Comment l’affaire Khashoggi menace l’accession au trône de MBS

Face au tourbillon provoqué par la disparition du journaliste saoudien, l’avenir du prince héritier est entre les mains du roi Salmane et de Donald Trump.

 

Il est certainement celui qui a le plus à perdre dans l’affaire Khashoggi. Le prince héritier Mohammad ben Salmane est sous le feu des critiques depuis la disparition du journaliste saoudien qui aurait été tué dans le consulat de son pays à Istanbul, selon des responsables turcs. Alors que l’enquête est encore en cours, tout le monde semble voir la main de ce prince au tempérament impulsif derrière l’élimination de cette voix critique mais bien installée au sein de l’establishment saoudien. « Il est largement estimé qu’une telle opération – contre une personnalité de premier plan résidant aux États-Unis – aurait besoin de l’approbation de quelqu’un de très haut placé et que la décision n’aurait pas pu être prise par un fonctionnaire », explique à L’Orient-Le Jour Neil Quilliam, chercheur au sein du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Chatham House. Plusieurs membres de l’équipe soupçonnés d’avoir participé à l’assassinat de Jamal Khashoggi sont des proches de MBS. « Aucune opération de cette envergure ne peut avoir lieu en Arabie saoudite sans l’aval du prince héritier », confirme également à L’OLJ Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques. « C’est l’homme fort du pays depuis déjà deux ans. Il contrôle tout l’appareil sécuritaire et militaire », souligne-t-il.

Pourquoi le prince héritier aurait-il décidé de mener une opération aussi risquée pour lui et pour le royaume ? « Il a tout à fait sous-estimé l’impact de cette affaire. Il ne pensait pas que cela créerait un choc psychologique aussi fort à l’échelle planétaire. Et pour cause : tous les précédents faux pas de ces dernières années ont été passés sous silence par les Occidentaux », analyse Karim Émile Bitar. « Il y avait donc un sentiment d’impunité, un sentiment d’hubris chez MBS. Il a senti qu’il avait un feu vert absolu de l’administration Trump et, par conséquent, il a pensé que cette affaire pouvait passer sans trop de bruit », poursuit-il.

Après la guerre au Yémen, la déposition de son cousin et rival Mohammad ben Nayef, le blocus contre le Qatar, la prise en otage de Saad Hariri ou encore la purge du Ritz-Carlton, l’affaire Khashoggi pourrait être celle de trop pour MBS. Celle qui finirait de convaincre ses derniers soutiens sur la scène internationale qu’il n’est pas l’homme de la situation. MBS a pourtant dépensé des millions de dollars ces dernières années pour promouvoir son image de réformateur capable de révolutionner le royaume. En avril dernier, il avait également profité d’une tournée aux États-Unis de trois semaines pour faire un détour par la côte Ouest du pays pour y rencontrer les dirigeants les plus influents de la Silicon Valley et vendre ainsi le marché saoudien. C’est toute cette entreprise qui est aujourd’hui mise en péril. Le temps où les médias internationaux véhiculaient l’image d’un MBS réformateur à qui l’on accorde le bénéfice du doute « est révolu – les médias internationaux ont perdu toute confiance en MBS et l’image du royaume a subi un revers majeur – c’est encore pire », estime M. Quilliam. « Même les journalistes qui avaient fait les éloges les plus appuyés de MBS comme Thomas Friedman ont pris leurs distances ces derniers jours », note pour sa part M. Bitar.

(Lire aussi : Affaire Khashoggi : la Turquie profiterait-elle du scandale ?)

Prince immature et incontrôlable

Avec ses projets faramineux, tel que Vision 2030, et sa volonté de libéraliser la société saoudienne, MBS était d’abord vu comme un jeune réformateur, qui allait définitivement faire entrer l’Arabie saoudite dans le XXIe siècle. Ses décisions impulsives, rompant avec la traditionnelle diplomatie prudente du royaume, lui ont ensuite valu l’image de prince autoritaire, mais avec l’idée que cet autoritarisme était quelque part nécessaire pour faire évoluer les traditions dans le royaume wahhabite. Depuis quelques semaines, et a fortiori depuis l’affaire Khashoggi, c’est une autre petite musique qu’on commence à entendre dans les cercles de Washington : celle d’un prince immature et incontrôlable qui pose de sérieux problèmes.

Peu sensible aux critiques de certains membres du Congrès concernant l’opération saoudienne au Yémen ou contre la répression des opposants, l’administration Trump aurait toutefois été déçue par le jeune prince à plus d’une occasion. « MBS avait promis un soutien arabe et musulman à la démarche américaine de considérer Jérusalem comme capitale d’Israël. Il y a eu conflit sur ce point entre le père et le fils », confie à L’OLJ un observateur libanais proche des milieux saoudiens. Selon une autre source proche des cercles de pouvoir saoudien, l’équipe de Trump a également déchanté après que le roi Salmane eut annulé l’entrée en Bourse du géant pétrolier national Aramco, souhaitée par Washington, mettant le prince héritier en porte-à-faux face aux Américains qui comptaient saisir cette opportunité.

Un revers important pour MBS, qui entretient des liens étroits avec le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, conseiller spécial du président chargé de gérer le dossier israélo-palestinien et issu de la même génération. La manière de procéder du président américain, qui favorise des liens personnels avec les dirigeants internationaux, avait également séduit dans le Golfe, facilitant la mise en contact avec le trentenaire qui semblait parti pour tenir les rênes du pouvoir pour les prochaines cinquante années.

Aujourd’hui, cette passation des pouvoirs ne semble plus aussi certaine. « L’image de MBS est déjà fortement écornée, mais cela n’a jamais empêché un prince héritier de devenir roi », nuance Joseph Bahout, chercheur au Carnegie et spécialiste du Moyen-Orient. Le jeune prince n’a par ailleurs pas hésité à sécuriser son assise autant que possible, faisant un grand ménage parmi ses opposants dans les cercles de pouvoir saoudien depuis sa nomination en tant que prince héritier. Différentes figures importantes de la famille royale ont été écartées les unes après les autres, à commencer par son cousin, Mohammad ben Nayef, qui était le prince héritier. Les purges de novembre 2017, lors desquelles de nombreux princes et proches de l’establishment saoudien ont été retenus au Ritz-Carlton de Riyad ont également été un moyen pour MBS d’affirmer son pouvoir en humiliant ses pairs. Au début du mois de septembre, un procureur saoudien a aussi requis la peine de mort contre Salmane al-Aouda, un religieux et académicien, vu comme un opposant farouche à Riyad. Selon l’observateur libanais proche des milieux saoudiens, « MBS est considéré par les instances religieuses comme un aventurier et par ses cousins comme un homme brutal ».

 

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Julie KEBBI | OLJ

 

Source : L’Orient Le Jour (Liban)

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