Un rapport pointe les failles des études internationales (et libérales) sur l’Afrique

Elaboré par une quarantaine de chercheurs, le Rapport alternatif sur l’Afrique veut s’affranchir de la grille de lecture des institutions de développement.

Lancé le 25 juillet à Dakar par le réseau international Enda Tiers-Monde, le Rapport alternatif sur l’Afrique (RASA) veut faire table rase des biais épistémologiques économiques et culturels par lesquels les rapports européens et américains analysent l’Afrique.

« La Banque mondiale, le FMI, l’OCDE et l’OMC déploient sur le continent leur vision du développement sans prendre en compte les réalités africaines. Ils ont du mal à déchiffrer les mutations et les transformations qui s’opèrent en Afrique ou à définir les véritables priorités du continent. Nous avons cherché un moyen qui permette aux Africains de consigner leur histoire, d’exprimer leur avenir et de revendiquer leur souveraineté dans un projet commun de société. C’est de ce besoin qu’est né le RASA », explique Moussa Mbaye, secrétaire exécutif d’Enda Tiers-Monde.

De nombreuses pistes de réflexion

 

Le « numéro zéro » du RASA a nécessité deux ans d’élaboration et la participation d’une quarantaine de chercheurs issus d’horizons aussi divers que le cercle de réflexion Wathi, le Conseil pour le développement de la recherche en sciences sociales en Afrique (Codesria) ou l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco). Le RASA a aussi bénéficié du soutien de plusieurs intellectuels du continent, comme le penseur sénégalais Felwine Sarr ou l’ancien ministre béninois John Igué.

Divisé en cinq axes, le rapport aborde des questionnements fondamentaux auxquels les prochaines éditions, prévues une fois tous les deux ans, devront apporter des réponses scientifiques. Comment réhabiliter l’objet Afrique ? De quel mode de gouvernance l’Afrique a-t-elle besoin ? De quelle façon aborder la démographie du continent ? Comment mesurer le bien-être et le progrès ? Si le texte, d’une centaine de pages, ne donne pas de réponses définitives, il ouvre de nombreuses pistes de réflexion.

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« Ce premier rapport est un numéro de positionnement, nous voulons qu’il soit l’instrument des gens qui veulent transformer l’Afrique, avance Cheikh Gueye, secrétaire permanent du RASA. Nous visons le renversement idéologique et épistémologique des analyses habituelles d’un continent trop souvent considéré par la communauté internationale à la fois comme un puits de ressources naturelles, un maillon faible des réseaux de pouvoir et un partenaire éternellement assisté. Nous voulons nous départir d’une vision libérale et occidentale du développement, questionner les indicateurs habituellement utilisés pour mesurer le développement, afin de voir le progrès à travers la cosmogonie des Africains. Nous voulons permettre la construction de notre propre métaphore. »

« Occupation » plutôt qu’« emploi »

 

Démarche militante à la couleur anticapitaliste et altermondialiste affirmée, le RASA est financé par les fondations américaine Rockefeller et allemande Rosa-Luxemburg. Un paradoxe ? Moussa Mbaye répond, quelque peu gêné, qu’une campagne de financement public sera lancée pour le prochain numéro.

S’il critique la croissance calculée par les outils néolibéraux, le RASA ne se veut pas pour autant décroissant et tient à préserver une diversité de points de vue. « Nous cherchons des nouveaux indices de mesure qui soient plus adaptés au continent et qui correspondent à des objectifs qui ont de la valeur pour les gens afin de sortir de l’économisme pur, affirme Cheikh Gueye. Pendant très longtemps, nous avons calculé en Afrique le chômage selon les consignes du Bureau international du travail, considérant qu’une personne non salariée ne travaille pas, alors que dans des pays comme le Sénégal, le secteur informel concerne près de 90 % des emplois. Aujourd’hui, nous avons redéfini le concept, préférant parler d’occupation plutôt que d’emploi. »

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Constat similaire pour le produit intérieur brut (PIB), un indicateur que le RASA perçoit comme « très insuffisant », un « appareillage idéologique pour que le marché puisse s’organiser ». « C’est une lecture libérale de l’économie basée sur le consensus de Washington, poursuit Cheikh Gueye. A la standardisation des sociétés, nous souhaitons opposer un calcul économique plus lié au relationnel, à la solidarité, qui sont très importants en Afrique. » Le RASA préfère une approche par « capabilité », qui propose de voir dans le développement comme une extension des libertés substantielles, ainsi que l’a théorisé l’économiste indien Amartya Sen, Prix Nobel d’économie en 1998. Une façon de mesurer le bien-être des individus, à l’instar du bonheur national brut, indice économique inscrit dans la Constitution bhoutanaise depuis 2008 en remplacement du produit national brut.

Loin de ne formuler que des griefs à l’encontre de l’Europe ou des Etats-Unis, écartant toute victimisation, le RASA se veut surtout une réponse aux insuffisances des capacités prospectives des institutions africaines. « Notre rapport s’adresse d’abord aux Africains, soutient Moussa Mbaye. Nous voulons leur redonner la parole pour qu’ils apportent leurs réponses aux défis du continent, qui doivent être résolus par eux et non par les fonctionnaires de la Banque mondiale. C’est aussi une manière de restaurer la responsabilité des Africains dans leur propre développement. »

Matteo Maillard

(Dakar, correspondance)

 

 

Source : Le Monde

 

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