLeaks une «opération journalistique» et que ses collaborations avec de grands journaux internationaux lui offraient un réseau et un bouclier. Son objectif est autre.

L’arrestation, jeudi, de Julian Assange par les autorités britanniques promet un long feuilleton politico-judiciaire. Fera-t-il de la prison au Royaume-Uni pour s’être soustrait à la justice? Sera-t-il extradé aux Etats-Unis où il est accusé de «piratage informatique» ou en Suède où la justice pourrait réactiver une enquête sur des accusations de viol qui n’avait pu aboutir après que l’Australien se fut réfugié dans une ambassade? Ou sera-t-il libéré, comme le demandent ses nombreux soutiens, et enfin reconnu pour sa contribution à un monde plus transparent?

Avec les hackeurs russes

 

L’histoire de Julian Assange reste à écrire. Est-il un hackeur? Un lanceur d’alerte? Un journaliste? Un activiste politique? Un peu de tout cela. C’est un acteur d’un nouveau genre né de l’économie d’internet, partageant l’utopie libertarienne de nombreux de ses créateurs d’un monde connecté et sans filtre (lois) des Etats pour le plus grand bien des individus. En lançant WikiLeaks, notamment avec des dissidents chinois, Julian Assange promettait d’affaiblir les puissances impérialistes et autoritaires. C’était bien parti: grâce à un soldat américain, entre-temps devenu femme, Chelsea Manning, il va mettre la main sur une mine d’informations permettant de documenter des crimes de guerre des Etats-Unis en Irak et l’enlisement de leurs troupes en Afghanistan. WikiLeaks sert alors de plateforme-relais pour des lanceurs d’alerte sur le Net. C’est nouveau. C’est efficace.

Vient ensuite, toujours grâce à Manning, la publication de centaines de milliers de documents diplomatiques américains. Assange a alors la bonne idée d’associer de grands journaux pour faire le tri, protéger les sources, et mettre en contexte ces «scoops». C’est le choc dans la communauté du renseignement, une mine pour les historiens, un Graal pour les journalistes. Cela semble ouvrir une nouvelle ère de l’information. C’est aussi le début des problèmes pour Julian Assange accusé par les Etats-Unis de saper leur sécurité nationale. Se sentant menacé, il gagne l’ambassade de l’Equateur à Londres qui lui offre l’asile, puis une nouvelle nationalité. Durant les sept années qui vont suivre, WikiLeaks va encore publier quelques précieux documents diplomatiques, notamment syriens et saoudiens. Et commettre l’erreur de divulguer une partie des câbles diplomatiques américains sans plus aucun filtre au risque de mettre en péril des opposants.

On assiste à la transformation du héros des lanceurs d’alerte en un acteur de la guerre de l’information

Puis il y aura un long silence. On va reparler de Julian Assange en 2016: il promet alors des révélations sur Hillary Clinton contre qui il est ouvertement en guerre. Des documents du camp démocrate et des mails de la candidate seront en effet divulgués durant l’été par WikiLeaks, semant le trouble dans la campagne présidentielle. D’où venaient cette fois-ci les documents? De hackeurs russes sous pilotage du Kremlin, conclut l’enquête du procureur spécial Robert Mueller. Julian Assange a-t-il aidé Trump à se faire élire? Il nie. Sa proximité avec Moscou est par contre publique. Il a notamment collaboré avec RT, le média d’Etat russe, dont une filiale a filmé en exclusivité son arrestation jeudi.

Ne fermons pas les yeux

 

On assiste alors à la transformation du héros des lanceurs d’alerte en un acteur de la guerre de l’information. C’est aussi un moment de bascule de l’internet comme lieu de transparence en un terrain de lutte d’influences entre puissances rivales. Au nom de la liberté d’informer, peut-on ignorer les desseins des Etats hackeurs? Au nom de la justice, peut-on s’associer à des entreprises de déstabilisation de la part d’Etats autoritaires contre les démocraties?

Il est à souhaiter que Julian Assange ne soit pas extradé aux Etats-Unis où Donald Trump en ferait aussitôt un instrument de sa guerre contre les médias. Mais ne fermons pas les yeux sur les partis pris d’un homme dont la principale aspiration semble être aujourd’hui «la chute de l’empire américain», comme l’indique en conclusion Raffi Khatchadourian.

Frédéric Koller

Source : Le Temps (Suisse)

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