
Elles sont les grandes absentes des palmarès malgré une volonté de diversité du comité d’organisation.
«Ce serait pour moi une grande fierté de pouvoir promouvoir le métissage et la mixité culturelle de notre belle région.» C’est avec ce message de tolérance qu’Assia Kerim, 22 ans, a été élue Miss Picardie en octobre 2018. Sur son compte Instagram, l’étudiante en géographie assume fièrement sa double culture française et algérienne. Le 15 décembre prochain, elle sera peut-être la première miss d’ascendance maghrébine à remporter le titre de Miss France.
Avant elle, plusieurs candidates arabes ont participé au direct de TF1, sans toutefois décrocher l’écharpe suprême (seule la franco-libanaise Suzanne Iskandar, fut couronnée Miss France en 1985). En 2009 et toujours en Picardie, c’était Juliette Boubaaya, candidate de 19 ans au métissage alliant France, Algérie et Pologne, qui évoquait naturellement sa foi musulmane au cours de ses interviews. L’ex-Miss, devenue entrepreneuse dans l’esthétique, n’a pas souhaité répondre à nos questions, ne gardant «pas un bon souvenir» de cette période. Précisons qu’à l’époque, la jeune femme détonne dans une émission lisse où aucune candidate n’évoque sa religion. Rapidement, elle fut étiquetée comme la «miss musulmane» du concours.
Geneviève de Fontenay, alors toujours investie au sein du comité d’organisation, avait souligné dans les colonnes de La Dépêche du Midi avec le tact qu’on lui connaît: «Une miss “beurette”, ce serait presque un aboutissement. J’espère que je la verrai avant de disparaître. Qu’elle soit musulmane, personnellement, cela ne me poserait aucun problème. Je pense que les Français sont prêts».
Un concours de beauté avant tout
De toute évidence loin d’être réfractaire à la diversité, le jury et le public français (7,35 millions de téléspectateurs en moyenne en 2017) n’ont pas hésité à élire des Miss non-blanches et aux origines variées depuis l’année 1993 avec le sacre de Miss Guadeloupe, Véronique de la Cruz. Suivront Sonia Rolland, Corinne Coman, Cindy Fabre, Chloé Mortaud ou encore Flora Coquerel. Pourtant minoritaires parmi les candidates, elles ont réussi à se hisser sur la plus haute marche.
En 2015, Meggy Pyaneeandee, étudiante à Sciences Po et française d’origine mauricienne est contactée par un membre du comité de Miss Ile-de-France pour participer à l’élection. Sans ce désir de diversité émanent d’un membre de l’organisation, elle n’aurait jamais tenté sa chance. Elle remporte le titre et participe ensuite à Miss France 2016, où elle sera victime de nombreuses attaques racistes sur les réseaux sociaux. Les comités régionaux n’attendent plus seulement que des jeunes filles viennent s’inscrire, nous a-t-elle expliqué. Ils se mettent à démarcher directement à l’extérieur ou sur les réseaux sociaux, et lancent les contacts dès qu’ils tombent sur un profil intéressant.
Elle-même a participé au recrutement l’année suivant son mandat de Miss: «À l’époque où je travaillais avec le comité, en 2017, j’ai essayé de recruter des filles sur Instagram. Je tapais #FrenchAsian, j’essayais d’avoir de la diversité. Dès que je voyais une jeune fille d’origine maghrébine qui me disait que ce n’était pas pour elle, je tentais de la rassurer».
«Les Français seront prêts si la fille est très belle. Ils n’auront même pas conscience de son origine maghrébine. Ce qui va prendre le dessus, c’est sa beauté. C’est ce qui s’est passé avec Miss Guyane en 2017: physiquement, elle a crevé l’écran! Et pourtant ce n’était pas celle qui s’en était le mieux sorti sur la prise de parole. Ce ne sont pas forcément les Guyanais qui ont voté pour elle, ce sont avant tout les Français de métropole», nous a-t-elle expliqué.
Ainsi, l’intitulé concours de beauté prendrait tout son sens, puisqu’il mettrait sur un même pied d’égalité chaque jeune femme, peu importe ses origines, sa religion ou son nom. En votant pour elles, on ignorait que Sonia Rolland était née au Rwanda ou que Flora Coquerel avait des origines béninoises. Seule leur beauté comptait.
Hanan Zahouani, chroniqueuse au Grand Forum sur France Maghreb 2 et membre du collectif CDM (Citoyens contre les discriminations dans les médias), d’origine marocaine, est moins optimiste. Elle pense même qu’une Miss arabe aurait intérêt à cacher ses origines et, surtout, une éventuelle confession musulmane: «Les Français ne sont absolument pas prêts à avoir une miss musulmane. Et si d’aventure, elle l’était, à mon avis, elle ne le crierait pas sur tous les toits. Elle aurait tout intérêt à refuser un verre de champagne pour prétexte qu’elle ne supporte pas l’alcool plutôt que par conviction religieuse».
Une communauté prête à défiler
La religion serait-elle un des points qui expliquerait le nombre limité de jeunes femmes d’origine maghrébine postulant à Miss France? Un des argument étant que la culture musulmane impose aux femmes une certaine pudeur qui les empêcherait de défiler en maillot de bain et de se montrer, notamment à des hommes. Pour la militante du CDM, elle-même musulmane, c’est un cliché éculé: «Les concours de beauté existent dans le monde arabe. Ils tendent même à se démocratiser. Nous ne parlons pas de tourner dans un film pornographique qui porterait atteinte à l’image de la femme, et qui pourrait heurter famille et amis de tous les horizons».
À Marseille en 2007, un concours dédié aux jeune femmes fières de leurs origines nord-africaines avait fait du bruit. Baptisé Miss Beauté du Maghreb, il avait tout d’un petit Miss France et faisait honneur au multiculturalisme. Pareil en 2012, avec l’élection de Miss Black France célébrant la beauté des Françaises afro-descendantes. Ces compétitions annexes, minoritaires face au mastodonte qu’est le comité Miss France, n’ont pas survécu. En plus d’être perçues comme communautaristes, elles manquaient aussi d’un budget suffisant pour durer sur le long terme.
Mais si ces réunions se sont créées, c’est justement parce que certaines personnes ne se sentaient pas représentées au sein du concours national qu’est Miss France.
Pas de candidature sans représentation
Participer à un concours de beauté retransmis à la télévision et vu par des millions de personnes est un défi de taille. D’autant plus quand la candidate se sent différente des canons de beauté qui régissent le concours et des types de beauté couronnées. Pour Meggy Pyaneeandee, rejoindre la compétition fut une vraie épreuve: «Je suis d’origine mauricienne et je suis typée indienne. Dans le paysage médiatique français je n’ai jamais vu de femmes qui me ressemblaient. C’est la même chose pour les femmes asiatiques et arabes».
Faute de modèles auxquels s’identifier, les jeunes filles des minorités semblent s’auto-censurer, comme Meggy: «Je n’ai jamais rêvé d’être actrice parce que je n’ai jamais vu de filles qui me ressemblaient dans un film français. Et je ne peux même pas jouer l’Indienne parce que je ne suis pas indienne. Donc ça n’existe pas, je ne peux pas. Et c’est la même chose pour plein de jeunes filles avec l’élection Miss France. Quand on recrutera plus de filles issues de la diversité, peut-être que les autres comprendront enfin que c’est possible pour elles aussi».
C’est justement cette question de la représentation des minorités qui intéresse la journaliste Jennifer Padjemi, animatrice du podcast Miroir Miroir produit par Binge Audio depuis septembre 2018. En plus de la nécessité de se sentir représentée dans les médias, elle rappelle que représentation ne rime par forcément avec fin des discriminations.
Si demain une jeune femme arabe était couronnée Miss France, elle y verrait un pas en avant, mais pas une révolution en matière de lutte contre le racisme: «En termes de représentation, c’est important. Ça veut dire qu’on prend en compte le fait que la France est une nation diverse, composée de différentes origines, issues de différentes vagues d’immigration et ça veut dire quelque chose. Mais encore une fois, la représentation ne change pas les discriminations du quotidien pour les personnes qui la subissent. Flora Coquerel et les nombreuses Miss noires qui ont déjà été élues auparavant, n’ont pas été épargnées par le racisme, loin de là». Sonia Rolland avait rapporté en 2017 sur Facebook avoir reçu des lettres d’insultes et de menaces, dans lesquelles les expéditeurs glissaient parfois des excréments lorsqu’elle était Miss France.
En finir avec les clichés
En 2009, au lendemain de son élection, Malika Ménard avait dû clamer haut et fort qu’elle était «à 100% française». Son prénom sonnait trop exotique au goût de certains pour une Miss Normandie (ce sont ses parents qui sont tombés sous le charme de celui-ci – signifiant “reine” et “douée” – après un voyage au Maroc).
Souligner que l’on est pas une femme arabe ou utiliser un pseudonyme pour cacher ses origines sont révélateurs des discriminations ciblant les Françaises d’origine maghrébine, par ailleurs victimes de stéréotypes tenaces; de la bimbo de télé-réalité à la femme musulmane voilée et soumise en passant par le tag «beurette» des tubes pornographiques. Selon les explications de la journaliste Alice Pfeiffer lors d’une conférence du média Club89, les trois mots-clés les plus recherchés sur YouPorn en France seraient «beurette», «levrette» et «cité».
Cette érotisaton de la femme arabe est un héritage de l’époque coloniale, analyse Hanan Zahouani: «La République s’est fait un devoir de libérer les femmes maghrébines. Ce rôle de libérateur est ressenti encore aujourd’hui. Quelques films ont continué de véhiculer l’idée de l’homme blanc qui vient libérer la femme arabe habitant en banlieue et sous la coupe d’une famille ou d’un père ou frère qui l’oppressent et l’empêchent d’être libre. La liberté étant essentiellement véhiculée sous le prisme de la sexualité».
La femme arabe absente des catwalks
Enfermée dans ces stéréotypes, les femmes arabes semblent par ailleurs ignorées par l’industrie du glamour en général et de la mode en particulier. Alice Pfeiffer, interrogée par Fraîches, souligne: «Quand on achète français, on n’achète pas une fille rebeu. Et pour le client dubaïote, c’est leur arabe pauvre». Miss France étant une ambassadrice, mais aussi l’égérie des partenaires et sponsors de l’émission, elle se doit de faire vendre. Est-ce pour cela que les grandes maisons peinent à engager des mannequins arabes?
La maison Longchamp préfère faire appel à Kendall Jenner, quand chez chez Balmain, on opte pour sa demi-soeur Kim Kardashian. Pour Pfeiffer, le fantasme de la femme arabe que la France regarde sur PornHub serait assouvi dans la mode en embauchant des filles comme Kendall Jenner. L’exotisme arabisant des Kardashian (et leurs origines arméniennes) serait plus vendeur et plus politiquement correct que celui d’une modèle d’origine maghrébine. De même, lorsqu’on fait appel aux soeurs Hadid, on «oubliera» leurs racines palestiniennes ou le fait que Bella Hadid clame sa foi musulmane. De petites exceptions, comme l’actrice Leïla Bekhti nommée égérie chez L’Oréal ou Nabila défilant pour Jean Paul Gaultier existent, mais cela reste minoritaire.
Révélateur: le créateur Jacquemus et son défilé baptisé «Souk», en février 2018. Il avait annoncé une collection inspirée des marchés marocains pour la fashion week automne-hiver 2018-2019. Le public avait finalement assisté à un défilé au son «Ya Rayah», une chanson populaire algérienne, sans aucune femme maghrébine sur les podiums.
Pourtant, de grands noms de la mode comme Yves Saint-Laurent, Thierry Mugler, Jean Paul Gaultier, et surtout le créateur tunisien Azzedine Alaïa ont eu pour muse des mannequins arabes. La plus célèbre d’entre toutes, l’algérienne Farida Khelfa, avait même fait partie du jury de Miss France en 2010.
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