PMS. Quand la corde a cassé

Dans un avion d’air France, Je ne sais plus à quelle destination, comme je ne distingue ou est notre destination, dans cette pénombre artificielle qu’offrent les pilotes de long-courriers aux passager pour s’assoupir, j’ai distingué une silhouette familière, une forme que je ne pouvais ne pas reconnaitre même après, une quarantaine d’année. Ce monde n’est qu’une association de tessons d’illusions qui s’entrechoquent de la hanche, avant d’aller valser ailleurs.

 

Il était accompagné d’une jeune fille de type européen. Il avait vieilli un peu, mais n’avait pas changé d’aura. Sans l’ombre d’un doute je l’ai enlacé : Maely ould Izidbih.

Des amis sont morts sans nous avertir. Peut-être qu’ils n’ont pas eu la possibilité ou le temps. Pourtant ils nous sont chers.

Avant l’atterrissage à Paris, je crois, nous avions eu le temps de verser une larme à la sauvette, avant de nous séparer à nouveau.

Maely Izid-Bih.

Je viens d’apprendre sa mort. J’ai gardé de lui et moi avec une amie américaine, une photo noir et blanc.

Voilà c’est tout ce qui reste de cette rencontre.

 Beaucoup d’amis de cette époque-là, sont partis sans retour.

Ils étaient devenus ministres, généraux, colonels, conseillers à la présidence. Ils étaient noirs ou blancs, noirs et blancs, personne ne s’attardait à cette pigmentation de la peau, en ces temps « sauvages ».

Jusqu’au moment où la corde a cassé.

 La mort de Lemrabott Sidi Mahmoud n’a pas été facile. Il était ministre aussi… pour les autres. Pour moi il était une image d’un jeune homme du passé, très poli, courtois et profondément social.

 Je n’ai gardé que l’image de ces groupes de jeunes que par un matin de 1976 un décret de la présidence avait « condamné » au service militaire à l’EMIA d’Atar.

En ces temps, ou le futur était encore au futur, seuls inauguraient l’armée les « durs de têtes ». Mais pour moi, c’était une occasion de prouver à mon père, qui n’y croyait jamais assez, que j’étais un homme.

Tout se passa très vite. Nos têtes furent rasées ; souvent, sans douceur ni grande complaisance. Nous fument rapidement rassemblés à l’état-major-national, où on nous distribua des tenues courtes bleues des chaussures rangers, des ceinturons, des chaussettes et des casquettes.

Voilà de la classe de seconde A2 devant Mme Maillot, Mme Hugonio, Monsieur Limousin, monsieur Flosi, monsieur Bensir, nous étions soldats. Nous devions « la fermer » et « marcher droit »

Un « long monsieur », capitaine Diop, pris la parole devant le petit groupe de moutons apeurés que nous étions. Je n’ai retenu de son discours qu’une phrase : « Ce pays a besoin de bras pour le défendre. ». Je ne pù m’empêcher de jeter à la sauvette un regard de doute à mes frêles bras, encore poussiéreux des culbutes de l’enfance.

A Nouakchott, pour les parcours du soldat, j’étais dans la section du lieutenant Diabi Kamara, Dieu l’accueille au Paradis.

La seule justesse de sa tenue camouflée et le claquement sec de ses ordres étaient une académie entière.

Je n’oublierai jamais ma gaffe, le jour où le capitaine Jiddou ould Saleck, Qu’Allah l’accepte au Paradis, ayant baissé l’épaule pour que je vois mieux ses trois étoiles, me demanda : « Quel grade ? ». Et je répondis, sans ciller « Sargeane ».

Les journées se passaient à courir, à sauter, à mimer la position de tireur ou de guetteur. Nous nous sentions de plus en plus hommes. Et effectivement les jours nous façonnaient à la hâte.

Un jour une longue file de camions « unimogs » étaient stationnés en ligne devant l’état-major. Nous y embarquâmes et le long cortège s’ébranla vers Atar.

Nous fûmes partagés en sections et je tombai dans celle du lieutenant Mohamed Lemine ould Ndiayane, alors, jeune homme long,  mince et pétillant de propreté patriotique et de volonté militaire. Il laissera de profondes empreintes dans mon éducation et dans celle de mes camarades.

Ce jour-là nous étions au champ de tir. L’entrainement était sur l’arme AA52. Impressionnante machine de guerre avec son long ruban de balles et sa vitesse de 800 coups à la minute, selon le chef.

Et tout le monde sait que les paroles du chef ne souffrent aucun doute.

Cette insistance du lieutenant Mohamed Lemine ould Ndiayane sur la complémentarité du tireur et du pourvoyeur, avait éveillé en nous la nécessité vitale de cette entraide sans laquelle le pays ne pouvait atteindre ni un but, ni une cible.

Les mains qui appuyaient sur les gâchettes, les petits yeux fatigués derrière les crosses en métal, les volontés farouches de réussir étaient à la fois soninkés wolofs, puulars, maures. La liste ci-dessus en dit long sur ce témoignage.

Le crépitement sonore de balles et les douilles qui volaient comme des criquets, excitait en nous cette phrase du capitaine Diop : « Ce pays a besoin de bras pour le défendre. »

Munis d’une simple boussole et parachutés dans les oueds de l’Adrar, nous avons appris à nous tendre la main, pour ne jamais nous perdre. C’était une grande satisfaction pour nos officiers et nos encadreurs.

Le temps nous façonnait lentement et surement et cimentait au fur et à mesure les rapports de fils de la même patrie, qui ne devaient jamais se casser.

Dieu ayant bien fait les choses, nous sommes tombés au milieu de l’une des rares populations les plus émancipées de Mauritanie. Les habitants d’Atar d’une générosité sans égale, un peuple ouvert, bon et généreux. Ils nous entourèrent et les portes de maisons s’ouvrirent à nous comme si nous n’avions jamais quitté la maison.

On ne pouvait noter ni racisme, ni tribalisme, ni même un quelconque attachement à la couleur.

Nous étions tous, fils de tout le monde. Et c’était à peine si nous n’avions pas regretté que le président Moctar ould Daddah n’avait pas pris cette décision un peu plus tôt.

Je ne pourrais ici conter les milles et une fois où, une anecdote, une petit incident, une petite scène, sont venu façonner les petites têtes que nous étions et renforcer cette fraternité nationale, qui ne demandait que de vivre cette épreuve commune qui devait à jamais cimenter nos existences. Même si plus tard, nous allions être dispatchés sur les chemins du destin et pour toujours.

Triste jour où le service militaire a pris fin. A l’état-major, je mâchais, absent, un morceau de pain bourré de beure et de confiture. Je ramassais du bout de mon regard ces dizaines de compagnons qui venaient de vivre avec moi une aventure, beaucoup plus vivante que celle que je vivais avec Zembla, Bleck le Roc, Miki le ranger du Nevada…camardes d’illusion de cette époque.

C’est fini.

Ceux qui le veulent intègreront l’armée comme officier.

D’autre vont aller ailleurs vers d’autres horizons. J’étais de ces derniers.

Coup d’état le 10 juillet 1978. Le capitaine Jiddou ould Saleck, notre chef et directeur était devenu ministre de l’intérieur. Je l’ai vu une fois avec difficulté. J’avais quelques problèmes, il me donna de l’argent, accompagné d’un clin d’œil ironique, pour me demander si je ne gardais pas toujours le riz chaud dans ma poche de peur que mes camarades ne me laissent rien.

Mohamed Lemine Ndiayane je ne sais où il était en ce  moment-là, bien que je faisais de ses conseils un livre de chevet dans toutes mes démarches dans la vie.

Un avion est tombé là-bas vers Tidjikja et notre chef de section de Nouakchott Diabi Kamara y est mort avec un certain nombre de vaillants officiers.

J’ai rencontré mon ami Dedde ould Soueid Ahmed, qui n’avait pas fait le service avec nous, mais qui avait intégré l’armée.

Il rit quand je lui ai demandé s’il ne pensait pas qu’un mauvais œil avait frappé l’armée nationale.

De temps en temps je voyais mon ami Mohamed Alioune ould Mohamedou et nous évoquions ensemble cette période, qui semblait nous avoir réunis, pour nous permettre mieux de gouter la souffrance de la dislocation et de la disparition progressive de ces compagnons. De temps en temps j’apprenais la mort de quelques camarades dans cette terrible guerre du Sahara.

Je souffrais de reconnaitre ces noms, qui me rappelaient des manœuvres sans victimes dans les champs de tirs des oueds d’Atar, où atteindre une cible n’était pas synonyme d’ôter une vie humaine.

Un matin, un ami, un infirmier, Mohamed ould Aboye, me croisant aux abords du grand marché me dit : « Ton ami est mort. Il est à la morgue de l’hôpital. ». Quel ami ? Suffoquais-je atterré.

Jiddou ould Saleck. Un chef, pas un ami.

Je senti la terre se dérober sous mes pas, je chancelais un moment sur place, la tête complètement déséquilibrée, et sans demander mon reste je filais vers la morgue.

Je me souviens que bêtement, je répétais « Mon capitaine. »

Trop tard, à l’hôpital national, j’appris que le cadavre a été déjà transporté, couvert du drapeau national, vers le cimetière.

La tête remplie de cloches, J’ai repris ma folle foulée vers le PK7.

Après deux heures de courses folles, j’étais enfin au cimetière. Un gardien m’indiqua un tombeau,  creusé sur le flanc ouest de la dune est.

Jiddou.

Voilà ce qui reste de ce grand homme, dont le seul cadrage du béret vert sur la tête et le ruban noir toujours tendu par le vent, m’inspirait tant d’admiration.

Mohamed Lemine ould Ndiayane… mort à l’état-major…Lemrabott Sidi Mahmoud mort d’une tension artérielle m’a-t –on dit… Maely…mort quand, comment ? Qui encore ? Combien ? Où ? Comment ? Quand ? Qui est resté de cette expérience hautement nationale qui a commencé et finit avec notre promotion.

Mbarek ould El Kory un honorable magistrat de notre groupe, que je ne pouvais voir sur les pages du net, sans imaginer la casquette bleue sur sa tête. Cette marque qui nous distinguait des autres. Moussa ould Ebnou, m’a-t-on dit était à la présidence. Le général Meguett, que je vois de temps en temps pendant mes vacances, mais ne peux lui rappeler la nuit, où déguisé en mort, il nous a complétement fait perdre le sommeil Alioune ould Mohamedou et moi…

Ahmed Kharchi, la nuit où un homme a voulu nous attaquer, nous prenant pour certain des soldats qui avait bastonné les élèves, quelque jour avant notre arrivée… L’histoire du couscous avec les doigts de morts…un soldat mort pour une heure de temps atteint par une balle à blanc… que de choses et que d’histoires…escapades à Mbarka-we-oumara, raguel hayya… l’histoire des dattes « tijeb » qui enivrait et Dia… et Mohameden dit Negrech… l’histoire de « mbiskit gweyitta »… le corned-beef !!!! Hhh Toumba…Tfaqqa Nalla… voyez les amis je n’ai rien oublié, pour moi vous êtes uniques.

Notre maitre et formateur infatigable adjudant-chef Demba Demo.

Dedde ould Sou`aqeid Ahmed, une mort que n’apprendrai que quelques années plus tard… Sy Samsdine…

Où êtes-vous les amis et qu’êtes-vous devenus ?

Vous souvenez-vous du 79 par ordre alphabétique ?

Peut-être qu’un signe de ceux d’entre vous qui sont encore vivants, aurait donné un quelconque exemple à cette jeunesse qui se déchirent et se mesurent sans savoir à quelle fin, ni à quelle destination.

 

Mohamed Hanefi

Koweït

 

 

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(Reçu à Kassataya le 22 janvier 2019)

 

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