Révolution iranienne, 40 ans après – L’ayatollah Khomeyni, le vieil homme qui a secoué le monde

Saint homme pour ses admirateurs, dictateur moyenâgeux pour ses détracteurs, le guide de la révolution a transformé l’Iran en quelques années et posé les jalons d’un islamisme agressif au Moyen-Orient et dans le monde.

1er février 1979. Un Boeing 707 d’Air France se dirige vers l’aéroport de Téhéran-Mehrabad depuis Paris. Les tours de contrôle des pays survolés sont sur le qui-vive, en contact constant avec le commandant de l’avion, Jean Mouy. La tension est palpable tout au long du trajet, ce n’est pas un voyage comme les autres.

Parmi les passagers, un homme se démarque des autres : l’ayatollah Rouhollah Khomeyni. Accompagné de 17 membres de son état-major et d’une flopée de journalistes, il rentre, à 77 ans, au pays après quinze ans d’exil. Il vient de passer les quatre derniers mois à Neauphle-le-Château, dans la banlieue parisienne.

À 9 h 33 précises, le “vol spécial” touche le sol iranien. L’ayatollah à la barbe blanche et au turban noir (signe qu’il est un descendant du prophète Mahomet) sort lentement de l’avion, s’agrippant au bras de l’un des stewards. Une foule de plusieurs millions d’Iraniens l’attend, fébrile.

Les images de la foule en liesse s’enchaînent, certains courent derrière la voiture de Khomeyni, s’y accrochent, grimpent dessus, tout au long des 25 kilomètres qui séparent l’aéroport du “cimetière des martyrs” de Behecht-e Zahra, au sud de Téhéran. Il s’apprête à y prononcer son premier discours.

Une monarchie déclarée illégale

 

Le choix du lieu est symbolique, c’est là que sont enterrées les victimes de l’oppression du chah Mohammad Reza Pahlavi, en passe d’être chassé d’un pouvoir qu’il détenait depuis 1941. Assis en surplomb de la foule, l’imam s’exprime d’une voix posée devant des Iraniens qui l’écoutent d’une oreille attentive.

Le leader religieux fustige la monarchie constitutionnelle en place, qu’il déclare “illégale”. Ce moment, Khomeyni l’attend depuis bien longtemps. C’est en 1964 que l’ayatollah est expulsé lors de la “révolution blanche” lancée par le chah pour moderniser l’Iran.

Il est kidnappé par la Savak (la police secrète du chah), puis envoyé en Turquie pour son opposition trop virulente à l’égard du régime. Durant ses longues années d’exil, Khomeyni prépare son retour depuis la ville sainte chiite de Najaf, en Irak, où il a d’abord trouvé refuge.

Depuis l’étranger, il mène une campagne de plus en plus virulente contre l’empereur, enregistrant ses discours sur des cassettes qui sont envoyées en Iran pour être diffusées à travers le pays. Dix jours après son arrivée à Téhéran, une insurrection sanglante renverse le conseil royal en place.

La réincarnation de “l’imam caché”

 

Le chah est déjà en exil depuis le 16 janvier 1979, à la suite des manifestations demandant son abdication et qui ont commencé en septembre 1978. Le dirigeant iranien avait déjà été contraint à l’exil en 1953, avant de revenir quelque temps plus tard.

Mais, cette fois-ci, les protestations populaires gagnent de l’ampleur, malgré la forte répression du régime. Le dernier Premier ministre du chah, Chapour Bakhtiar, ex-opposant libéral, tente de rallier des soutiens autour de lui et d’apaiser les tensions. En vain.

L’armée, profondément divisée entre les partisans de Bakhtiar et ceux de l’ayatollah, explose, et des militaires se battent entre eux. Dix jours après le retour de Khomeyni, le gouvernement impérial est renversé.

L’ayatollah, en qui ses partisans voient la réincarnation de “l’imam caché” [dans le chiisme, le dernier imam n’est pas mort mais a été occulté], devient alors le leader de la révolution islamique. Le gouvernement de Mehdi Bazargan nommé par l’imam Khomeyni prend la relève. La République islamique est proclamée le 1er avril 1979.

Tout pays musulman doit suivre la charia

 

Rarement un leader aussi improbable aura autant secoué le monde”, écrit le Times à propos de Khomeyni en 1979, alors que la rédaction le nomme personnalité de l’année. Né le 24 septembre 1902 dans la ville de Khomein, Rouhollah Moussavi grandit dans une famille particulièrement religieuse et aux côtés d’ayatollahs (son frère, son père et son grand-père).

Dans sa jeunesse, il suit des cours de théologie et de philosophie à Ispahan. Il devient ensuite enseignant dans les années 1920 dans la ville sainte de Qom, où est enterrée la fille du septième imam chiite. Il se rapproche de l’ayatollah Mirza Mohammad Ali Shahabadi, seul opposant au chah à cette époque.

Khomeyni est nommé ayatollah dans la foulée. Signifiant “signe de Dieu”, ce titre est donné aux personnes reconnues comme expertes en loi islamique et en jurisprudence religieuse, selon la tradition chiite.

En 1929, il épouse une jeune fille de 15 ans, Qods-e Iran. Peu de détails fuitent sur sa vie privée, alimentant toutes sortes de rumeurs sur les origines de l’imam et de sa famille. Pendant les années suivantes, Khomeyni reste en retrait de la scène politique.

Ce n’est que dans les années 1940 qu’il commence à publier ses écrits, où il critique les mesures prises par le régime du chah allant vers une occidentalisation et une laïcisation du pays. Pour lui, tout pays musulman doit suivre la charia, qu’importe la nature du régime.

 

À la fois Robespierre et Napoléon

 

Khomeyni se montre donc très critique à l’égard des ayatollahs ayant accepté de soutenir le chah. Il acquiert le titre de “marja-e taqlid” en 1961, signifiant “modèle d’inspiration”, le plus haut grade accordé à un ayatollah. S’appuyant sur cette légitimité, il cherche à étendre sa sphère d’influence dans le pays et s’impose très rapidement comme l’une des figures principales de l’opposition avant et après son exil.

Très charismatique, la posture sévère et grave et le regard noir, Khomeyni est le personnage principal de la révolution iranienne. Il est, dans le même temps, Robespierre et Napoléon, en incarnant à la fois la révolution, la terreur et même l’esprit de conquête.

À son retour à Téhéran, Khomeyni expose une vision du pays bien différente de celle qu’il défendait auparavant. Celui qui se déclarait en faveur de la liberté d’expression, d’une “démocratie islamique”, de l’amélioration de la condition des femmes et pour leur liberté vestimentaire effectue un virage à 180 degrés.

“N’écoutez pas ceux qui parlent de démocratie. Ils sont contre l’islam et veulent éloigner le pays de sa mission. Nous allons briser les plumes empoisonnées de ceux qui parlent de nationalisme, de démocratie et de ce genre de choses”, déclare-t-il le 13 mars 1979 lors d’une conférence avec des enseignants et des étudiants à Qom.

La main sur le religieux, l’armée et la justice

 

Quiconque s’oppose au régime s’attire les foudres de l’ayatollah.

Nous devons avertir ces intellectuels qu’ils seront écrasés s’ils n’arrêtent pas leurs ingérences. Nous vous avons, jusque-là, traités avec clémence, dans l’espoir que vous cessiez votre malfaisance.”

“Ces proaméricains doivent savoir que nous pourrons les exterminer quand nous le voudrons en très peu de temps”, menace-t-il le 8 août 1979, lors d’une déclaration au peuple iranien.

Quelques mois plus tard, l’absolutisme du guide de la révolution est proclamé dans la Constitution. L’ayatollah devient la figure la plus importante du pays, ayant notamment la main sur le religieux, l’armée et la justice. Lors d’un entretien exclusif obtenu par le journaliste de CBS Mike Wallace avec l’ayatollah Khomeyni, chaque détail est minutieusement contrôlé par l’équipe de l’imam.

Le reporter décide de contourner le protocole et demande si l’imam sait que le raïs égyptien, Anouar El-Sadate, le qualifie de “lunatique”. L’interprète fronce les sourcils et lui lance un regard noir, mais traduit tout de même pour l’ayatollah à la suite de l’insistance du journaliste.

À l’écoute du nom de Sadate, Khomeyni, assis en tailleur à même le sol, esquisse un sourire. Il fustige le dirigeant égyptien d’une voix posée et lui prédit une courte carrière. L’homme au visage fermé ne cille pas. Il a un contrôle parfait de lui-même. Moins de deux ans plus tard, Sadate est assassiné.

Huit ans de guerre sanglante

 

Dès 1980, les relations s’enveniment entre l’Iran et l’Irak. Le 22 septembre 1980, l’Irak, qui voit l’arrivée de Khomeyni d’un mauvais œil, tente d’envahir l’Iran, avec l’appui discret des pays occidentaux. La justification apportée est celle de la multiplication des incidents à la frontière entre les deux pays, mais le dirigeant irakien, Saddam Hussein, cherche en réalité à contenir l’expansion idéologique iranienne.

Les Iraniens affichent une résistance féroce, luttant pour cette “cause divine”, bien loin de ce qu’avaient anticipé Bagdad et ses alliés. La guerre s’étend sur huit longues années et les armées des deux côtés subiront de lourdes pertes.

 

L’Iran finit par accepter à contrecœur la résolution 598 de l’ONU pour y mettre un terme, le cessez-le-feu est appliqué le 8 août 1988. “J’avais promis de lutter jusqu’à la dernière goutte de mon sang et jusqu’à mon dernier souffle”, déclare Khomeyni dans un communiqué. “Prendre cette décision fut plus mortel que prendre du poison”, ajoute-t-il.

Téhéran se tournera ensuite vers le Liban et d’autres pays du Golfe pour financer des groupes chiites et propager la révolution, après l’échec irakien. Les exécutions de ceux qui enfreignent les principes de l’islam, aux yeux du régime, se multiplient.

Fatwa de mort contre Salman Rushdie

 

Lorsque la journaliste italienne du New York Times Oriana Fallaci lui fait part de ses interrogations sur un rapport datant de 1979 répertoriant les exécutions d’homosexuels ou de personnes ayant commis des adultères, l’ayatollah lui répond : “Si votre doigt souffre de gangrène, que faites-vous ? Laissez-vous la main entière, puis le corps se laisser gangrener ou coupez-vous le doigt ?

Les femmes doivent porter le tchador, la musique est bannie des radios et télévisions, et toute critique de la religion est sévèrement réprimée. L’imam a également recours aux outils religieux à sa disposition pour éliminer l’opposition.

Un rapport d’Amnesty International expose en 1990 les massacres perpétrés à l’encontre des opposants politiques dans les prisons iraniennes en 1988, qui font plus de 33 000 morts.

Le 14 février 1989, Khomeyni émet une fatwa de mort contre l’écrivain britannique Salman Rushdie, auteur des Versets sataniques. L’ouvrage provoque la controverse et est considéré par Khomeyni et de nombreux musulmans comme blasphématoire.

L’ayatollah va jusqu’à appeler tout bon musulman, à travers le monde, à tuer l’écrivain. Depuis, Rushdie vit sous haute protection, alors que la fatwa est toujours valable aujourd’hui, réaffirmée par le successeur de Khomeyni, l’ayatollah Ali Khamenei, en 2005.

 

Dix ans après son accession au pouvoir, la santé de Khomeyni se fait fragile. L’ayatollah s’éteint le 3 juin 1989 à Téhéran, à l’âge de 86 ans. Il laisse derrière lui une classe religieuse et politique incertaine quant à la voie que suivra son successeur.

Des millions d’Iraniens en hystérie suivent le cortège funèbre qui doit le conduire au cimetière de Behecht-e Zahra. Le mausolée dédié au guide devient un lieu de pèlerinage, symbole de la révolution islamique.

Julie Kebbi
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