Football Leaks : les contrats surévalués du PSG version qatarie

Le club parisien aurait gonflé ses revenus grâce à des contrats de sponsoring fictifs, et l’UEFA aurait couvert les faits pour des « raisons politiques », selon des documents obtenus par « Der Spiegel » et analysés par « Mediapart ».

 

Près de deux ans après une première série de révélations sur l’évasion fiscale dans le monde du ballon rond dans le cadre des « Football Leaks », le consortium European Investigative Collaborations (ECI), dont fait partie Mediapart, publie une nouvelle série d’enquêtes, réalisées à partir d’une masse de « plus de 70 millions de documents ». Pièces à l’appui, Mediapart assure que, depuis son rachat du PSG en 2011, le Qatar « y a injecté 1,8 milliard d’euros, dont 1,35 milliard via des contrats de sponsoring surévalués et le solde via des avances d’actionnaire ».

Le site affirme le club de la capitale « a été couvert » par l’Union des associations européennes de football (UEFA) et ses deux anciens dirigeants : son ex-président Michel Platini (2007-2015) et son ancien secrétaire général, Gianni Infantino (2009-2016), actuel dirigeant de la Fédération internationale de football (FIFA). Et ce en violation avec les règles du fair-play financier (FPF), ce mécanisme introduit par l’UEFA en 2010 et en vertu duquel les équipes du Vieux Continent ne doivent pas dépenser plus qu’elles ne gagnent sous peine de sanctions.

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L’enquête de Mediapart se polarise sur le contrat « de promotion de l’image du Qatar » entre le PSG et l’Autorité du tourisme du Qatar (QTA), appelée de facto à combler le déficit du club. Le 8 août 2012, ce partenariat est signé par les deux parties et prévoit le versement par QTA de 1,075 milliard d’euros sur cinq saisons au PSG, dont 100 millions au titre de la première saison.

Cet accord stipule que le PSG devra « jouer un rôle majeur en Ligue des champions » en recrutant des stars, auxquelles il devra verser « 110 % de ses revenus » en salaires. 100 millions d’euros seront toutefois versés rétroactivement par QTA au titre de la saison 2011-2012. Ce qui permettra au club de « respecter ses engagements » auprès de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme financier du football français.

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Le contrat avec QTA

 

Si ledit contrat n’est officialisé qu’en octobre 2013, 200 millions d’euros seront versés aux dirigeants parisiens au titre de la saison 2012-2013. Tandis que l’état-major du PSG menace d’attaquer les règles du FPF devant l’Autorité de la concurrence et commence à montrer ses muscles en rédigeant une plainte, l’UEFA se penche sur les comptes du club. Deux agences (Repucom et Octagon) évaluent la valeur de l’accord avec QTA à 123 000 euros et 2,78 millions d’euros annuels. Quant au PSG, il soutient que ce contrat (estimé selon lui à 215 millions d’euros annuels) n’obéit pas à une logique de sponsoring mais fait la promotion d’un pays.

Dans son rapport, l’avocat de la chambre d’instruction de l’instance de contrôle financier des clubs (ICFC) de l’UEFA indique que le contrat avec QTA « est massivement surévalué » et conçu « pour contourner les règles » du FPF. Les enquêteurs du fair-play financier concluent que 283 des 300 millions virés par QTA ont été versés au fonds Qatar Sports Investments (QSI), pour « rembourser les achats de joueurs » réalisés depuis le rachat de 2011. Ou l’art de faire passer l’argent d’une poche à une autre. A la lumière du rapport de l’ICFC, sans prendre en compte les versements de QTA, le déficit du PSG s’élève alors à 260 millions d’euros sur deux ans.

Mediapart affirme que Michel Platini et Gianni Infantino ont proposé un « accord à l’amiable » aux dirigeants du PSG. Des négociations s’ouvrent après que le président du club, le Qatari Nasser Al-Khelaïfi, a intimé, en février 2014, au patron de l’UEFA de ne pas menacer les intérêts du Qatar, en faveur duquel ce dernier avait voté lors du scrutin d’attribution du Mondial 2022. Contacté par Le Monde, l’entourage de Michel Platini confirme que M. Al-Khelaïfi a menacé de traîner l’UEFA devant les tribunaux et met en avant le « principe de réalité » dans cette affaire.

Accord à l’amiable

 

Le président de la FIFA, GIanni Infantino, le 14 octobre 2016 à Zurich.

 

Les deux parties s’entendent pour rédiger un nouveau contrat, dont la valeur sera jugée plus réaliste. En avril 2014, à Londres, Gianni Infantino et Jean-Claude Blanc, le numéro deux du PSG, s’accordent sur le montant : 100 millions d’euros. Soit 97 millions d’euros de plus que celui évalué par les experts indépendants. Au bout du compte, selon Mediapart, le secrétaire général de l’UEFA accepte que « la baisse du contrat QTA soit presque intégralement compensée par de nouveaux sponsors qataris ». Et ce pour éviter que le déficit du PSG explose au titre de la saison 2014-2015.

L’accord est finalement signé par l’Italien Umberto Lago, qui a remplacé le patron démissionnaire de la chambre d’instruction de l’ICFC, Brian Quinn. Lequel se serait opposé audit accord. Le PSG reçoit, entre autres, une amende de 60 millions d’euros et une limitation du nombre de joueurs.

Mais les choses s’enveniment lorsque Nasser Al-Khelaïfi apprend que son « grand rival », Manchester City, propriété depuis 2008 du cheikh Mansour d’Abou Dhabi (Emirats arabes unis), va être moins lourdement sanctionné. S’il n’obtient pas des dirigeants de l’UEFA que le montant de son amende soit confidentielle, le président du PSG voit son amende ferme réduite de 60 à 20 millions d’euros. Par ailleurs, le comité exécutif de l’UEFA approuve « une interprétation des règles, qui limite à 5 le nombre de joueurs formés au pays lorsqu’un club ne peut en aligner que 21. »

La rivalité avec Manchester City et Abou Dhabi

 

En 2015, bis repetita. Furieux de voir Manchester City obtenir la levée de ses sanctions un an à l’avance, le PSG obtient des dirigeants de l’UEFA le même traitement de faveur. Gianni Infantino autorise ainsi le club à « réécrire a posteriori ses comptes afin de valoriser le contrat QTA à 100 millions d’euros dès 2013-2014 ». Par ce tour de passe-passe, la formation de la capitale revient à l’équilibre et l’affaire est scellée en juillet 2015. L’UEFA assure qu’un nouveau contrat a été signé avec QTA (qui s’élève en vérité à 155 puis 145 millions d’euros) alors qu’il ne sera paraphé qu’en 2016.

D’autres partenariats avec des entités qataries interpellent, dont ceux avec la chaîne sportive BeIN Sports (signé en septembre 2013, contre 2,8 millions d’euros annuels et couvrant la saison antérieure), dirigée par Nasser Al-Khelaïfi, l’académie de football Aspire (3,9 millions d’euros) ou la Banque nationale du Qatar (jusqu’à 15 millions d’euros), ou l’opérateur Ooredoo (40 millions d’arriérés payés).

Le feuilleton PSG va connaître un nouveau rebondissement sous la présidence du Slovène Aleksander Ceferin, élu en septembre 2016 à la tête de l’UEFA. Contraint de réduire la voilure et de faire passer la barre de ses recettes issues de partenaires qataris à 30 %, le club de la capitale flambe pourtant sur le marché des transferts à l’été 2017 en recrutant le Brésilien Neymar (pour 222 millions d’euros au FC Barcelone) et le prodige français Kylian Mbappé (contre 180 millions d’euros).

Dans la foulée, l’UEFA ouvre une enquête contre le club dans le cadre du FPF. Pris en étau, avec un déficit prévisionnel estimé à124 millions d’euros pour la saison 2017-2018, le PSG doit « encaisser » le rapport accablant de l’agence de marketing Octagon, mandatée par l’UEFA. Laquelle évalue la valeur réelle du partenariat de QTA à 5,5 millions d’euros annuels. Soit vingt-six fois moins que le montant affiché. La valeur des six autres contrats qataris est divisée par deux, à 27 millions au lieu de 60.

De son côté, le PSG lance une contre-expertise et la société Nielsen, qui collabore régulièrement avec le club, valorise le contrat avec QTA à 123 millions d’euros en 2016-2017 et à 217 millions en 2017-2018. En mai 2018, les dirigeants du PSG discutent directement avec ceux de l’UEFA, dont Andrea Traverso, responsable du fair-play financier lors de l’enquête de 2014.

Enquête classée pour des « raisons politiques »

 

Selon les « Football Leaks », la délégation de l’UEFA indique alors au PSG que l’enquête va être classée sans suite « pour des raisons politiques ». Un accord à l’amiable secret est proposé par les dirigeants de la Confédération européenne : le club sera blanchi, mais devra accepter en échange de dévaluer ses contrats qataris et de vendre des joueurs. Par ailleurs, le club pourra sceller un nouveau contrat à plus de 100 millions d’euros avec une autre société qatarie.

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Le PSG marchande et accepte que le contrat avec QTA soit dévalué à 60 millions d’euros jusqu’à son terme, en 2019, et s’engage à vendre pour 140 millions d’euros de joueurs lors du mercato estival. Mais la chambre d’instruction de l’ICFC va refuser l’accord, dévaluer les sponsors qataris, avant de classer sans suite, en juin, l’enquête visant le PSG, qui va céder plusieurs joueurs (Javier Pastore, Yuri Berchiche) contre un montant de 60 millions d’euros. Elle va surtout imposer au PSG de ne pas renouveler l’accord à 145 millions avec QTA lorsqu’il expirera.

En juillet, la chambre de jugement de l’ICFC conteste la décision du Belge Yves Leterme, le patron de la chambre d’instruction. En septembre, elle décide de renvoyer le dossier devant la chambre d’instruction. Laquelle va examiner de nouveau les contrats qataris.

Dans un communiqué, le PSG a réagi à l’enquête de Mediapart. Il assure « qu’il s’est toujours strictement conformé aux lois et réglementations en vigueur et dément fermement les allégations publiées ce jour par Mediapart. »

« Depuis la mise en place du FPF, le PSG a été l’un des clubs les plus audités et les plus surveillés de l’histoire (…), ajoute le club. Les échanges avec les membres des chambres de l’ICFC se font dans le cadre prévu par les statuts de l’UEFA. Sur cette base, l’UEFA statue ensuite en toute indépendance. La sévérité des décisions rendues au sujet du PSG le démontre. »

Rémi Dupré

Source : Le Monde

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