Mohamed Ould Abdelaziz : « La force conjointe permettra de combattre efficacement le terrorisme »

La Mauritanie face au risque sécuritaire (1/4). Dans un entretien au « Monde Afrique », le président revient sur les principaux défis posés à son pays.

Mohamed Ould Abdelaziz, 61 ans et deux mandats à son actif, joue des symboles. Celui d’un président qui a restauré la sécurité dans son pays quand ses homologues malien, nigérien ou burkinabé peinent à contrôler les leurs. Le symbole, aussi, d’un président qui martèle qu’il partira à l’issue de ses deux mandats, quand d’autres s’accrochent au pouvoir.

Dans un entretien accordé le 29 novembre au Monde Afrique, Mohamed Ould Abdelaziz revient sur l’échéance électorale de 2019, sur les sujets internes sensibles ainsi que sur les attaques terroristes qui épargnent son pays depuis 2011. Un sujet qui sera au centre de la réunion de haut niveau organisée à Nouakchott ce 6 décembre autour du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad).

Comment expliquez-vous qu’aucune solution n’ait été trouvée pour assurer la pérennité des financements de la force conjointe du G5 Sahel ?

 

Mohamed Ould Abdelaziz Nous nous posons des questions… La force internationale des Nations unies au Mali, la Minusma, coûte, à la communauté internationale, la bagatelle d’un milliard de dollars [880 millions d’euros] par an. Leur mission n’est pas claire et elle n’a aucun effet sur la situation actuelle au Mali. Alors que nous [G5 Sahel], nous avons demandé une aide qui est limitée, d’un peu plus de 400 millions d’euros pour l’installation de nos forces et leurs équipements. Ce à quoi il faut ajouter 120 ou 115 millions d’euros chaque année pour son fonctionnement. Une fois qu’elle sera mise en place, équipée et que toutes les promesses auront été tenues, nous allons pouvoir lutter et combattre efficacement le terrorisme. Nous avons bon espoir que les choses changent et qu’on y arrivera un jour.

Après l’attentat qui a frappé le poste de commandement de la force conjointe du G5 Sahel en juin, vous aviez souligné l’existence de failles que les pays membres se devaient de corriger. Cela a-t-il été fait ?

 

Ce qui s’est passé est le fruit d’une très grande négligence et même de l’insouciance dans la mesure où le poste de commandement d’une force d’une importance capitale pour la lutte contre le terrorisme a été installé sans être totalement sécurisé. Depuis, il y a eu un changement à la tête de cette force. Le nouveau commandement [dirigé par le général mauritanien Hanena Ould Sidi] œuvre actuellement pour essayer de reprendre les choses en main.

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Le Mali, qui dirigeait la force conjointe à l’époque de l’attentat de Sévaré, est souvent accusé de lenteur dans la lutte antiterroriste. Considérez-vous ce pays comme le maillon faible du Sahel ?

 

Je ne peux pas accuser les Maliens, parce qu’ils ont tout intérêt à combattre le terrorisme. Leur pays, leur peuple et leur économie en souffrent. Mais ils ne doivent pas rester les bras croisés à attendre une solution qui viendrait de l’extérieur. C’est une situation qu’ils arriveront à dépasser, d’abord, avec leurs propres efforts et, ensuite, avec l’aide de nos partenaires et des pays amis. Je ne doute pas de leur volonté parce qu’il y va de leur intérêt et même de la pérennité de l’Etat.

Les autorités maliennes et françaises ont annoncé la mort d’Amadou Koufa, un chef djihadiste proche d’Iyad Ag-Ghali qui déstabilise le centre du Mali depuis plusieurs années. Quel impact aurait son décès ?

 

Sa mort pourrait atténuer en partie le phénomène, mais cela ne mettra pas fin à l’action des terroristes dans la région. Amadou Koufa ne dirigeait qu’une partie des groupes terroristes au Mali et il sera certainement remplacé très rapidement. Il faut une action concertée de la part des Etats de la région contre le terrorisme. Pour cela nous devons combattre et demander aux Etats qui paient les rançons pour la libération des otages de cesser de le faire et ainsi éviter de financer le terrorisme.

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Faut-il dialoguer avec les hommes d’Amadou Koufa ?

 

Les Maliens doivent discuter avec leurs propres citoyens, comme nous l’avons fait chez nous ! Nous ne pourrons pas régler le problème avec les armes seulement. Une politique sous-jacente doit être menée. Prenons l’exemple du Front de libération du Macina. Il y a là des Peuls du Mali qui, peut-être, ont des problèmes qu’il faut identifier et essayer de traiter. Mais il existe aussi des terroristes qui n’ont rien à avoir avec le Mali et qui agissent au nom d’une religion qu’ils ont totalement transformée. Avec eux, il ne faut pas dialoguer.

Depuis quelques années, la Mauritanie figure parmi les pays les plus stables de la sous-région sur le plan sécuritaire. Comment avez-vous fait pour contenir la menace terroriste alors qu’elle augmente dans d’autres pays du Sahel ?

 

Quand je suis arrivé au pouvoir en 2008, le pays était dans une situation d’insécurité constante, qui empirait de jour en jour. Notre armée était totalement délabrée. Il a fallu repenser notre système de défense et de sécurité. Nous avons réorganisé et adapté nos unités aux menaces actuelles : terrorisme, trafic de drogue… Nous n’avions pas besoin d’une armée classique. Ce n’est pas une guerre conventionnelle. Parallèlement, nous avons agi sur le plan intellectuel en dialoguant ouvertement avec la jeunesse. Car l’essentiel des gens qui s’étaient engagés dans le terrorisme étaient des jeunes. Ce dialogue a été dirigé par des érudits, nos savants, des religieux. Nous avons pu récupérer environ trente-cinq jeunes, qui ont été réinsérés dans la vie active. Seuls deux d’entre eux ont repris le chemin du terrorisme.

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L’Algérie ne fait pas partie du G5 Sahel et ce malgré le rôle-clé que joue ce pays en matière de sécurité dans la sous-région. Pensez-vous qu’il faudrait inclure davantage l’Algérie dans les discussions ?

 

Le G5 a été créé par les cinq pays du Sahel qui se trouvent être l’épicentre de l’insécurité, de la pauvreté et de la désertification. Nous partageons tous ces problèmes. Nous avons donc décidé dans un premier temps de rester unis entre nous. Une fois que nous aurons atténué ou réglé ces problèmes, nous pourrons essayer d’élargir le G5, éventuellement vers le nord et pourquoi pas vers le sud et le sud-ouest. Il y a des pays d’Afrique de l’ouest qui sont intéressés. Mais je ne les citerai pas !

Vous confirmez ne pas vous représenter à la présidentielle d’avril prochain pour tenter de briguer un troisième mandat. Quel rôle voulez-vous continuer à jouer sur l’échiquier politique mauritanien ?

 

Nous avons une Constitution que je respecte. Si elle m’interdit de me représenter à la magistrature suprême de mon pays, elle ne m’interdit pas de continuer à diriger mon parti et à organiser la majorité présidentielle pour que le pouvoir reste dans ses mains.

Vous avez dit vouloir soutenir un candidat. L’ancien chef d’état-major Mohamed Ould Ghazouani pourrait-il être cette personne ?

 

Pour le moment il est ministre de la défense. Je n’ai encore rien décidé. Mais il compte parmi mes plus fidèles compagnons…

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Le sort du blogueur Mohamed Cheikh Ould Mkheitir, condamné à mort pour apostasie, inquiète les défenseurs des droits de l’homme qui réclament sa libération. Où est-il aujourd’hui ?

 

Moi aussi, il m’inquiète. C’est une situation complexe. Il a été jugé et il doit normalement être libéré. Mais une grande majorité de la population s’y oppose. Sa libération risque de poser des problèmes de sécurité à notre pays. Pour cela, nous le gardons en attendant de trouver une solution. Si nous étions sûrs que ça n’allait pas poser de problèmes, nous le libérerions très rapidement. Mais nous avons un choix à faire que nous dicte notre conscience. Le droit d’un individu contre celui de centaines de milliers qui ont manifesté et qui risquent de créer un problème d’insécurité. Il faut que M. Mkheitir puisse retrouver ses droits et éviter que l’anarchie ne s’installe pas dans notre pays.

L’opposant et leader abolitionniste de l’IRA, Biram Dah Abeid, est en prison depuis août. Que répondez-vous à ses partisans, qui estiment que son incarcération vise à l’empêcher de se porter candidat à la présidentielle ?

 

Ce sont des allégations fallacieuses. Biram Dah Abeid a été élu député quand il était déjà en prison. Nous ne l’avons pas empêché de se présenter. Le problème est entre lui, la justice et un autre journaliste. C’est tout. S’il est jugé demain et libéré, il retrouvera son siège au Parlement.

Le Maroc a récemment tendu la main à l’Algérie pour trouver une solution à leur différend sur le Sahara occidental. Des discussions ont lieu à Genève les 5 et 6 décembre sous l’égide de l’ONU. Votre pays y participe. Quelle position défendrez-vous ?

 

Nous avons une position de stricte neutralité. Notre objectif est d’apaiser les esprits afin de trouver ensemble une solution satisfaisante aux Sahraouis et aux Marocains. Ce problème mine notre région et le développement du Maghreb.

 

 

Morgane Le Cam (Néma, Mauritanie, envoyée spéciale)

 

 

 

La Mauritanie face au risque sécuritaire : sommaire de notre série

Depuis 2011, la Mauritanie est épargnée par les attaques terroristes alors que les violences de groupes armés continuent d’ensanglanter le Mali voisin, le Niger et le Burkina Faso. Cette stabilité découle notamment de la politique volontariste menée par le président – et ex-général – Mohamed Ould Abdelaziz, au pouvoir depuis 2008, pour restructurer et rééquiper les forces de sécurité mauritaniennes. Cet équilibre est fragile, notamment le long de la frontière malienne. C’est là où les autorités, assistées par un programme financé par l’Union européenne, entendent réduire la menace grâce, notamment, à un projet pilote conduit à la fois au profit des forces armées que de la population vivant dans cette zone enclavée.

Episode 1 Mohamed Ould Abdelaziz : « La force conjointe permettra de combattre efficacement le terrorisme »
 

Source : Le Monde

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