La Mauritanie sans litanies

Terra non grata pendant dix années, la Mauritanie regagne petit à petit la confiance des voyageurs. Surtout les marcheurs de l’oubli, chercheurs d’absolu et autres brebis égarées en quête d’illumination céleste sous les étoiles du désert de l’Adrar, l’un des plus envoûtants du globe.

 

« Vous voyez, ces taches rouges sous le rocher ? Ce sont des peintures rupestres qui représentent des girafes datant de 4000 ans av. J.-C. Et c’est Théodore Monod lui-même qui les a repérées ! », dit Zouber Mohamed, guide mauritanien, dans un français mâtiné de notes arabes et berbères.

S’étendre sur le sable à l’endroit même où le grand bourlingueur des déserts a posé son auguste séant pour observer sa trouvaille, c’est un peu comme se tenir debout devant l’oeuvre d’une toile de maître : on sent un peu sa présence. En l’espèce, on réalise aussi que là où s’étalent aujourd’hui des terres stériles vivaient jadis des bêtes qui ne pourraient plus y survivre aujourd’hui. Car ces aires de désert forment ici l’un des environnements les plus hostiles de la planète.

Photo: Gary Lawrence

 

 

Nous sommes à Châtou es Saghir, dans l’Adrar. S’il est une région qui était chère à Théodore Monod, c’est bien celle-ci, qu’il décrit allègrement dans Majâbat Al-Koubrâ, ouvrage où l’infatigable marcheur relate sa dernière méharée… à 92 ans.

Aujourd’hui, notre petit groupe de randonneurs du vide a d’autant plus pensé à l’auteur du Chercheur d’absolu que la matinée a été éprouvante : le pilon solaire nous a martelé l’occiput cinq heures durant et, malgré les dattes, pastèques et autres litres d’eau engloutis, tout le monde a frisé l’insolation. « Je me demande comment Monod a déjà pu survivre avec un verre d’eau par jour : j’en bois trois ou quatre litres et j’ai toujours soif », confié-je à Zouber, lors d’une pause sous un acacia.

En décembre dernier, la voix douce et chantante de Zouber était la première chose que j’entendais chaque matin, à travers la toile de ma tente. Avant même les premières lueurs de l’aurore, celui-ci nous réveillait tour à tour. Une petite routine s’est alors installée : on plie bagage, on démonte la tente, on apporte le tout aux chameliers et on petit-déjeune devant la khaïma — la tente berbère —, les cheveux ébouriffés, un peu de sable entre les dents et beaucoup d’entrain dans les yeux.

Photo: Gary Lawrence

 

 

Puis, les dromadaires entrent en scène en râlant tout leur soûl avant de se mettre en branle pour nous attendre au prochain bivouac, tandis que nous prenons le large, la tête enfouie sous le chèche, cet indispensable foulard protecteur. « Bismillah, wa-hou ! » (« À la grâce de Dieu, allons-y ! »), d’intimer jour après jour Zouber, d’un ton incantatoire.

Les diktats du soleil

Chaque matin, en effet, il faut profiter de la fraîcheur des aurores pour démarrer : avec le Danakil éthiopien, le Quart vide saoudien et l’Atacama chilien, l’Adrar forme l’un des quatre endroits les plus chauds sur Terre. « Le soleil, c’est le chef, il dicte nos déplacements ! », avait prévenu Zouber, fils de l’union entre l’Adrar et l’un des derniers caravaniers du sel, qui ont sillonné le Sahara jusqu’en 1972.

Et puis, partir tôt permet d’assister aux modulations magiques des lueurs du matin, pour tenter d’établir la palette des sables comme l’a fait Théodore Monod, qui leur a trouvé une soixantaine de teintes : maïs roux, ivoire, saumon, ocre safran, châtain, beige mauvacé, fauve doré…

En arrivant en fin d’après-midi au splendissime erg Maaden, c’est cependant le jaune paille qui prédominait dans ce velouté de dunes, immenses et sublimes, étendues à perte de vue d’un côté, léchant les parois des falaises environnantes de l’autre, dansant éperdument sous l’étreinte mordorée du couchant.

Après une nuit passée devant ces vagues minérales, nous les avons prises d’assaut, pieds nus dans l’aube et dans les grains de sable frais caressant la plante des pieds à chaque pas, pédicure naturelle sur fond de crêtes dunaires dont la forme changeait sous les ordres du sahéliyé, le vent constant du nord-est.

Mais l’Adrar n’est pas fait que de dunes : ce terme berbère ne signifie-t-il pas « la montagne » ? Et des éminences, il y en a en Mauritanie : collines pareilles aux Mittens de Monument Valley, plateaux tabulaires échancrés comme dans le Grand Canyon états-unien, amoncellements colossaux de blocs de grès rose et noir…

Photo: Gary Lawrence

 

« Tu verras, chaque jour est différent », avait assuré Zouber, dès le départ. Il ne mentait pas : après la ville sainte de Chinguetti et ses bibliothèques du XVIIe siècle, puis l’oasis de Mahreït, toutes vues en coup de vent (et en 4 X 4), les randonnées nous ont fait traverser des regs rocailleux, des villages de pierre sèche ensablés par l’harmattan, des palmeraies exubérantes où on a piqué une tête dans les eaux fraîches d’une guelta, des plateaux gréseux noirs comme du basalte sur lesquels nous n’étions que chairs blanches cuisant sur des briquettes surchauffées.

Un pays surtout saharien

Verdoyante au sud (le long du fleuve Sénégal), édénique à l’ouest (avec 800 km de côtes et de lisérés sablonneux), la Mauritanie est essentiellement aride, rude et rêche, sur la majorité de son territoire.

Bordée au nord par le Sahara occidental, elle a comme autres voisins l’Algérie, le Mali et le Sénégal, et elle forme une sorte de trait d’union entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. Conquise et islamisée par les Almoravides, elle fut aussi une colonie française jusqu’en 1960, année où elle s’est affranchie de l’Hexagone.

Située bien en bas de la liste des pays développés du monde, elle fut touristiquement couverte d’opprobre après l’assassinat de quatre Français, en 2007. Fin 2017, un premier vol nolisé entre Paris et l’Adrar atterrissait à Atar, après dix ans de calme et de mesures de sécurité renforcées. Après tout, les itinéraires empruntés par les randonneurs sont à des lieues des agités du bocal du djihad.

Et puis, dans ces « étendues de la grande solitude », les 4,3 millions de Mauritaniens sont la plupart du temps avenants, accueillants et amicaux, tradition nomade oblige. Hélas, dans ce pays avalé par les sables, le nomadisme se perd : les sécheresses et l’ensablement poussent les gens à migrer vers les villes. « Chaque année, il y a moins de pâturages et de dattiers », déplore Zouber.

Heureusement, on peut encore marcher, au pays du million de poètes. Marcher à s’en niveler la corne des pieds, en ne pensant à rien d’autre qu’à la prochaine dune, au prochain châtou, à l’oasis qu’on suppute. Marcher tous chakras ouverts pour s’emplir l’âme d’une euphorique béatitude, avant de s’étendre et d’écouter le silence. Puis remarcher jusqu’au soir, en attendant qu’Orion se lève et s’élève au bout de l’horizon, jusqu’à laisser des chapelets d’étoiles s’accrocher aux prunelles.

« J’aime être guide parce que ça me permet à la fois de vivre comme un nomade et de gagner ma vie », dit Zouber. Tu sais quoi, l’ami ? Je te comprends tellement…

 

Gary Lawrence
en Mauritanie

L’auteur était l’invité de Terres d’aventure.

 

 

En vrac

 

Mauritania Airlines relie Paris à Atar une fois par semaine, de novembre à mai (4 h 30). Pour rejoindre Paris à petit prix depuis Montréal, WOW Air offre plusieurs vols hebdomadaires avec escale à Reykjavik, à partir de 400 $ aller-retour. Air France relie Montréal à Nouakchott via Paris, toute l’année, plusieurs fois par semaine.

Spécialiste et poids lourd du voyage à pied depuis 40 ans, Terres d’aventure dispose de bureaux à Montréal et à Québec. L’agence propose six circuits accompagnés en français, dont des randonnées chamelières de 8 et 15 jours et un périple en train, du désert à la mer. L’organisation est réglée au quart de tour, l’éthique durable est omniprésente et les repas sont plus qu’honnêtes.

À lire Majâbat Al-Koubrâ, par Théodore Monod, Actes Sud, Paris, 1996, 247 pages ; Pieds nus à travers la Mauritanie, Odette du Puigaudeau, Phébus, Paris, 2003, 259 pages (d’abord publié en 1934) ; enfin, Le Petit Futé vient tout juste de rééditer son guide sur la Mauritanie.

Source : Le Devoir (Canada)

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