Ilhan Omar, jamais sans son foulard

Ilhan Omar rayonne. Le soir des résultats des «midterms» aux Etats-Unis, à peine son élection dans le 5e district du Minnesota confirmée, la jeune femme de 37 ans se voyait déjà dans les travées du Capitole. Quelle revanche sur la vie! Petite, elle a quitté la Somalie en pleine guerre civile, a vécu pendant quatre ans dans un camp de réfugiés au Kenya, puis est arrivée à l’âge de 12 ans aux Etats-Unis, sans parler un mot d’anglais. Aujourd’hui, elle jubile. Elle va pouvoir jouer un rôle politique actif dans le pays qui l’a accueillie, et qu’elle juge en danger sous la présidence de Donald Trump.

Porte-voix des immigrés

 

Ilhan Omar n’est pas du genre à garder la langue dans sa poche. Comme ex-réfugiée et comme musulmane, elle s’en prend férocement à Donald Trump, qui, dès ses premiers jours en fonction, a provoqué la polémique avec son «Muslim ban», un décret visant à interdire aux ressortissants de plusieurs pays musulmans de se rendre sur sol américain, contesté maintes fois devant les tribunaux. La démocrate est déterminée à devenir le porte-voix des immigrés, à se battre contre l’islamophobie, et revendique fièrement le droit de se couvrir les cheveux, qu’elle compte imposer au Congrès alors que les couvre-chefs y sont bannis depuis 1837. Elle est très critique envers le gouvernement israélien, qu’elle qualifie de «régime de l’apartheid», ce qui lui vaut régulièrement d’être taxée d’antisémite.

Ma famille m’appelait «l’enfant Pourquoi?». J’ai toujours eu besoin de savoir pourquoi quelque chose arrivait, pourquoi je devais faire telle ou telle chose

Ilhan Omar

Naturalisée en 2000, Ilhan Omar a été élue à la Chambre des représentants du Minnesota en 2016, après des études en sciences politiques. Le 6 novembre, elle apprend qu’elle siégera dès janvier 2019 à la Chambre basse du Congrès, avec une deuxième musulmane, Rashida Tlaib, 42 ans. Cette avocate d’origine palestinienne née à Detroit, aînée de 14 enfants, a été élue dans une circonscription très démocrate du Michigan, sans républicain dans la course: elle succède à un élu qui a dû démissionner après des accusations de harcèlement sexuel. Ilhan Omar, elle, remplace Keith Ellison, devenu procureur général de son Etat. Il a été le tout premier musulman à entrer au Congrès, en 2006.

Faire tomber des barrières

 

Ancrée à gauche de son parti comme d’autres jeunes figures qui ont émergé lors de ces élections de mi-mandat, Ilhan Omar revendique la citoyenneté pour les migrants clandestins, alors que le président des Etats-Unis vient de faire savoir qu’il songeait à supprimer le droit du sol. Elle milite également en faveur d’un meilleur contrôle des armes à feu, revendique un système de santé universel pour tous, une éducation gratuite, et des loyers abordables. Elle joue sur son statut multiculturel et rappelle souvent ses origines modestes de déracinée ainsi que son vécu dans des camps de réfugiés, en maniant la provocation. Sa carrière professionnelle, elle l’a démarrée comme conseillère en nutrition pour enfants.

Ilhan Omar, la plus jeune de sept frères et sœurs, a perdu sa mère alors qu’elle était enfant. Elle a été élevée par son père et son grand-père. Après un divorce en 2011, elle se remet avec le père de ses deux enfants. Ils ont un troisième enfant et se marient en 2018, une année décidément bien riche pour la démocrate.

Comme d’autres représentants de minorités, elle a subi des coups bas en briguant le Congrès. Un républicain l’a accusée d’avoir puisé dans la caisse de campagne pour régler les frais de son divorce. Elle a aussi été critiquée pour ses rémunérations lors d’apparitions publiques. Ilhan Omar divise et son ascension atypique ainsi que son charisme agacent ses détracteurs. Elle a déjà plus de 179 000 followers sur Twitter. En 2017, Time l’intègre dans une édition spéciale «Firsts» sur 46 femmes parvenues à faire tomber les barrières, après son élection dans le Minnesota. En janvier 2018, le magazine Vogue met en exergue cinq familles «qui sont en train de changer le monde», et la sienne en fait partie. Elle pose pour la photographe Annie Leibovitz avec son mari, Ahmed Hirsi, leur fils, Adnan, et leurs deux filles, Ilwad et Isra. Son parcours fascine tellement qu’elle a même droit à un documentaire, Time for Ilhan, réalisé par Norah Shapiro.

Besoin de savoir

 

«Ma famille m’appelait «l’enfant Pourquoi?». J’ai toujours eu besoin de savoir pourquoi quelque chose arrivait, pourquoi je devais faire telle ou telle chose», raconte-t-elle dans une interview au Time. «Je suis toujours comme ça. Je m’interroge sans cesse, je questionne ceux qui m’entourent, je questionne la politique et le raisonnement derrière tout.»

«Quand nous sommes arrivés aux Etats-Unis, notre première expérience a été de traverser Manhattan en voiture. Il y avait des graffitis partout. Des ordures partout. Des mendiants et des sans-abri qui dormaient dans la rue. Je me souviens avoir cherché des réponses auprès de mon père. J’ai dit: «Ça ne ressemble pas à l’Amérique que tu m’as promise.» Il m’a répondu: «On n’est pas encore arrivés dans notre Amérique, il faut juste que tu sois patiente», dit-elle plus loin.

Ilhan Omar est bien déterminée à peser de tout son poids pour freiner Donald Trump et améliorer le sort de citoyens américains en situation précaire. Mais jamais elle ne pourra devenir présidente des Etats-Unis: elle n’est pas citoyenne américaine «de naissance». Ses deux plus grands enfants en sont bien conscients. Ils le rappellent d’ailleurs à ceux qui caressent les rêves les plus fous pour leur mère. Avec une réponse toute trouvée: «Notre mère ne peut pas devenir présidente parce qu’elle n’est pas née ici, mais nous si!»

Valérie de Graffenried

 

 

Source : Le Temps (Suisse)

 

 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile