Tabaski 2018 au Sénégal : assez de moutons, peu de clients

A deux jours de la célébration de la fête de l’Aïd el-Kébir communément appelée Tabaski par la majorité des musulmans sénégalais, ce n’est pas encore la ruée dans certains points de vente de moutons de Dakar, où les clients se font toujours rares.

Comme à l’accoutumée, les musulmans sénégalais s’apprêtent à commémorer le sacrifice du prophète Abraham, en immolant un mouton le jour de la Tabaski. S’acquitter de cette recommandation divine n’est pourtant pas une sinécure pour nombre de pères de famille aux revenus modestes. Cette baisse du pouvoir d’achat de potentiels clients se ressent aux alentours du stade Léopold Sédar Senghor de Dakar, où plusieurs vendeurs de moutons ont établi leur quartier.

Moctar Sow, qui a l’habitude d’écouler son troupeau à Dakar depuis 2005, en est un. Ce peulh de taille moyenne a quitté Linguère (nord) mardi dernier avec 140 moutons, dont il ne lui reste que 30. « Les plus petits se vendent à 60 000 F CFA et les plus grands à partir de 100 000 F CFA », a-t-il informé.

Non loin de lui, Moussa Amadou Bâ, un autre vendeur ne se frotte pas les mains pour le moment. « J’ai amené 150 moutons et il m’en reste 133. Les béliers ne sont pas du tout chers. On peut en trouver à partir de 55 000 F CFA », a-t-il indiqué.

Mais le constat est amer pour celui qui, depuis 15 ans au moins, vient faire de bonnes affaires dans la capitale sénégalaise à l’approche de la Tabaski : « je ne pense pas écouler tous les moutons avant la fête. Cela va me causer d’énormes souffrances car je vais devoir payer le transport pour le retour ». « En plus, les autorités nous ordonnent de quitter les lieux au plus vite après la Tabaski », s’est-il désolé.

Des prix impactés par le coût du transport

L’acheminement par camion des moutons des foyers d’élevage vers les principaux marchés de Dakar est l’une des principales charges qui pèsent sur les éleveurs. « J’ai payé 250 000 F CFA à mon camionneur. Pour ceux qui choisissent de venir durant les derniers jours avant la fête, la facture peut facilement atteindre 300 à 350 000 F CFA », a déclaré Moctar Sow.

A cela se greffent les dépenses quotidiennes en eau et en nourriture pour les bêtes. En effet, à en croire Moctar, les frais sont trop importants. « Pour abreuver mes moutons, j’achète journalièrement de l’eau pour une valeur de 2000 ou 3000 F CFA, 10 sacs de foins à 3500 F CFA l’unité et 5 sacs d’aliment de bétail “ ripass ” », a-t-il souligné.

Ce quotidien, il le partage avec Moussa Amadou Bâ pour qui, compte tenu de toutes ces charges, « les prix proposés par les clients ne sont pas raisonnables ».

« Les acheteurs souhaitent souvent avoir les plus belles bêtes sans y mettre le prix. Ils disent ne pas avoir de l’argent. Cela explique la mévente actuelle », a-t-il soutenu.

Installés le long du mur de clôture du stade Léopold Sédar Senghor, les vendeurs de moutons vivent dans la promiscuité au grand dam de quelques-uns d’entre eux. « Notre principal souci est lié à la gestion de l’espace. Il n’est pas bien réparti entre les vendeurs de moutons. Certains ayant un petit troupeau, prennent plus d’espace qu’ils en ont réellement besoin », a regretté Moctar Sow.

Quant à Moussa Amadou Bâ, la sécurité, c’est ce qui le préoccupe le plus. « Nous ne voyons les forces de l’ordre que pendant la journée. La nuit, ils sont aux abonnés absents. D’ailleurs, un mouton a été volé récemment », a-t-il déclaré.

De la race locale au menu

A côté des vendeurs de moutons abordables venant du centre, du nord et des pays limitrophes comme la Mauritanie, d’autres éleveurs proposent des béliers qui s’échangent à prix d’or. Djiby Sarr, quinquagénaire est à la tête d’un groupe originaire de Fissel Mbadane (dans la région de Thiès). Sous une tente, ses pairs se reposent sur des lits de fortune visibles par-ci, par-là. « Nous sommes là depuis une semaine avec un peu plus de 80 béliers dont les prix varient de 100 à 300 000 F CFA. On en a vendu une dizaine parce que les clients arrivent au compte-goutte », a-t-il affirmé d’une voix posée.

Répondant aux personnes qui les accusent de spéculer sur les prix de leurs biens, ce Sereer (l’une des ethnies du Sénégal) se défend : « nous élevons les moutons pendant une année. Cela nécessite d’énormes dépenses que nous supportons. Le sac de “ ripass ” peut coûter 11, 12 voire 13 000 F CFA. Nous donnons aussi aux moutons du foin et du mil. Avec tout cela, on ne peut pas les brader ».

Même son de cloche du côté des vendeurs qui ont campé au niveau des deux voies de Liberté 6 (localité de Dakar). « Si on achète un mouton à 50 000 F CFA, on l’entretient pendant une année durant laquelle il consomme 500 F CFA par jour. Par conséquent, il ne peut être vendu à vil prix. Mes moutons coûtent entre 135 à 500 000 F CFA », a argumenté Abdou Bâ, habitant de Niagues (périphérie de Dakar).

Pour amoindrir les frais de son séjour, il a décidé, sur un total de 30 moutons destinés à la vente, d’en transporter 7 en premier temps, tout en prévoyant d’amener le reste en cas d’écoulement. « Les rares clients qui viennent, ne font souvent que prendre le pouls du marché. Pour preuve, je n’ai vendu qu’un seul mouton », a-t-il constaté.

Son voisin Babacar Guèye âgé de 28 ans est « revenu du Mali avec 97 moutons ». « J’ai visité pendant 1 mois et 15 jours 7 localités dont Kayes, Diabé, Walila et Kembé. J’entrais dans les maisons où les moutons sont élevés par les femmes pour les acheter », a précisé ce jeune businessman.

Pour s’en sortir à bon compte, Babacar « a ciblé les moutons étant à la portée de la classe moyenne ». « Je propose des moutons dont les coûts vont de 100 à 200 000 F CFA car les temps sont durs. Je ne cherche pas à faire des marges excessives. J’ai vendu seulement 12 moutons en deux semaines mais je reste optimiste », a-t-il confié.

A cause du manque d’espace dans les concessions et pour éviter des charges supplémentaires, une ribambelle de Dakarois attend généralement les dernières heures avant la Tabaski pour s’offrir un bélier. Malgré la rareté du pâturage dans les zones d’élevage, le marché semble être bien approvisionné mais il faut casquer fort pour satisfaire la famille.

Ibrahima Dione

APA-Dakar (Sénégal)

Source : Agence de Presse Africaine

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source : www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page