Le Ghana nouveau point de réunion des diasporas afro-descendantes

Quatre cents ans après l’instauration du commerce triangulaire, le Ghana s’organise pour commémorer son «Year of Return».

 

 

«Nous tous, Noires et Noirs, serons forts et respectés lorsque l’Afrique sera forte et respectée.»

C’est ainsi que s’exprimait son Excellence Nana Akufo-Addo, président du Ghana lors d’un petit-déjeuner auquel j’ai assisté à Accra, le 29 décembre dernier.

 

Parmi les convives triés sur le volet, on pouvait distinguer des visages bien connus outre-Atlantique. Les actrices et acteurs Gabourey Sidibe (Empire), Anthony Anderson (Black-ish), l’escrimeuse médaillée olympique Ibtihaj Muhammad, Luvvie Ajayi autrice d’un bestseller distingué au classement du New York Times, les chanteurs Jidenna et Diggy Simmons, le styliste Ozwald Boateng, l’activiste Opal Tometi (co-initiatrice du #Blacklivesmatter contre les violences policières aux États-Unis)… en tout une centaine de personnalités invitées. En dehors de l’entrepreneur Tonjé Bakang et de moi, pas l’ombre d’une Française ou d’un Français à l’horizon.

Qu’est ce qui réunissait ces figures influentes dans ce petit pays de l’ouest africain?

À l’origine de cette réunion d’envergure, une femme: Bozoma «Boz» Saint John. Cette star du marketing a construit sa solide réputation comme directrice marketing chez Apple Music avant d’être chief brand officer chez Uber. Elle a confirmé son statut en rejoignant l’agence Endeavour (qui concentre 70% des célébrités hollywoodiennes et détient entre autres la marque Miss Univers) dont elle est désormais directrice marketing.

Bozoma Saint John est à l’origine des célébrations du «Year of Return», destinées à commémorer l’esclavage | Fortune Conferences via Flickr CC licence by

Née au Ghana, immigrée aux États-Unis avec ses parents à l’âge de 12 ans, elle reste très attachée à ses origines. Ce n’est donc pas une surprise si le président du Ghana lui a confié l’an dernier la mission de contribuer au rayonnement de son pays, en lui laissant les coudées franches quant à la forme que prendrait cet engagement.

Sitôt rejointe dans sa démarche par le célèbre acteur d’origine austro-germano-ghanéenne Boris Kodjo et son épouse la mannequin et actrice américaine Nicole Ari Parker.

Un périple unique

 

Ensemble ils décident d’organiser un événement permettant de connecter le continent africain et les diasporas afro-descendantes. Le Ghana a déclaré l’année 2019 «Year of Return» (année du retour) en commémoration des Africaines et des Africains brutalement dispersés à travers les Amériques par le cruel commerce d’esclaves. 2019 est une date symbolique car elle marque les 400 ans de l’arrivée à Jamestown (Virginie), en 1619, des premiers esclaves sur le sol de ce qui deviendra les États-Unis.

Boz et Boris Kodjo décident ainsi d’infléchir le sens de l’abominable trajectoire du sanguinaire «commerce» triangulaire en créant le «Full Circle Festival», la forme circulaire pleine marquant le retour aux sources des descendants d’esclaves.

Forts de leurs carnets d’adresses, ils invitent une centaine de personnalités majoritairement afro-descendantes –dont une cinquantaine de célébrités hollywoodiennes– à parcourir un Ghana loin des clichés habituellement accolés à l’Afrique. Mais ce n’est pas un voyage sponsorisé: tous les participants et participantes se sont déplacées à leurs frais. J’ai eu la chance de prendre part à ce périple unique.

Des colonies à la colonie de vacances

 

Dès notre arrivée à Accra, nous sommes accueillis par des chants traditionnels saluant notre présence sur la terre mère. À la réception je croise Jesse Williams, star de Grey’s Anatomy connu pour son engagement radical contre le racisme systémique et les violences policières aux États-Unis. Au dîner c’est l’actrice Rosario Dawson qui s’installe à ma table. Le ton est donné.

Malgré la présence de personnalités que l’on aurait pu imaginer capricieuses, c’est une ambiance familiale et bon enfant qui guide ce séjour d’une semaine. Comme pour une colo, on se déplace en car et on marche groupés.

Pour commencer nous visitons le mausolée de Kwameh Nkrumah, figure de l’indépendance ghanéenne, considéré comme un leader de la pensée panafricaine. C’est à cet endroit que repose également l’historien et sociologue américain W.E.B. Du Bois, panafricaniste également considéré comme un des fondateurs de la pensée noire. Sur place nous rencontrons des représentants du gouvernement ghanéen (dont certains sont des Afro-Américaines et Afro-Américains immigrés et naturalisés). Ils nous apprennent que les personnes afro-descendantes dont la généalogie a été brisée par l’esclavage peuvent accéder à la nationalité ghanéenne. Et que ces nouveaux citoyens potentiels attireraient sans doute avec eux des capitaux bienvenus dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest.

De toute évidence le Ghana cherche à se positionner comme étant symboliquement le pays des diasporas africaines. Ce n’est pas dénué de sens.

Retour aux origines

 

Parmi nous, plusieurs membres de la délégation ont effectué des tests ADN pour connaître leurs origines et il apparaît que nombre d’entre eux peuvent situer leurs ancêtres au Ghana. Notre séjour nous conduit en un lieu porteur d’une histoire tragique. Le Cape Coast Castle était un des principaux points de départ des Africains capturés en vue d’être déportés et réduits à l’esclavage.

 

Cette visite est sans aucun doute la plus bouleversante de tout le séjour. Menée par le rabbin Kohain Nathanyah Halevi, Afro-Américain installé au Ghana, la déambulation a des accents de pèlerinage. La plupart des invités n’ont jamais mis un pied sur le sol africain et nombre d’entre eux peuvent imaginer que ce centre carcéral (ou un autre similaire) a été le dernier contact que leurs ancêtres captifs aient eu avec le continent.

Sentiment matérialisé par l’imposante «porte du non retour» que les déportés et les déportées savaient franchir pour la dernière fois sans retour possible. Et pourtant leurs descendantes et leurs descendants sont là. L’émotion est à son comble lorsque nous pénétrons à cent dans la cellule destinée aux femmes et aux enfants. Nous suffoquons dès la première minute, étriqués dans cet espace sombre et réduit, quand on nous apprend que les prisonniers y étaient entassés par groupe de deux cents. Des sanglots parcourent l’assistance. Nous déposons des chandelles, en hommage aux ancêtres victimes de la traite.

Ce moment donne au séjour tout son sens et, lorsque nous en reparlerons plus tard, tous les convives le décriront comme un tournant dans leur vie.

Remise de titres honorifiques

 

Notre séjour laisse aussi la place au loisir. Nous assistons au festival de musique Afrochella, visitons le parc national naturel de Kakum, organisons plusieurs de séances de shopping dans les marchés de la capitale et sortons danser le soir.

La soirée de la Saint Sylvestre est orchestrée avec grand soin: dîner somptueux, feu d’artifice, réception au Palais présidentiel, afrotrap endiablé sur un rooftop pour finir sur une plage au premier lever de soleil de 2019. La magie opère, et l’émotion de cette reconnexion avec la terre des ancêtres.

«Nous ne pouvons plus concevoir des politiques sur la base du support octroyé ou non par les pays occidentaux ou la France.»

Nana Akufo-Addo, président de la République du Ghana

Nous avons même l’occasion de visiter le village d’Akwamu où le roi Odeneho Kwafo nous accueille. À cette occasion, deux d’entre nous seront couronnés: Bozoma Saint John sacrée du titre royal d’Odupomma et l’acteur Michael Jai White serti du titre royal d’Odupong. Le titre honorifique fait son petit effet. Les visites sont cornaquées par Catherine Afeku, ministre du Tourisme qui voit sans doute d’un très bon œil l’occasion d’attirer une nouvelle population.

Ce voyage était pour nous une manière inédite d’éprouver dans nos chairs les identités diasporiques en recréant de manière symbolique un lien rompu par l’Histoire entre l’Afrique et ses enfants kidnappés.

Pour le Ghana l’opération est réussie. Le président Nana Akufo-Addo s’était illustré en 2017 lors de la visite de notre président Emmanuel Macron, en prononçant un discours bien différent de celui que les dirigeants africains réservent habituellement à la France: «Nous ne pouvons plus concevoir des politiques sur la base du support octroyé ou non par les pays occidentaux ou la France. Ça ne peut pas marcher, ça n’a pas marché ça ne marchera pas», avait-il martelé, insistant sur la nécessité pour son pays de présider à son propre destin. «Nous devons nous débarrasser de cette mentalité de dépendance, cette mentalité qui nous emmène à nous demander ce que la France peut faire pour nous. La France fera ce qu’elle a à faire pour son propre bien et si cela coïncide avec nos intérêts.»

Le Ghana refuse ce lien subordonné que la France a maintenu avec son «pré carré» africain, il tient à briller de sa propre lumière sans être obstrué par l’ombre des anciens colons.

Il se dit que notre visite a généré plusieurs dizaines de millions de dollars au bénéfice de l’économie ghanéenne et que des entreprises de la Silicon Valley ont d’ores et déjà contacté des institutions locales en vue de l’organisation d’événements. Le Full Circle Festival sera désormais une manifestation annuelle.

Les célébrités ont largement relayé le détail de leur présence sur les réseaux sociaux, démontrant qu’une Afrique moderne et plurielle pouvait donner à des stars bien des occasions de s’amuser et vivre des moments intenses.

Une chose est certaine, le Ghana est désormais un spot à la mode. La présence de cet impressionnant nombre de personnalités influentes sur le sol ghanéen n’est probablement pas étrangère au fait que le 4 janvier CNN a classé le Ghana au quatrième rang des lieux à visiter dans le monde en 2019. Les célébrités ont largement relayé le détail de leur présence sur les réseaux sociaux, démontrant qu’une Afrique moderne et plurielle, loin des clichés réducteurs, pouvait donner à des stars bien des occasions de s’amuser et vivre des moments intenses.

Sur Instagram, Bozoma clame son engagement à poursuivre son travail au service du Ghana pour «augmenter la visibilité de son histoire riche, sa culture dynamique, son incomparable hospitalité et son futur prometteur». Avec l’expert marketing la plus en vue des États-Unis, l’image du pays est entre de bonnes mains.

 

 

Rokhaya Diallo

 

 

Source : Slate

 

 

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