Capital humain : évaluation et classement des pays africains selon la Banque mondiale

Ecofin Hebdo) – Jeudi, à Bali, en Indonésie, la Banque mondiale dévoilait son nouvel Indice du Capital Humain (ICH), dont le but est de faciliter l’estimation des pertes de productivité économique subies par les pays qui n’investissent pas assez dans leurs populations. S’il intègre des facteurs concernant la survie des enfants, la scolarité et la santé, le nouvel outil souligne surtout qu’aucun pays à travers le monde n’investit encore assez dans sa population pour lui permettre de profiter à 100% des retombées économiques que cela pourrait engendrer. Et si ce constat se vérifie en Europe, en Asie, en Océanie et en Amérique, il est d’autant plus vrai pour les Africains, surtout ceux au sud du Sahara.

 

La lanterne rouge du nouveau classement

Comme pour la plupart des études comparatives sur le développement des pays, les Etats africains occupent le bas du classement des pays par rapport à leur ICH.

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La Banque mondiale veut promouvoir l’investissement dans le Capital Humain.

A l’exception des Seychelles et de Maurice, qui ont réussi à se hisser dans la catégorie des puissances mondiales comme la Chine, la plupart des pays africains au sud du Sahara affichent des performances très en dessous de la moyenne mondiale qui est de 0,57 sur 1, alors que la moyenne régionale est de 0,40. Cependant, on relève de grandes disparités dans l’état lieux qui est fait du capital humain, en Afrique d’abord, et au sein de l’Afrique subsaharienne ensuite.

Cependant, on relève de grandes disparités dans l’état lieux qui est fait du capital humain, en Afrique d’abord, et au sein de l’Afrique subsaharienne ensuite.

Ainsi, pendant que les Seychelles et l’île Maurice avec des taux respectifs de 0,68 et 0,63, sont les seuls pays africains présents dans le troisième carré des données (regroupant les taux situés entre 0,57 et 0,69) d’autres comme le Kenya (0,52), le Gabon (0,45), le Ghana et le Zimbabwe (0,44), ainsi que la Namibie (0,43) se placent dans le second quartile (taux situés entre 0,43 et 0,56).

Seuls les pays nord-africains à savoir l’Egypte (0,49), le Maroc (0,50), la Tunisie (0,51) et l’Algérie (0,52) réussiront à en faire autant sur le continent

Quant au premier quartile (regroupant les pays enregistrant des taux situés entre 0 et 0,42), on remarque une triste domination des pays de l’Afrique subsaharienne. Ainsi sur les 39 pays affichant un taux en dessous ou égal 0,42 (les plus faibles moyennes mondiales), 34 sont originaires d’Afrique subsaharienne. Et à ce niveau, le Niger (0,32), le Soudan du Sud (0,30) et le Tchad (0,29) affichent les pires indices du continent et du monde.

Si ces performances globales sont alarmantes, les chiffres sont encore plus inquiétants lorsque l’on se penche sur les différentes composantes intégrées au sein de l’IHC.

Les probabilités de survie jusqu’à 5 ans

Cette première composante du nouvel indice du capital humain de la Banque mondiale a révélé au monde une triste réalité. En effet, la moyenne mondiale aujourd’hui, concernant la survie des enfants au-delà de 5 ans n’est que de 0,97 sur 1. Autrement dit, seuls 97% des enfants nés aujourd’hui pourront survivre jusqu’à l’âge de la scolarisation, ce qui implique surtout que 3% des enfants nés aujourd’hui ne vivront pas plus de 5 ans. Et ce chiffre est malheureusement encore plus important en Afrique subsaharienne.

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7% des enfants nés aujourd’hui en Afrique subsaharienne ne vivront pas au delà de 5 ans.

En effet, d’après les données de la Banque mondiale, l’Afrique subsaharienne affiche aujourd’hui un taux moyen de 0,93 sur 1 en la matière, soit la pire performance mondiale, alors que l’Afrique du Nord affiche un taux de 0,98. En d’autres termes, seuls 93% des enfants nés aujourd’hui en Afrique subsaharienne ont une chance de vivre jusqu’à 5 ans. 7% d’entre eux restant mourront avant d’avoir atteint cet âge. Et encore une fois, la situation est caractérisée par des disparités extrêmes d’un pays africain à l’autre.

En d’autres termes, seuls 93% des enfants nés aujourd’hui en Afrique subsaharienne ont une chance de vivre jusqu’à 5 ans. 7% d’entre eux restant mourront avant d’avoir atteint cet âge

Alors que 96% des enfants nés en Afrique du Sud, en Namibie, au Rwanda, au Botswana et à Madagascar ont une chance de survivre jusqu’à l’âge de 5 ans, c’est 10% des enfants nés aujourd’hui au Bénin, au Nigéria et au Soudan du Sud qui meurent avant même d’avoir mis les pieds à l’école. Au Mali et en Sierra-Léone, c’est jusqu’à 11% des enfants nés aujourd’hui qui mourront avant d’avoir eu leur 5 ans, tandis qu’au Tchad ce chiffre monte jusqu’à 12%.

Au Mali et en Sierra-Léone, c’est jusqu’à 11% des enfants nés aujourd’hui qui mourront avant d’avoir eu leur 5 ans, tandis qu’au Tchad ce chiffre monte jusqu’à 12%.

Cette situation est d’autant plus inquiétante que ce taux n’est pas inéluctablement lié à l’aspect sécuritaire. Par exemple, en Irak, (4e pays le plus dangereux au monde selon le Global Peace Index), 99% des enfants ont une chance de survivre jusqu’à l’âge de 5 ans, tandis qu’en Côte d’Ivoire, ce chiffre n’est que de 91%.

S’il est reste vrai que plus le pays est sûr, plus les enfants ont des chances de grandir, il n’en est pas moins vrai que ce qui conditionne et détermine les chances de ces enfants d’atteindre au moins l’âge de la scolarité, c’est surtout les politiques mises en place par les Etats pour investir dans le capital humain.

Les statistiques de l’éducation

Pour les 93% des enfants africains ayant survécu jusqu’à l’âge de 5 ans, un autre défi reste donc à surmonter : le défi de l’éducation.

Pour intégrer le secteur de l’éducation dans son nouvel indice du capital humain, la Banque mondiale a pris en compte deux sous-composantes à savoir : la quantité de l’éducation (à travers le nombre d’années que les enfants passent à l’école, ainsi que l’adéquation entre l’apprentissage et le temps de formation) et sa qualité.

Selon les données de l’institution de Bretton-Woods, la durée moyenne mondiale prévue pour être consacrée aux études par les enfants nés aujourd’hui jusqu’à l’âge de 18 ans est de 11,2 années sur 14. Par contre le taux d’adéquation entre l’apprentissage et le temps de formation n’est que de 7,9 sur 14 en moyenne dans le monde.

En comparant les chiffres entre les régions, on constate encore une fois que l’Afrique subsaharienne est la région la moins performante.

Dans la région, seulement 8,1 années seront en moyenne consacrées aux études des jeunes jusqu’à leur 18 ans, pour un taux d’adéquation apprentissage/temps de formation de 4,9 sur 14.

Hormis les exceptions seychelloises et mauriciennes (13,7 et 12,5 années qui les placent respectivement dans les 4e et 3e quartiles des données en la matière), seuls 5 pays de l’Afrique subsaharienne ont pu au moins se classer dans le deuxième quartile des données relatives à la durée consacrée à l’éducation. Il s’agit du Bénin (9,3 années), du Malawi (9,4), du Zimbabwe (10 ans en moyenne), du Kenya (10,7) et du Ghana (11,6).

Quant à l’adéquation entre l’apprentissage et le temps de formation, seuls le Swaziland (5,7), la Namibie (5,8), le Gabon (6,0), le Zimbabwe (6,3) et le Kenya (7,8) talonneront la moyenne mondiale, si l’on exclut encore une fois les Seychelles et l’île Maurice.

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Une classe de 100 élèves au Burkina Faso.

Ainsi, pendant que les enfants nés en France pourront espérer réaliser 14 années d’étude en moyenne, pour un taux d’adéquation apprentissage/temps de formation de 11,3, ceux nés au Tchad n’effectueront que 5 années de parcours scolaire en moyenne pour un taux d’adéquation apprentissage/temps de formation de 2,6.

Même si certains pays de la région affichent de très bons scores comme le Gabon (456), le Kenya (455), ou le Sénégal (412), l’Afrique subsaharienne concentre néanmoins la majorité des pires performances mondiales en la matière.

Cette situation affecte la qualité de l’éducation, que la Banque mondiale mesure à travers l’harmonisation des résultats des tests des principaux programmes internationaux d’évaluation du rendement des élèves. Alors que la moyenne mondiale est de 431 points, l’Afrique subsaharienne affiche un score moyen de 374 points sur 625. Même si certains pays de la région affichent de très bons scores comme le Gabon (456), le Kenya (455), ou le Sénégal (412), l’Afrique subsaharienne concentre néanmoins la majorité des pires performances mondiales en la matière.

Le facteur santé

Malgré leur survie durant leurs 5 premières années, et malgré leurs années de scolarisation, les enfants nés aujourd’hui, ne représenteront des facteurs de développement pour leurs nations, que s’ils jouissent d’une bonne santé.

Pour intégrer ce facteur, l’ICH prend en compte le taux d’enfants non-atteints par un retard de croissance avant l’âge de 5 ans, ainsi que leur taux de survie à l’âge adulte.

Concernant le premier point, les statistiques de l’Afrique subsaharienne montrent 68% des enfants nés aujourd’hui dans cette région du monde ne seront pas atteint d’un retard de croissance contre une moyenne mondiale 77%.

Au sein de la sous-région, on constate encore d’énormes disparités concernant ce phénomène. Tandis que 44% des enfants nés aujourd’hui au Nigeria auront un retard de croissance pendant leurs cinq premières années, ce chiffre n’est que de 17% au Sénégal, alors qu’en Afrique du Sud, il atteint les 27%.

Tandis que 44% des enfants nés aujourd’hui au Nigeria auront un retard de croissance pendant leurs cinq premières années, ce chiffre n’est que de 17% au Sénégal, alors qu’en Afrique du Sud, il atteint les 27%.

Les données recueillies indiquent que les pays de la région se répartissent dans les trois quartiles (1er, 2e et 3e) concernant le retard de croissance, ce qui, au-delà d’être considéré comme une belle avancée, devrait surtout interpeller les dirigeants sur la faible capacité de leurs politiques sanitaires à s’accorder aux objectifs du développement durable.

Concernant le taux de survie des adultes, encore une fois, la moyenne de la région de l’Afrique subsaharienne est en retrait par rapport à la moyenne mondiale (0,73 contre 0,85). Seuls 73% des enfants de 15 ans nés aujourd’hui, réussiront à survivre jusqu’à l’âge de 60 ans, ce qui explique d’ailleurs la présence d’une écrasante majorité des pays d’Afrique subsaharienne dans le bas du classement. Si au Sénégal et en Mauritanie ce taux est respectivement de 82% et de 80% (plus que la moyenne régionale), il est en revanche très faible dans la majorité des autres pays comme la Côte d’Ivoire (61%), le Tchad (64%), le Soudan du Sud et l’Afrique du Sud (68%) ou encore le Nigeria (65%).

Que représentent concrètement ces chiffres pour les économies africaines ?

Au-delà même d’affecter les individus, ces chiffres montrent également à quel point le manque d’investissement dans le capital humain réduit les capacités des individus à se mettre au service de leurs nations à déployer leur pleines potentialités, plombant ainsi le développement.

« L’indice du capital humain reflète la productivité future d’un enfant né aujourd’hui, comparée à celle qu’il aurait pu atteindre s’il avait bénéficié de conditions de santé optimales et d’une scolarisation complète et de qualité » indique à cet effet l’institution de Bretton-woods. Et d’ajouter « Cet indice établit un lien direct entre l’amélioration de la santé et l’éducation des populations, la productivité et la croissance économique ».

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Il vaut mieux naître à Port-Louis, à Washington ou à Tokyo plutôt qu’à N’djamena, Bamako ou Juba…

Et lorsqu’on transpose ces déclarations aux résultats de l’ICH, on se rend bien vite compte de leur évidence. A titre d’exemple, l’ICH de 0,29 affiché par le Tchad indique que la productivité des enfants nés aujourd’hui dans ce pays n’atteindra que 29% de ce qu’elle aurait pu atteindre s’ils avaient été mieux soignés et mieux éduqués. Cette situation coûte donc au Tchad, 71% de son revenu à long terme, ce qui représente un énorme manque à gagner.

L’ICH de 0,29 affiché par le Tchad indique que la productivité des enfants nés aujourd’hui dans ce pays n’atteindra que 29% de ce qu’elle aurait pu atteindre s’ils avaient été mieux soignés et mieux éduqués.

Et lorsqu’on compare cette situation à celles d’un pays comme Singapour où cette productivité atteindra les 88%, on saisit tout de suite les différences frappantes entre les différents pays, en raison des politiques publiques mises en place par les Etats.

Néanmoins une leçon importante reste à tirer de ces statistiques est qu’il vaut mieux naître à Port-Louis, à Washington ou à Tokyo plutôt qu’à N’djamena, Bamako ou Juba… les politiques publiques restent encore loin de garantir aux futures générations les conditions idéales pour développer leurs nations à leurs pleines potentialités. Des mesures urgentes pour corriger le tir sont donc indéniablement nécessaires, surtout sur le continent africain dont la population est prévue pour doubler d’ici 2050.

Le classement africain

Rang
Afrique
Pays Indice du
capital humain
1 Seychelles 0,68
2 Maurice 0,63
3 Kenya 0,52
4 Algérie  0,52
5 Tunisie 0,51
6 Maroc 0,50
7 Gabon 0,45
8 Ghana 0,44
8 Zimbabwe 0,44
10 Namibie 0,43
11 Sénégal 0,42
11 Botswana 0,42
11 Congo, Rep. 0,42
14 Afrique du Sud 0,41
14 Malawi 0,41
14 Benin 0,41
14 Togo 0,41
14 eSwatini 0,41
14 Comores 0,41
20 Tanzanie 0,40
20 Zambie 0,40
20 Gambie, The  0,40
23 Cameroun  0,39
24 Ethiopie 0,38
24 Ouganda  0,38
24 Soudan 0,38
24 Burundi 0,38
28 RDC 0,37
28  Madagascar  0,37
28 Rwanda 0,37
28 Guinée 0,37
28 Burkina Faso 0,37
28 Lesotho 0,37
34 Angola 0,36
34 Mozambique 0,36
36 Côte d’Ivoire 0,35
36 Mauritanie 0,35
36 Sierra Leone 0,35
39 Nigeria 0,34
40 Mali 0,32
40 Niger 0,32
40 Liberia 0,32
43 Sud Soudan 0,30
44 Tchad 0,29

 

 

Moutiou Adjibi Nourou

 

 

Source : Agence Ecofin (Le 12 octobre 2018)

 

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