Mauritanie : Quelle couverture santé pour les femmes enceintes ?

Theconversation / Cet article a été co-écrit avec Zakaria Amar, Martine Audibert, François Boillot, Emmanuel Bonnet, Aïssa Diarra, Inès Dossa, Alexandre Dumont, Vincent Fauveau, Arnaud Laurent, Aline Philibert, Bertille Raffalli, Andrainolo Ravalihasy, Marion Ravit, Valery Ridde et Philippe Vinard.


 

La Mauritanie a longtemps été caractérisée par des niveaux parmi les plus alarmants de mortalité maternelle. Selon les projections de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), celle-ci serait en 2015 de 602 décès maternels pour 100 000 naissances vivantes. Ce taux est très supérieur à celui de pays voisins, pourtant plus pauvres, comme le Burkina Faso ou le Sénégal (respectivement 371 et 315 décès pour 100 000 naissances selon la même source). À titre de comparaison, la mortalité maternelle se situe en France autour 10 pour 100 000 naissances.

En Mauritanie, la plupart des patientes doivent toujours systématiquement payer l’intégralité des actes pour être soignées. Pour favoriser la couverture de la prise en charge et du risque obstétrical, la coopération française pour le développement international soutient depuis 1998 un dispositif de financement de l’accès aux soins maternels et infantiles, qui progressivement s’est étendu sur la majeure partie du territoire. Une évaluation d’impact a servi à mesurer son efficacité et à mieux comprendre sa mise en œuvre.

Un prépaiement forfaitaire qui couvre les complications

L’accès aux soins et la réduction de la mortalité pour les femmes et les nouveau-nés sont au cœur des objectifs de développement durable de l’ONU. Les mécanismes de protection sociale sont considérés comme des leviers pour améliorer l’accès aux soins et une prise en charge plus équitable. En Mauritanie, le « forfait obstétrical » est un dispositif volontaire couvrant les frais de santé maternelle dans les formations sanitaires publiques.

Lors de leur première consultation prénatale, les femmes qui le souhaitent payent entre 15 et 17 €, en un ou deux versements. Ce montant représente environ 20 % du revenu mensuel moyen par habitant.

Le forfait donne accès à tout un ensemble de services médicaux sans paiement supplémentaire : consultations prénatales, postnatales, examens biologiques, échographie, accouchement dans une formation sanitaire par du personnel qualifié, prise en charge des complications éventuelles. Ce dispositif, qui a été initié en 1998 à Nouakchott avec le soutien de la France, été progressivement étendu à la majeure partie du territoire national dans des établissements sélectionnés pour leur bon niveau de soins.

Il s’agit d’une approche originale, qui allie paiement des soins par les femmes, partage du risque et amélioration de l’offre de soins, dans un contexte où la plupart des pays sahéliens ont privilégié des politiques d’exemption du paiement des soins en matière de santé maternelle et néonatale. Restait à évaluer son efficacité.

Une approche pluridisciplinaire

L’évaluation d’impact a été lancée au démarrage d’une nouvelle phase d’extension géographique du dispositif du forfait obstétrical. Elle visait à mesurer les effets du forfait sur l’accès aux soins de santé maternelle et sur la qualité des soins.

Elle a combiné deux approches, l’une quantitative, l’autre plus qualitative. Une première équipe a associé des chercheurs en économie, en santé publique et en géographie. En 2015, ils ont utilisé les données disponibles de quatre enquêtes socio-sanitaires menées entre 2001 et 2012 par l’Office Mauritanien de la Statistique. Les informations disponibles à l’époque portaient sur la dernière grossesse de chaque femme, sans indiquer toutefois si elle avait souscrit au forfait obstétrical. L’effet du forfait obstétrical a donc été étudié sur l’ensemble des femmes et des nouveau-nés résidant à proximité des établissements couverts par le forfait. Tout récemment, en 2018, une analyse plus poussée a été rendue possible grâce à de nouvelles données sur l’adhésion au forfait et des audits sur la disponibilité et la capacité opérationnelle des services dans l’ensemble des établissements de soin mauritaniens.

Un second groupe de recherche rassemblait des experts de santé publique, en anthropologie et sociologie. Cette équipe a étudié les données de gestion des établissements de santé et analysé le fonctionnement interne des établissements couverts. Elle a également mené une étude qualitative sur les pratiques du personnel soignant, sur l’incidence du forfait obstétrical sur l’interaction des soignants entre eux, sur la relation soignants-patientes, et sur la perception du forfait obstétrical par celles-là même qui en bénéficiaient.

Des résultats significatifs qui se heurtent aux dysfonctionnements structurels

La première phase d’évaluation a montré que la disponibilité du forfait obstétrical n’a pas eu d’impact significatif à l’échelle des territoires couverts sur l’amélioration du recours aux consultations pré- et postnatales ainsi que pour les accouchements. On constate cependant que le recours à ces soins a davantage augmenté pour les populations les plus vulnérables (femmes les plus jeunes, pauvres, non éduquées) dans les zones couvertes par le forfait que dans les zones non-couvertes. Mais comme il s’agit d’échantillons assez petits, ces tendances ne sont pas d’une ampleur suffisante pour qu’on puisse les attribuer au forfait obstétrical. La disponibilité du forfait obstétrical a néanmoins eu un impact clair sur le type d’établissements de santé dans lequel les femmes sont prises en charge : elles ont plus recours à des structures de proximité (centres et postes de santé) et moins à l’hôpital.

L’analyse qualitative a pour sa part mis en avant la pertinence initiale du dispositif. Le forfait obstétrical a contribué à former du personnel de santé et à améliorer l’offre de soins, notamment par une meilleure prise en charge des complications et le transfert des patientes vers l’hôpital. Son efficacité s’est cependant essoufflée avec son extension, à mesure qu’il était confronté aux dysfonctionnements structurels du système de santé mauritanien. La supervision technique et le suivi de la gestion financière s’avèrent insuffisants compte tenu de l’ampleur prise par le dispositif.

Néanmoins, le forfait bénéficie d’une impression globalement positive selon les femmes, même si celles-ci relèvent cependant certains dysfonctionnements. Ainsi, certaines femmes n’ont jamais été au courant du dispositif alors qu’elles résident pourtant dans des zones couvertes. D’autres signalent que des paiements additionnels leurs sont parfois réclamés et se plaignent d’une qualité des services insuffisante : indisponibilité de médicaments, manque d’attention du personnel de santé, attentes très longues, consultations trop courtes…

Le forfait obstétrical incite au recours aux soins

La dernière phase d’analyse est en cours d’achèvement. Elle montre un impact positif de l’adhésion au forfait obstétrical sur le recours aux soins et sur la prise en charge des femmes enceintes pendant leur grossesse. Les femmes qui ont adhéré ont accouché dans 84 % des cas dans des établissements de santé, contre 61 % pour celles qui n’ont pas adhéré. Quand on tient compte de tous les facteurs qui interviennent dans cet écart pour isoler l’effet propre au forfait obstétrical, on constate que le fait d’y adhérer accroît la probabilité de 15 % d’accoucher dans un établissement de santé, de 11 % d’avoir au moins quatre consultations prénatales, de 9 % celle de passer au moins une échographie, de 12 % celle d’avoir une analyse sanguine et de 8 % celle d’être assistée par un personnel médical qualifié lors de l’accouchement.

 

De même, l’adhésion au forfait réduit de manière significative l’inégalité d’accès aux consultations prénatales selon le niveau de vie des patientes, qu’elles vivent en zones urbaine ou rurale. L’adhésion au forfait a contribué à la réduction des inégalités entre les plus riches et les plus pauvres dans l’accès à la césarienne en zone rurale ainsi que dans l’accès aux accouchements en établissement de santé en zone urbaine. Cependant, l’étude ne met pas en évidence d’impact du forfait obstétrical sur la qualité des soins.

Des enseignements pour avancer vers une couverture universelle en santé

 

L’évaluation montre que si l’on souhaite soutenir le recours aux soins maternels, il est important d’agir sur des leviers supplémentaires que le seul volet financier, comme le renforcement des ressources humaines, la disponibilité des produits médicaux, l’efficacité du système d’information, ou encore la supervision. Il est donc nécessaire d’intégrer le forfait dans la construction d’une couverture santé universelle en santé pour la Mauritanie et de refonder son ancrage institutionnel, pour une meilleure intégration au sein du ministère de la Santé.

 

Ces résultats ont directement influencé la conception, courant 2016, d’une nouvelle phase d’appui au forfait obstétrical en Mauritanie. Une approche plus globale a été mise en place au niveau régional pour améliorer la qualité et le recours aux soins, associant un travail sur les ressources humaines, la filière du sang et du médicament, ainsi que la sensibilisation communautaire.

 

Ces enseignements alimentent également le débat national et international sur le financement de la santé. Ils sont aussi utiles pour des expériences similaires, comme le chèque santé en cours d’implantation dans le nord du Cameroun. Enfin, cette étude démontre l’importance d’évaluer l’impact des interventions de santé publique avec des données quantitatives et qualitatives, mais aussi d’utiliser les systèmes d’informations statistiques nationaux, trop peu exploités et soutenus, afin de guider la décision publique.


Ce texte s’inscrit dans une série d’articles autour de la thématique « Santé publique », sujet du colloque de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF) qui se tient les 6 et 7 novembre, à Bruxelles avec plus de cent cinquante acteurs francophones : établissements universitaires, représentants gouvernementaux, représentants des agences nationales, experts des politiques de santé publique dans le monde francophone.

 

 

Source : Alakhbar.info (Le 12 novembre 2018)

 

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