L’Arabie Saoudite reconnaît la mort de Khashoggi, la presse saoudienne cherche les coupables

Vendredi 19 octobre, l’Arabie Saoudite a reconnu la mort du journaliste Jamal Khashoggi dans son consulat d’Istanbul. En à peine vingt-quatre heures, la presse saoudienne passe de la dénonciation d’un “complot international” à la dénonciation de boucs émissaires intérieurs, dont certains sont proches du prince héritier Mohammed ben Salmane.

Il y a moins d’une semaine, le grand quotidien saoudien Okaz mettait un poing levé à la une, en promettant des représailles contre tout pays qui songerait à réclamer des comptes à Riyad pour la disparition du journaliste Jamal Khashoggi au consulat saoudien d’Istanbul, le 2 octobre. Depuis, la presse saoudienne n’avait de cesse de dénoncer la “comédie de cette disparition”, en affirmant qu’il s’agissait d’une mise en scène ourdie par la Turquie et la Qatar pour nuire à la réputation de Riyad, et appelait ses lecteurs à résister à “une campagne hostile sans précédent” visant l’Arabie Saoudite.

Ce samedi 20 octobre, au lendemain de l’aveu saoudien que le journaliste a bel et bien été tué dans le consulat, le même journal Okaz titre “la justice suit son cours”. Et d’annoncer que “le procureur général affirme que Khashoggi est mort lors d’une rixe avec des Saoudiens rencontrés au consulat. Dix-huit personnes en état d’arrestation.”

Plus significatif encore, l’éditorial du jour d’Al-Riyadh, le quotidien de la capitale saoudienne : “L’annonce par le Royaume des premiers résultats de l’enquête sur la disparition du concitoyen Khashoggi représente l’affirmation de l’importance que l’État voue à la vérité, à la réalisation de la justice et la volonté de poursuivre toute personne qui outrepasserait [les règles] du régime.”

“Tous ceux qui ont versé dans l’affaire Khashoggi seront passés au fil de l’épée de la justice”, ose même le site saoudien Sabq, ce qui fait dire à Madawi Al-Rachid, opposante saoudienne vivant en exil que “même en parlant de justice, les médias saoudiens, propriétés d’État, parlent d’épée. C’est une part intégrale de la gouvernance au royaume saoudien.”

Des proches de MBS limogés

 

Parmi les personnes qui sont désormais dans le viseur du régime, deux au moins sont des poids lourds. “Par décret royal, Ahmed Al-Assiri, Saoud Al-Qahtani et un groupe d’officiers sont limogés”, annonce le titre principal d’Al-Riyadh. Ahmed Al-Assiri avait été le porte-parole des opérations militaires au Yémen, avant d’être promu vice-président des services du renseignement. Saoud Al-Qahtani, pour sa part, était officiellement conseiller médiatique de Mohammed ben Salmane, mais il était surtout extrêmement présent dans l’espace public saoudien pour dénoncer des voix discordantes, vilipender le Qatar et justifier des mesures de répression. C’est lui qui, en août 2017, avait lancé sur Twitter une “liste noire de journalistes à bannir”, dont le premier nom était Jamal Khashoggi.

La portée politique du limogeage de ces deux responsables est d’autant plus considérable qu’ils étaient tous les deux réputés très proches du prince héritier Mohammed ben Salmane, et qu’ils étaient des visages étroitement associés à son ascension fulgurante, y compris pour l’opinion publique saoudienne. Et en cela, cette annonce constitue, d’ores et déjà, un camouflet pour Mohamed ben Salmane.

Reste que, de l’aveu même du prince héritier Mohammed ben Salmane dans une récente interview avec l’agence américaine Bloomberg, 1500 personnes ont été arrêtées au cours des trois dernières années “pour des raisons de sécurité”. Il n’a pas précisé s’il comptait parmi eux les femmes qui militaient pour le droit de conduire, les intellectuels musulmans tels que Salman Al-Aouda, l’économiste Essam Al-Zamel et tant d’autres. “On nous dit que l’Arabie Saoudite est le royaume de la justice”, écrit le groupe de défense des prisonniers politiques M3tkl [prisonners of conscience] sur Twitter. Pour se demander, en substance, si eux aussi auront droit à la justice.

Philippe Mischkowsky

Source : Courrier international

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