Israël est devenu « un régime d’apartheid »

Pour Ahmad Tibi, vice-président de la Knesset (Parlement israélien), avec l’adoption de la loi sur l’Etat-nation du peuple juif, Israël entérine officiellement deux systèmes séparés.

En dépit du fait que nous vivons ici depuis des siècles, Israël a, depuis sa fondation en  1948, tenté de faire en sorte que ses citoyens palestiniens, les survivants de la Nakba, se sentent comme des étrangers dans leur propre patrie. Alors que les Israéliens instauraient un système de discrimination institutionnelle contre les citoyens non juifs, ils ont veillé à préserver les apparences en répétant qu’Israël était  » la seule démocratie du Moyen-Orient « .

Mais, en réalité, Israël est une démocratie pour les Juifs, et un pays juif pour les Arabes. C’est une théocratie qui a bâti un Etat comportant deux systèmes séparés : un pour la population privilégiée, les Juifs, et un pour les citoyens palestiniens arabes de seconde classe. Désormais les choses sont plus claires : en approuvant la loi sur  » l’Etat-nation du peuple juif « , Israël est officiellement devenu un régime d’apartheid fondé sur la suprématie juive.

Même avant le vote de cette loi, qui n’accorde les pleins droits politiques et nationaux qu’à la seule population juive, il existait déjà en Israël plus de cinquante dispositions législatives qui ne discriminaient que ses citoyens non juifs. Mais la nouvelle législation va au-delà de la discrimination immédiate que les citoyens palestiniens d’Israël subissent dans leur accès aux services. En réaffirmant l’annexion illégale de Jérusalem-Est et en validant la poursuite de la colonisation juive, elle vise à renforcer le projet politique d’Israël d’enterrer la solution à deux Etats dans les frontières de 1967, rendant de fait impossible l’existence de deux Etats indépendants vivant côte à côte dans la paix et la sécurité, une solution qu’avait approuvée la communauté internationale, et en particulier l’Europe.

Soutiens internationaux

Le gouvernement israélien s’est senti en mesure de faire passer ce texte parce qu’il bénéficie du soutien de l’administration Trump. Les  » trois mousquetaires sionistes « , comme j’appelle l’équipe du président Trump pour le Moyen-Orient – Greenblatt, Kushner et Friedman –, partagent la même idéologie sioniste radicale que le gouvernement israélien. Ils ne considèrent pas les Palestiniens comme étant égaux en droits et ne sont même pas capables de prononcer les mots  » droits des Palestiniens  » ou  » Etat palestinien « .

En plus de la position américaine, l’Union européenne a assuré Israël, à plusieurs reprises, qu’elle ne lui imposerait aucune sanction pour ses violations systématiques du droit international et des résolutions de l’ONU, renforçant ainsi la culture israélienne de l’impunité. Et l’ambassadeur de l’UE à Tel-Aviv ne cesse de répéter que l’Union européenne et Israël  » partagent les valeurs de la démocratie, de l’Etat de droit et du respect des droits de l’homme « .

Aujourd’hui, l’Union européenne se doit d’agir en vertu de ses propres principes. L’accord d’association UE-Israël stipule dans son article  2 que  » les relations entre les parties, tout comme les clauses de l’accord lui-même, seront fondées sur le respect des droits humains et des principes démocratiques qui guident leur politique nationale et internationale et constitue un élément essentiel du présent accord « .

La loi sur l’Etat-nation du peuple juif prive du droit à l’autodétermination l’ensemble des Palestiniens, c’est-à-dire la  » population non juive «  vivant sur le territoire historique de la Palestine, qui englobe Israël et les territoires occupés de Palestine : chrétiens, musulmans et Druzes, du Jourdain à la Méditerranée et de la Galilée aux étendues désertiques du Naqab/Néguev. Cela représente plus de 50  % de la population totale vivant sous contrôle israélien. L’Union européenne est-elle disposée à accepter la réalité de cet apartheid comme faisant partie des prétendues  » valeurs partagées  » entre Israël et l’UE ? Quel est le représentant européen qui osera déclarer que cette situation relève des  » principes démocratiques  » qui conditionnent l’accord d’association UE-Israël ?

Les défenseurs d’Israël, notamment ceux qui pratiquent la hasbara – propagande – , ne manqueront pas de souligner que la présence de quelques citoyens palestiniens dans la Knesset est la preuve que le pays reste une démocratie. Or, la nouvelle loi ne mentionne pas une seule fois ce terme. Ce qui importe, c’est que la démocratie va bien, au-delà de notre présence au Parlement, et aujourd’hui Israël ne peut plus prétendre au statut de démocratie. La Knesset refuse systématiquement de discuter de tout projet de loi demandant l’égalité pleine et entière pour tous les citoyens de l’Etat, sans distinction religieuse ou nationale. Le projet de loi que je soumets chaque année pour demander qu’une part égale de terre soit allouée à tous les citoyens est toujours rejeté.

L’ethnocratie israélienne s’est officiellement transformée en un régime d’apartheid. Cette situation ne changera pas tant qu’Israël ne paiera pas le prix de son racisme, de son arrogance et de ses violations du droit international. L’UE et ses Etats membres peuvent continuer à encourager cette politique en fermant les yeux sur la réalité, ou bien ils peuvent agir pour préserver la possibilité d’une paix juste et durable qui garantisse les droits de tous : Israéliens et Palestiniens, chrétiens, Druzes, musulmans et juifs. Premier partenaire commercial d’Israël, l’Europe dispose de suffisamment de moyens pour stopper cette folie sioniste extrémiste encouragée par l’administration Trump. Nous respectons l’histoire et les valeurs européennes. Nous sommes impatients de voir ces valeurs à l’œuvre et d’en éprouver les effets.

 

 

Ahmad Tibi

 

Source : Le Monde

 

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