Les droits à l’épreuve des « hommes forts »

L’unilatéralisme qui prospère dans plusieurs Etats complique la défense des droits universels.

C’est un anniversaire sans faste. Depuis soixante-dix ans, l’ONU a patiemment construit un édifice de protection des droits de l’homme qui reconnaît  » la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables « . Cette déclaration proclame un  » idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations « .

L’universalité de ces droits est aujourd’hui menacée par des dirigeants qui assument et revendiquent ouvertement leur dédainpour les droits de l’homme, comme Vladimir Poutine en Russie, Donald Trump aux Etats-Unis, Recep Tayyip Erdogan en Turquie, Rodrigo Duterte aux Philippines, ou encore, au sein de l’Union européenne, Viktor Orban en Hongrie.

Qualifiés d' » hommes forts « , ils partagent le même profil autoritaire, plus portés sur l’ordre, la sécurité, la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent que sur un ordre international fondé sur le respect de droits de l’homme défendant les individus contre les abus éventuels des Etats.

Est-ce seulement un hoquet de l’Histoire ? Les deux mandats de George W. Bush, aux Etats-Unis, ont jeté les bases, après le 11-Septembre et la  » guerre au terrorisme « , d’un certain mépris américain pour les droits de l’homme. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche en  2017, élu sur la promesse de favoriser  » l’Amérique d’abord « , n’a été que l’accélérateur de ce que le représentant français après des Nations unies, François Delattre, nomme  » le momentjacksonien «  des Etats-Unis – du nom du 7e président des Etats-Unis, Andrew Jackson, connu pour son populisme en politique intérieure et son isolationnisme en politique étrangère. Ce mouvement isolationniste et unilatéraliste a  » brisé les digues « , explique Stéphanie David, chargée du plaidoyer pour la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) à l’ONU.

 » Bête imparfaite « 

 » Cette conscience universelle semble s’évaporer à un rythme alarmant « , a prévenu le haut-commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, Zeid Ra’ad Al-Hussein.  » De quel droit les Etats-Unis jugeraient-ils la situation des droits de l’homme dans d’autres pays ? « , a affirmé le président américain dans un entretien avec le New York Times. M. Trump a aussi vanté durant sa campagne le-  » waterboarding « , la simulation de noyade, comme méthode d’interrogatoire. Il s’est retiré, comme la Hongrie, du pacte mondial pour une migration sûre, régulière et ordonnée, a appliqué à la lettre la politique de tolérance zéro en séparant les familles de migrants rentrés illégalement par la frontière mexicaine, a interdit d’entrée aux Etats-Unis les ressortissants de six pays musulmans et constamment attaqué la presse.

Les dirigeants populistes et autocrates n’en demandaient pas tant pour s’engouffrer dans la brèche ouverte par Washington.  » La politisation et l’instrumentalisation des droits de l’homme par les Etats-Unis ont encouragé d’autres Etats, critiques du “deux poids deux mesures”, à faire de même « , remarque une diplomate d’un pays membre du Conseil de sécurité. A l’ONU, garante du respect des droits de l’homme, la dernière secousse a été l’annonce, en juin, du retrait des Etats-Unis du Conseil des droits de l’homme basé à Genève,  » une bête imparfaite, certes, mais un outil qui a obligé un certain nombre d’Etats à faire des efforts sur les droits de l’homme « , estime une ONG observatrice.

 » Défense des acquis « 

 

La bataille pour les droits de l’homme n’est pas nouvelle. L’ancien secrétaire général Ban Ki-moon (2006-2016) avait, à la veille de son départ, lancé un appel à ce que  » les Nations unies continuent d’être le rempart contre les menaces aux droits de l’homme « . Mais c’est le même qui avait retiré l’Arabie saoudite de la liste noire des pays qui violent le droit des enfants – pour sa participation au conflit yéménite – sous la menace de représailles financières.

L’arrivée au secrétariat général de l’ONU, en janvier  2017, d’Antonio Guterres, ex-président de l’Internationale socialiste et ex-directeur du Haut-Commissariat pour les réfugiés, a suscité l’espoir de voir les droits de l’homme revenir au cœur du système onusien. Le 10  décembre 2017, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’homme, n’a-t-il pas sonné l’alerte concernant une  » hostilité perturbante «  envers les droits de l’homme dans toutes les régions du monde ? Las,  » il lui a fallu plus de six mois pour dire clairement que les droits de l’homme devaient être au cœur de sa diplomatie préventive. Et depuis, on attend toujours un véritable engagement dans ce sens « , regrette Stéphanie David.

La lente érosion des droits de l’homme a coïncidé avec un retour des grandes puissances sur l’échiquier mondial, avec la Russie et la Chine mais aussi des puissances régionales comme la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Indonésie ou encore l’Egypte.  » Ces pays sont de plus en plus mobilisés pour faire obstruction « , note une diplomate, qui assure que l’ONU  » est désormais uniquement dans une position de défense des acquis – essentiellement le droit des femmes et des enfants – car la crispation du débat rend d’autres progrès plus difficiles « .

Cela se traduit par des tentatives répétées de réduire des postes dévoués aux droits de l’homme dans les opérations de maintien de la paix, des critiques envers des ONG dont la présence en tant qu’observateur est contestée, des baisses de financement pour certains programmes, ou encore l’incapacité à faire condamner l’utilisation des armes chimiques contre les civils en Syrie.  » Le système est en train de s’effriter par pans, constate une diplomate. Cela a commencé avec les pays qui ont décidé de quitter la Cour pénale internationale – Burundi, Gambie, Afrique du Sud –, puis avec le retour de la peine de mort dans certains pays,et maintenant une politique de plus en plus répressive sous couvert de lutte contre le terrorisme. « 

L’organisation s’apprête à célébrer le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme lors de la prochaine Assemblée générale des Nations unies, en septembre, et le nombre de chefs d’Etat présents à l’événement enverra un signal important.  » Le manque de leadership sur cette question est dramatique « , dénonce Stéphanie David. Une célébration en catimini serait un aveu désastreux.

 

Marie Bourreau

Source : Le Monde

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