Ministre autrefois, chauffeur de bus aujourd’hui

Une telle conversion serait-elle possible chez nous?

Quand il était ministre, j’eus une fois l’occasion de participer à un débat avec Fred Teeven dans ce bel immeuble d’Amsterdam qu’on nomme Felix Meritis et qui fut autrefois le siège du Parti communiste. C’était en 2012. Teeven était élégant, éloquent et sûr de lui. La discussion portait sur l’islam et la radicalisation des jeunes. Ça le regardait au premier chef: il était responsable de l’Intérieur. Notre débat fut courtois mais je ne pus m’empêcher de noter une certaine condescendance dans le ton de Son Excellence. Clairement, il avait une haute idée de lui-même, ce qui rend encore plus extraordinaire la suite de cette histoire.

 

Teeven, après des élections perdues, se retrouva sans job. Il espéra “pantoufler“ au Conseil d’État mais ses espérances furent déçues: on lui préféra un d’autre… Du coup, il décida de tourner définitivement le dos à la politique. Que faire? Après mûre réflexion, il passa son permis de conduire classe C, puis se présenta à l’embauche dans une compagnie de transport. On le reconnut, évidemment, mais on ne pipa mot– le Hollandais est aussi flegmatique qu’un gentleman anglais. La visite médicale fut concluante– le bougre était costaud et avait des yeux de lynx. Voici vot’ casquette, m’sieur Teeven, et voici votre itinéraire du jour.

 

Vous ne me croyez pas. Vous me dites:

– C’est absurde, c’est impossible.

 

Eh bien, googlisez ‘Fred Teeven’. C’est fait? Alors?

 

Notez qu’il aurait pu recevoir des indemnités jusqu’à la fin de sa vie, mais nous sommes ici en pays calviniste: l’éthique du travail, chez les protestants, c’est sérieux. (Voir Max Weber). Et puis, il n’y a pas de sot métier. Chauffeur de bus, ça requiert du doigté, du sang-froid et un grand sens des responsabilités.

 

J’ai vu par hasard Fred Teeven l’autre jour, alors qu’il négociait un rond-point aussi habilement qu’il avait négocié des traités autrefois. Et je me suis posé une question, une seule: une telle conversion serait-elle possible chez nous, au Maroc?

 

Qu’en pensez-vous, amis lecteurs? Vos réponses seront les bienvenues. (Je sens un tsunami de non! non! non! se former entre Tanger et Lagouira.)

 

Quant à moi, et pour les avoir fréquentés, j’imagine difficilement B. ou F. ou L. conduire un bus entre Ben M’sik et Sidi Moumen, même avec une fausse barbe et des lunettes noires. Ils préfèreraient ne rien faire de toute la sainte journée que de connaître une telle ignominie. Mais je me trompe peut-être.

 

En tout cas, en le regardant conduire avec dextérité son bus et me souvenant du flamboyant ministre avec lequel j’avais débattu un soir d’automne, je lui fis un signe discret de la main. Je ne sais pas s’il m’a vu mais mon geste amical et admiratif signifiait:

– Chapeau, Mr Teeven. Et bonne route!

 

Fouad Laroui

Source : Le 360.ma (Maroc)

 

 

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