Une note révèle des irrégularités au cours de la campagne électorale

Le militant mauritanien des droits de l’homme Sidi Ethmane ould Cheikh Taleb Khyar a envoyé une note aux missions d’observateurs internationaux pour les élections 2018, concernant les irrégularités observés sur le processus électoral.

Note à Monsieur le Président de la Mission de: 

-Union africaine

-Union européenne.

relative aux élections législatives, régionale et communales 2018

(Période préélectorale)

Nouadhibou, le 30 Août 2018

Présentation :

Selon la constitution et la loi mauritanienne, les élection constituent un droit fondamental garanti au citoyen et un devoir que dicte l’appartenance à la partie avec tout l’engagement et la responsabilité qu’implique ce droit à l’égard du choix des candidats ayant une compétence avérée, porteurs de programmes susceptible de réaliser les objectifs de développement économique et social au niveau local et national.

1.Convocation des élections : 

Les préparatifs d’organisation de ces élections ont commencé avec la promulgation du décret n°101 du 29 Mai 2018, qui fixe les procédures de recensement à vocation électorale et confie à la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI) l’organisation et l’établissement des listes électorales en vue d’organiser des élections libres et transparentes.

2.La Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI)

La CENI est une institution nationale indépendante. Créée en vertu de la loi organique n°27 du 12 Avril 2012, chargée d’organiser et superviser tout le processus électoral en Mauritanie.  Les membres de la CENI sont nommés par le décret présidentiel  n°18 du 18 Avril 2018. Qui a fait l’objet d’un appel devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême par l’Institution de l’Opposition Démocratique Mauritanienne. Invoquant des vices essentiels relatifs à l’irrégularité et l’abus de pouvoir.

3.Convocation du collège électoral 

Le collège électoral a été convoqué en vertu  du décret 108 du 21 juin 2018, en vue d’élire les députés à l’assemblée nationale, les conseillers régionaux et les conseillers municipaux.

4.Réception des dossiers de candidature 

L’article 4 du décret précité fixe les dates de dépôt de déclarations auprès du représentant local de la CENI ainsi qu’il suit :

4.1 Les députés à l’assemblée nationale : entre le 18 Juillet 2018 à 00 heure et le 2 Août 2018 à 00 heure.

4.2 Les conseillers régionaux et les conseillers municipaux : entre le 3 juillet 2018 à 00 heure et le 13 juillet 2018 à 00 heure.

5.Ouverture de la campagne électorale 

L’article 5 prévoit l’ouverture de la campagne le 17 Août 2018 à 00 heure et sa clôture le 30 Août 2018 à 00 heure.

6.Détermination du jour du scrutin 

L’article premier du même décret  fixe le samedi 1er septembre 2018 comme date du scrutin et le samedi 15 septembre 2018 en cas de 2e tour. Pour les forces armée et de sécurité, les inscrits votent le vendredi 31 août et en cas de 2e tour, le vendredi 14 septembre 2018.

Les irrégularités qui ont entaché cette phase

Les étapes préparatoires d’organisation de ces échéances ont été émaillées de quelques irrégularités dont certaines sont simples tandis que d’autres sont graves et systématiques on peut en citer :

7.L’affaiblissement du rôle de la commission chargée de l’organisation et de la supervision

La CENI en tant qu’organisme national indépendant chargé de l’organisation et de la supervision des élection a été mise à l’épreuve lorsqu’elle a rendu son communiqué n°7 du 12 juillet 2018 portant prorogation de la durée de dépôt des déclaration de candidatures aux élections régionales et communales de 4 jours jusqu’au 17 juillet à minuit  au lieu du 13 juillet, justifiant sa décision par le retard de dépôt de candidatures et par la demande de partis politiques impliqués dans l’opération. Cependant, le Premier Ministère, sur orientation du parti l’Union Pour la République (UPR) a fait appel contre cette décision par devant la Chambre Administrative de la Cour Suprême. Cette dernière avait ordonné la suspension de l’application de ladite décision. Il s’agit là d’une mesure conservatoire, en termes de justice en attente d’une délibération sur le fond.

En raison de l’influence du pouvoir exécutif sur la pouvoir judiciaire et la faiblesse de la CENI, la règles de plaidoiries ont été violées car l’annulation du communiqué n’est pas concevable juridiquement avant une délibération sur le fond.   Ce qui compromet gravement l’efficacité de tout recours à la justice qui pourrait être formulé ultérieurement par des candidats.

8.Préparation de la liste électorale

Les irrégularités ne se limitent pas à la privation des transfuges de certains partis désirant exercer leur droit à la candidature. Ces irrégularités ont touché aussi l’établissement des listes électorales en   violation des dispositions de l’ordonnance n°289 du 20 octobre 1987 modifiée par les lois organiques n°32/2012 et 09/2018 qui dit : est électeur tout citoyen mauritaniens des deux sexes, âges de 18 ans accomplis, jouissant de ses droits civiques et politiques, inscrits sur la liste électorale et pouvant justifier d’une durée de résidence dans la commune d’au moins six mois. Cette condition n’est pas applicable aux fonctionnaires et agents de l’Etat qui ont été mutés à la commune durant les six derniers mois.

Pour contourner la volonté des électeurs, des malfaiteurs rompus à la corruption financière, politique et tribale dépourvus de bases locales, aidés par des responsables de bureaux de recensement, ont importé des électeurs à leur solde en dehors de leur circonscription électorale, qu’ils ont inscrit en leur absence. Aussi, des inscriptions ont été enregistrées au profit de personnalités influentes quelques jours après l’expiration du délai légal.

 9.Préparation des listes de candidats

Par manque de professionnalisme et d’incompétence des décideurs au sein de la CENI au niveau régional et central, la phase de traitement des dossiers pour ces échéances nationales de grande importance a connu de graves violations. C’est ainsi que le dossier de candidat ne comprenait pas le certificat de nationalité prévu légalement en se contentant de la carte d’identité nationale qui est un simple document qui comprend certaines données identitaires générales. Tandis que le certificat de  nationalité est un document essentiel qui détermine la filiation de son titulaire, la nature et le mode d’acquisition de sa nationalité. En conséquence de cette violation et de l’anarchie qui a prévalu, des étrangers ont pu se placer en tête de liste dont certains portaient des immatriculations militaires de pays amis.

Aussi, une anarchie totale a prévalu dans la livraison d’extraits du casier judiciaire qui est une condition de validité de la candidature. Il se doit de rappeler ici l’absence de base de données auprès du Ministère de la Justice qui permet de contrôler la livraison de ce document sur la base d’un registre national actualisable. La demande d’extrait de ce document se fait dans la région d’origine du demandeur, cependant le registre des peines pourrait être en dehors de son lieu de naissance. Cette anarchie a permis à des personnes privées provisoirement de leurs droits politiques de se porter candidates.

10.Les irrégularités au cours de la campagne électorale 

Aucune échéance électorale en Mauritanie n’avait connu par le passé d’irrégularités graves comme celle-ci, on peut en citer :

10.1 La privation de la liberté et du droit de candidature 

La période qui a intervenu juste avant la campagne électorale a connu l’arrestation de quelques candidats dont certains sont toujours détenus, privés de leur liberté et de leur droit à exercer leurs activités politiques avec leurs sympathisants au moment où d’autres ont été privés du droit à la candidature sans motifs juridiques.

10.2

Le Chef de l’Etat a engagé solennellement une campagne au profit de l’UPR, caractérisée  par la volonté d’influencer la volonté des électeurs et par la pression sur des partis et des candidats pour retirer leurs candidatures au profit de l’UPR. Cet agissement viole la loi et va à l’encontre des engagements moraux envers sa majorité présidentielle.

Dans certaines zones, l’ouverture de la campagne a été faite en présence d’autorités administratives, de responsables de la sécurité et de dirigeants militaires en uniforme à côté de l’UPR. Il s’agit d’une violation flagrante de la loi et des règlements en vigueur dans le pays.i

10.3 l’atteinte à l’indépendance des institutions 

La campagne actuelle, à la différence des précédentes, a vu un certain nombre de pressions exercées en violation des règlement en vigueur au sein des institutions  qui se manifestent par la prise de position de certains corps qui devaient restés impartiales comme les établissements publics dont les personnels ont fait l’objet d’influence directe. C’est ainsi que certaines ONGs, des clubs, des associations sportives et des mutuelles à caractère social ont été instrumentalisés.

10.4 L’absence d’activité de la CENI 

La CENI aurait pu empêcher la tenue de discours vulgaires et diffamatoires par certains candidats en élaborant une charte que doit observer chaque candidat dans sa campagne en mettant l’accent sur le discours politiques pour édifier l’électeur et l’amener à s’abstenir de la diffamation qui est d’ailleurs réprimée par la loi d’autant qu’elle n’a aucun apport pour l’électeur.

10.5 Composition des bureaux de vote 

Le mode de désignation des membres de la CENI s’est caractérisé par le clientélisme  et le dévouement au détriment de la compétence et du professionnalisme, ce qui a eu des répercussions négatives sur son rendement et a provoqué des erreurs graves au niveau de certaines de ses structures. Aussi les membres de bureaux de votes ont été désignés suivant ce même mode opératoire au lieu de les désigner parmi les compétences indépendantes, la majorité des membres a été choisie sur la base de la fidélité à tel ou tel candidat.

Jusqu’au moment de la rédaction de cette note, le guide électoral qui constitue un support qui aide à contrôler  et mieux organiser le scrutin n’a pas été publié.

10.6  Brouiller l’électeur 

Beaucoup d’observateurs pensent que l’organisation de cinq scrutins dans le même moment et le même espace de tant de listes candidates provoquera sans doute un chevauchement auprès de la majorité des électeurs surtout parmi ceux qui distinguent leurs candidats sur la base de la couleur.

11.Conclusion 

Nous pouvons conclure de ce qui précède que les élections actuelles ont été entachées de graves irrégularités systématiques qui ont eu une influence sur la volonté de l’électeur et son libre choix. Ce compromet la transparence et la crédibilité du scrutin qui sera organisé le samedi 1er septembre 2018 et qui sera supervisé par votre mission même si elle n’est pas en mesure de le faire convenablement tant en nombre qu’en termes de moyens.

Le militant des droits de l’homme

Sidi Ethmane Ould Cheikh Taleb Khyar

Vice-président AOHR en Mauritanie

 

 

Source : Mauriweb (Le 03 septembre 2018)

 

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