Mohamed Maouloud : «L’option d’un candidat unique et d’un programme commun minimal a les faveurs de la grande majorité des composantes de l’opposition démocratique»

Le Calame : Commençons par la déclaration de politique générale du gouvernement. Vous l’avez  trouvée comment ?  Quels secteurs  ont retenu  votre attention et pourquoi ?

Mohamed Maouloud : Une longue litanie de redites sur les « réalisations » du régime de Président Mohamed Ould Abdelaziz au cours des dix dernières années. Il a répété les bilans contestables de ses prédécesseurs, mais a omis de s’appesentir sur son propre programme pour les quelque huit mois à venir. Et contre toute attente, il n’a consacré pour ce qui devrait en principe constituer sa principale mission  – l’organisation du processus de la prochaine élection présidentielle- qu’ un passage très vague de deux phrases dans un texte de 51 pages!

C’est à la fois décevant et inquiétant. Tout le monde sait que l’avenir de notre pays pour longtemps va se jouer dans ce tournant de l’élection présidentielle de 2019.

Le Premier Ministre ignore-t-il encore ce qu’attend de lui le Président à ce propos? Ou cache-t-on au peuple quelques projets inavouables de nature à compromettre tout espoir de changement ? Quoi qu’il en soit, les propos de sa déclaration de politique générale étaient hors-sujet.

Le premier ministre, qui n’a pas encore bouclé un mois dans l’exercice de ses fonctions, a donc dressé le bilan de presque dix ans de mandature du président Mohamed Ould Abdel Aziz.  L’avez-vous trouvé convaincant, sinon, pourquoi ?

Il serait fastidieux de relever toutes les contrevérités et incohérences du bilan présenté par le premier ministre. Mais prenons un exemple celui de la gouvernance publique. Le Premier ministre parle de prétendues avancées dans la lutte contre la corruption. Or il est de notoriété publique aujourd’hui que les sociétés d’Etat comme la Sonimex, l’Ener etc. ont été victimes de la corruption de milieux protégés en haut lieu et liquidées avant que toute la lumière ne soit faite sur ces graves crimes économiques. Ailleurs dans son discours, le Premier Ministre  ne s’est pas gêné de parler « d’ une plus grande transparence dans la gestion de la commande publique » . Au moment où les scandales des marchés de gré-à-gré douteux accordés à des proches defraient la chronique, se succèdent et deviennent même la norme en la matière. Les exemples ne manquent pas: les derniers en date, la concession pour un terminal à conteneurs et une jetée pétrolière au Port de l’amitié sans appel d’offres, la ligne électrique Nouakchott-Nouadhibou, le nouveau palais des congrès, etc.

Même le fleuron de l’industrie mauritanienne, la Snim,  n’a pas pu échapper à  la gestion gabegique et insatiable du pouvoir en place. Pourtant les régimes antérieurs dans les pires difficultés n’ont jamais cherché à mettre en péril le rôle non seulement économique mais aussi social (fondement de l’existence des villes de Nouadhibou et de Zouerat) que remplit cette entreprise depuis plus de 40 ans. Moctar Ould Daddah, en pleine guerre du Sahara, a dû supporter le refus de la Snim, pour des considérations de gestion, de livrer du carburant à  l’armée. Mohamed Khouna Ould Haydalla, malgré les difficultés financières de l’Etat à l’époque s’est résigné à lui accorder une importante subvention. Maawiya, au plus fort de la période de clientélisme politique lié à la démocratisation n’a jamais cherché à  modifier et à politiser les règles de gestion de l’entreprise. Aussi la Snim a-t-elle pu conserver son crédit auprès de ses partenaires extérieurs et traverser convenablement la longue période de vaches maigres qui a duré jusqu’ en 2004.

Par contre, le pouvoir actuel en quelques années a entrepris de détruire sa culture d’entreprise,  y introduisant la gabegie, le favoritisme, le clientélisme politique; en a fait sa vache à  lait pour le financement de projets improvisés sans rapport avec ses activités et sa mission et a dilapidé en très peu de temps ses réserves  financières accumulées durant les années fastes 2010-2014. Ainsi a-t-il fini aujourd’hui par la mettre à genoux, mettant en péril toute la région Nord du pays. Un audit de la Snim est devenu indispensable, il est le premier pas à faire pour tout redressement véritable. Mais le gouvernement ne l’envisage même pas.

Le programme Emel n’a jamais fait l’objet d’une inspection ou d’un contrôle d’État alors qu’il engloutit chaque année des dizaines de milliards d’ouguiyas et profite surtout à des fournisseurs proches du pouvoir.

Les routes, les routes, tel est le leitmotiv de la propagande officielle. Oui, on le sait, de tout temps, les travaux d’infrastructures sont indispensables. Mais ils sont parfois aussi le domaine de prédilection de la corruption.  Mais on ne dit jamais à quel prix ni à dans quelles conditions ces routes ont été construites? Et suivant quelles priorités ? Il est quand même étonnant d’oser se targuer du bilan de certaines réalisations en la matière lorsque nos routes nationales principales ( Nktt-Rosso, Nktt- Nema, Nktt-Ndb) sont dans un état déplorable, à  l’origine pour une bonne part de l’hécatombe qui endeuille tous les jours de nombreuses familles.

En réalité le bilan des dix ans de pouvoir de Mohamed Ould Abdelaziz  est catastrophique. Le Premier Ministre peut faire dire aux chiffres ce qu’il veut. Mais les faits sont têtus.  « Il n’y a plus d’administration  » est devenu aujourd’hui un refrain que l’on entend dans la bouche de tout le monde, du simple charettier à l’homme d’affaires ; la faillite de l’école (autour de 10% de réussite au baccalauréat ) et la grave crise du système de santé dont témoigne la dernière grève des médecins; la détresse du monde rural et la démission scandaleuse du pouvoir devant la calamité de la sécheresse; la prolifération de l’insécurité devenue une préoccupation de premier ordre pour le citoyen; l’extension de la pauvreté aux couches moyennes; les milliers de travailleurs jetés à la rue victimes de compressions et du marasme économique ; la jeunesse abandonnée au chômage et au désespoir; la mise en péril de l’unité nationale par le blocage ou la manipulation de dossiers sensibles comme ceux de l’esclavage ou du passif humanitaire ; la confiscation des libertés et la violation de la constitution; la manipulation des processus électoraux.  En dix ans, nous aurons tout vu avec ce régime. Et autant de facteurs d’instabilité voire d’implosion si on n’y prenait garde.

Cette déclaration de politique générale intervient au lendemain de la déclaration du président de la République sur RFI dans laquelle il réitère, une fois encore qu’il ne modifierait pas la Constitution pour briguer un 3e mandat, mais, précise-t-il, rien ne s’oppose à sa candidature à l’avenir. Vous avez répondu, avec Me Gourmo Lô qu’il est bien empêché à vie de se présenter à la présidentielle. Comprenez-vous  pourquoi Ould Abdel Aziz annonce qu’il compte bien se représenter un jour. Quelles peuvent être les implications politiques de cette annonce ?

On peut la comprendre comme une tentative de rassurer ses partisans et de leur faire croire que son départ ne serait que provisoire. Ou cela trahirait-il peut-être une intention de tripatouiller à  nouveau la constitution? En tout cas cette déclaration n’est pas de nature à rassurer son successeur éventuel quel qu’il soit.

Sauf que O. Abdelaziz ne disposera plus des moyens et conditions qui lui avaient permis de bousculer si facilement feu Ély Ould Mohamed Vall et Sidi O Cheikh Abdallahi.

Cette sortie intervient également à l’heure où les spéculations vont train sur le choix de son dauphin. Le général Ghazwani  est semble-t-il le choix de l’actuel président. Que pensez-vous de ce scénario ? Le redoutez-vous au FNDU ?  Et que pensez-vous de l’attitude de nos partenaires  au développement, en particulier la France par rapport à cette question du 3e mandat ?

La question du dauphin est une affaire de cuisine interne du régime actuel. Bien sûr O Abdelaziz doit être préoccupé de ne céder le pouvoir qu’à un homme de confiance capable de lui assurer ses arrières.

Mais il est étonnant tout de même que les présidents autoritaires ne tirent jamais la leçon de l’expérience de leurs semblables. Les dauphins protègent rarement. Le contentieux du Président est avec son peuple, avec l’opposition et ne pourrait être dépassé que s’il renonçait  justement à s’imposer à tout prix ou à imposer un successeur au pouvoir, s’il acceptait au terme de son mandat de permettre aux citoyens de choisir enfin librement et dans la transparence leurs élus, et dans un climat d’entente nationale.

Quant à nos partenaires étrangers, je ne crois pas qu’ils soient favorables à l’option du 3ème mandat. La stabilité de la région du Sahel et singulièrement de la Mauritanie les préoccupent au plus haut point. Et certainement, ils n’ignorent

pas que le pouvoir actuel avec tout le passif qu’ il traîne n’est plus un facteur de stabilité.

Pendant donc qu’Ould Abdel Aziz place ses pions dans la aprespective de son départ du pouvoir, l’opposition sembler murée dans un silence troublant alors que le temps presse.  Pouvez-vous nous dire où vous en êtes avec  les préparatifs de cette présidentielle de 2019 ? Une candidature unique vous paraît-elle possible au niveau de l’opposition?  Que répondez-vous à ceux disent qu’une candidature unique serait le meilleur moyen de diviser l’opposition  et donc de lui faire rater l’alternance démocratique ?

Contrairement à ce que vous supposez, l’opposition est plus unie que jamais auparavant et est sur le point de parvenir à un accord sur une stratégie électorale commune. Dans les tous prochains jours; peut-être avant la semaine en cours. Il est bon de noter que le Fndu et ses autres alliés de l’Alliance Electorale (Rfd, Sawab, Unad, Convergence) planchent actuellement sur le même document et entendent parvenir à une décision commune.  La stratégie du candidat unique (ou principal) et celle de candidatures multiples avec alliance au deuxième tour sont étudiées avec attention et chacune a ses avantages et ses inconvénients. Mais je peux déjà vous dire que l’option d’un candidat unique et d’un programme commun minimal a les faveurs de la grande majorité des composantes de l’opposition démocratique.

Mais l’essentiel n’est pas là. Y aura-t-il un processus électoral régulier, un scrutin transparent? L’aspiration au changement est immense dans notre pays. Et l’expérience des dernières élections municipales, régionales et législatives montrent la détermination de Mohamed O. Abdelaziz à continuer à confisquer le pouvoir, à empêcher l’expression libre de la volonté populaire. Le peuple veut le changement, O. Abdelaziz veut l’empêcher; le choc risque donc d’être dangereux pour la paix et la stabilité du pays. A moins que le pouvoir ne se ravise et accepte les redressements indispensables pour corriger le processus electoral: une Ceni consensuelle, une révision et un audit de la liste électorale, et avant tout la neutralité de l’Etat. La crédibilité des dernières élections a été largement mise en cause par l’absence de ces trois éléments. D’ailleurs aucune lecture de leurs resultats ne serait dans ces conditions véritablement fiable.

Dans une récente interview accordée au Calame, le président de l’APP Messaoud Boulkheir a souhaité la refonte de l’actuelle CENI, la meilleure voie  pour y arriver  est de passer par un dialogue inclusif, selon lui, ce que le président de la République a rejeté depuis quelque temps. Partagez-vous cet avis ?

Le président Messaoud à bien raison.

Un processus électoral consensuel est la seule voie qui garantirait des résultats acceptables pour tout le monde et sortirait notre pays de l’impasse politique actuelle.

Au lendemain de la publication de la liste du nouveau gouvernement, mais également après certaines nominations opérée par le pouvoir, l’opposition a crié à l’exclusion de la composante noire du pays. Pouvez-vous nous expliquer comment la Mauritanie en est  arrivée là ? Pensez-vous que le pouvoir vous a entendu depuis lors ?

Lorsque les quatre ou cinq principales personnalités de l’Etat sont de la même communauté ethnique, comment vous appelez cela? Du chauvinisme, certainement, parce que notre peuple est multinationale avec quatre composantes (Arabes, Halpular, Soninke et Wolof) et chacune a le droit de se voir dans le visage présenté de la Mauritanie. Sans d’ailleurs que l’on verse dans la logique des quotas qui a fait beaucoup de mal ailleurs, comme au Liban. Certains ont même pensé  que la décision serait plutôt une provocation pour susciter des tensions ethniques .

Dans tous les cas elle est  inacceptable. Et nous renouvelons sa dénonciation.  D’ailleurs aucun régime antérieur n’a osé  manifesté  autant de désinvolture et d’irresponsabilité sur ce point.

Votre collègue député Biram Dah Abeid croupit en prison depuis le mois d’août dernier sans être présenté à un juge. Que pensez-vous de cette situation et de la répression des militants de l’IRA devant certaines institutions, comme l’Assemblée Nationale et le ministère de  la justice ?

Je crois que vous avez  été choqué comme tout le monde de l’image de ce député de la nation traîné comme un vulgaire criminel les menottes aux poings. C’est tout simplement l’arbitraire dans toute sa hargne stupide. C’est aussi humiliant pour chaque député et pour la représentation nationale elle-même. Les députés de l’opposition ont réclamé depuis l’ouverture de la session actuelle la mise en oeuvre de l’article 85 du Reglement de l’Assemblée Nationale qui stipule en son alinea 5 que  » la détention ou la poursuite d’un député est suspendue si l’Assemblée Nationale le requiert par un vote à la majorité absolue de ses membres » .  En l’occurence c’est pour une bonne raison. La detention préventive est une mesure d’exception pour empêcher la fuite ou les pressions sur les témoins avant un procès. Ce qui ne pas le cas avec le député Biram. En vérité on assiste actuellement à la transformation de la détention préventive  en règle pour punir qui on veut et singulièrement les opposants. Et nos collègues de la majorité qui continuent de traîner les pieds doivent se raviser et accepter notre demarche. Elle vaut pour tout le monde, et chacun pourra avoir besoin un jour d’une application juste du droit. Maintenir un député en préventive sans procès est le sommet de l’arbitraire mais aussi le témoignage  du mépris que ce régime a pour le droit et la démocratie.

La Mauritanie vient d’être privée des avantages que procure l’AGOA. Comment expliquez-vous cette privation  alors que le gouvernement  se targue de mener une farouche bataille pour les droits de l’homme et pour la lutte contre la gabegie ?

Les décisions du gouvernement américain ont des motifs qui ont rapport avec les intérêts américains. Mais si on reproche à notre pays de ne pas respecter ses engagements en matière de droit de l’homme ou de lutte contre l’esclavage, la faute en revient au gouvernement qui joue au plus fin pour tromper tout le monde et surtout et particulièrement sur ces deux questions. Quant l’ AGOA, elle ne représente pas encore grand chose sur le plan économique et sa suspension n’entraînera pas de difficultés notables pour le pays.

Propos recueillis par AOC

Source : Le Calame (Le 30 novembre 2018)

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